Basile Valentin 5

En outre, sois diligent à la recherche des choses qui s'accordent avec la raison, et avec les livres des anciens, ne sois point muable, mais vise constamment au but, auquel tirent et s'accordent tous les sages, et souviens-toi qu'un esprit mobile n'a point de pied stable, et qu'un Architecte de légère tète à grand peine peut bâtir un édifice ferme et permanent.

De plus, ne prenant point notre pierre, son être et sa naissance de choses combustibles (veut qu'elle combat même contre le feu et soutient, sans être aucunement offensée, tous ses efforts et embûches) ne la tire point de telles matières, lesquelles la toute puissante nature ne la peut mettre.

Par exemple; si quelqu'un disait qu’elle est de nature végétale, ce qui néanmoins n'est pas possible bien qu’il apparaisse en elle, je ne sais quoi de végétable : car il faut que tu saches que si notre lunaire était de même nature que les autres plantes, elle ferait aussi bien que les autres de matières propres au feu pour brûler et ne remporterait autre chose de lui que le sel mort, ou comme l'on dit la tête morte: et bien que nos devanciers aient écrit bien amplement de la Pierre végétable, toutefois si tu n'es plus clairvoyant que Lincée, crois-moi, cela surpassera la portée de ton esprit, car ils l'ont seulement appelé végétable, pour ce qu'elle croît, et se multiplie comme une chose végétable.

Commentaires :

Lors de précédents extraits de cet avant-propos des douze clés de philosophie, Basile Valentin nous invite, par la manifestation de la Foi, à obtenir la bénédiction de Dieu. Dans celui qui sert d'étude au présent article, il nous demande d'accorder cette Foi à la Raison, sujet que j'ai largement traité dans les articles dans le Gand Œuvre d'Hermès Trismégiste, et sur lequel je ne crois pas utile de revenir pour le moment.

Idem pour ce qui est des livres des anciens, au sujet desquels je me suis longuement expliqué lors du précédent article traitant de ces douze clés.

Ne sois point muable, mais vise constamment au but, auquel tirent et s'accordent tous les sages... Ici, un éclaircissement s'impose compte tenu de l'expression utilisée : ne soit pas muable, paradoxe apparent pour celui qui met en action sa perfectibilité et pourrait interpréter cette indication comme une obligation à l'immobilité. Ne pas être muable, comme l'indique Basile Valentin, s'entend dans le but poursuivi, et non dans la capacité de l'oeuvrant à poursuivre sa perfectibilité lors du cheminement qui s'oriente vers le but fixé. Nous devons entendre plus précisément par cette indication, que s'il est permis d'évoluer, je dirais même fortement conseillé, il convient de le faire selon des règles précises. Comme j'ai eu l'occasion de le dire précédemment, un bateau sans port n'a jamais de vents favorables, il erre au gré de ces derniers et des courants pour finir par tourner inévitablement en rond. Il en est de même du chercheur qui ne cherche que pour chercher, sans avoir fixé de but à cette recherche. Probablement qu'il finira peut-être par trouver quelque chose, lors de cette recherche, mais comme il ne sait pas où il va, probablement aussi, qu'il trouvera souvent des choses, et ne sachant pas à quoi elles peuvent bien servir, il considèrera que ces trouvailles n'ont guère d'utilité... L'initiation aux mystères implique que celui qui s'engage dans cette voie, sache dès le départ le but qu'il se fixe, et l'objectif qu'il souhaite atteindre... Pour reprendre l'exemple de cet extrait, un architecte qui partirait sur l'idée de bâtir des clapiers pour lapins, aurait peu de chance d'obtenir une cathédrale gothique pour édifice final.

L'air de rien, cet extrait résume parfaitement, à lui seul, la nécessité d'avoir une pensée juste de ce que l'on entreprend de bâtir, que ce soit sur le plan matériel, comme sur le plan spirituel. Ainsi, lorsqu'on choisit une voie, en changer au gré des préoccupations frivoles et opportunistes, reste le meilleur moyen de ne jamais progresser. Avoir la ferme résolution d'aller au bout de ce que l'on entreprend, est l'indispensable condition que doit remplir celui qui s'engage dans la réalisation de n'importe quel ouvrage. C'est le premier et le plus important des buts que l'on doit se fixer. Et lorsque cette résolution est prise, rien ne doit nous détourner de notre travail jusqu'à sa complète réalisation. En matière spirituelle, plus encore que dans les exigences que réclament les réalisations matérielles, le but n'est pas une fin en soi, car il est rarement accessible, ou alors c'est qu'il a été mal choisi, ou que celui qui se l'est fixé a manqué d'ambition ; c'est dans le cheminement que se trouve l'essentiel de la réalisation de l'ouvrage. S'engager dans la réalisation d'un ouvrage, pour ne pas le mener à bonne fin, est pire que de ne pas entreprendre le moindre ouvrage.

Ces petites réflexions, sur cet extrait de Basile Valentin, pourraient paraître soit d'une évidence simpliste, soit tellement ordinaire qu'elles en seraient en réalité superflues... Hélas, la constance et l'endurance dans l'effort ne sont pas des vertus si largement répandues qu'il y paraît de prime abord. Rapidement la curiosité du début, qui servait de carburant pour avancer dans une voie, s'émousse et si elle n'est pas relayée par une volonté de poursuivre, malgré les difficultés et les obstacles rencontrés, alors la tête légère fait soit marche arrière, soit détourne sa curiosité vers ce qui l'attire davantage, émotionnellement ; comme l'insecte qui se trouve sans cesse détourné vers la lumière la plus forte des désirs et des passions, qui l'attire et l'asservit à sa dépendance. Quelles que soient les circonstances, rien n'est pire que d'avoir à faire à des personnes irrésolues et inconstantes. Leur faiblesse de volonté, vice qui est le contraire de la vertu Cardinale qu'est la Force, est une base si mouvante, qu'espérer bâtir quoi que ce soit sur ce terrain est une pure folie.

La solide résolution de la Foi doit s'accorder et se renforcer par la Raison, et ces deux solides pieds serviront de fondation robuste à un esprit volontaire qui se bâtira au fur et à mesure que viendra s'ajouter chaque pierre de connaissance éprouvée à son édifice.

La deuxième partie de cet extrait est quelque peu abstruse, car lorsque Basile Valentin parle de "notre pierre", il ne s'agit ici que d'une analogie, et ce qui est similitude n'est pas pour autant identité. Cette pierre des philosophes n'est pas issue de la Nature, mais est quelque chose qui la surpasse tant dans son essence que dans sa substance. La suite confirme d'ailleurs ce que j'ai eu à commenter dans la Véritable Histoire d'Adam et Eve enfin dévoilée, concernant les Tables de la Loi du Sépher de Moïse, et du concept végétatif d'un principe en phase de manifestation dans la sphère temporelle. Les arborescences de ce principe qui se manifeste en mode successif, alors qu'en contingence d'être il se trouve en mode simultané, sont analogiquement de même nature avec ce qui se produit en bas lors de la germination d'un végétal. Ses ramifications, (tronc, branches, racines, feuilles et fruits) sont la déclinaison matérielle d'un processus spirituel. Mais si du végétal, lorsqu'il est soumis au feu, il ne reste que quelques cendres et le sel mort, de la Pierre végétable, comme l'appelle Basile Valentin, il n'y aura rien qui soit combustible.

Par ce petit exemple précis et rigoureux, notre guide nous indique les rudiments de ce fameux langage analogique avec lequel il convient de se familiariser pour pouvoir poursuivre la suite de l'exploration de ce texte que sont les douze clés des philosophes. Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, dit la Table d'Émeraude, mais ce qui est en haut est dans un Éternel Moment Présent, alors que ce qui est bas est dans la sphère temporelle périssable. L'arborescence végétative que possède un principe, est comparable à ce que manifeste un arbre, sans pour autant être identique à cet arbre. Et pour qu'il n'y ait pas de confusion possible, Basile Valentin invite son lecteur à activer l'une de ses facultés supérieures que j'ai déjà maintes fois évoquée, et qui est la Clairvoyance. Cette faculté qui fait autant appel à la raison par ses jugements clairs, sa lucidité et sa perspicacité, qu'elle fait appel à la Foi pour ses perceptions extrasensorielles...

La cohérence des propos de cet extrait est d'une implacable rigueur...

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