Lao Tseu le Tao 2

Le Tao Tö King du maître Lao-Tseu, Li Eul Pai Yangs.

Livre du Tao Tö King I, Lao Tseu - Deux

Le monde discerne la beauté, et, par là le laid se révèle.

Le monde reconnaît le bien et, par là le mal se révèle.

Car l’être et le non-être s’engendrent sans fin.

Le difficile et le facile s’accomplissent l’un par l’autre.

Le long et le court se complètent.

Le haut et la bas reposent l’un sur l’autre.

Le son et le silence créent l’harmonie.

L’avant et l’après se suivent.

Le tout et le rien ont le même visage.

C’est pourquoi le Sage s’abstient de toute action.

Impassible, il enseigne par son silence.

Les hommes, autour de lui, agissent.

Il ne leur refuse pas son aide.

Il crée sans s’approprier et oeuvre sans rien attendre.

Il ne s’attache pas à ses oeuvres.

Et, par là, il les rend éternelles.

Commentaires :

Dans cet extrait du Tao Tô King, Lao Tseu nous enseigne sous une forme simple, mais infiniment subtile et puissante, ce que sont les trois grandes forces de l'univers.

Le monde discerne la beauté, ici nous devons comprendre l'analogie qui désigne la Divine Providence qui exprime au travers de ses Lois ce qu'est la perfection et nécessairement la Beauté, l'harmonie, l'équilibre. Mais aussi la lumière, la Connaissance, l'Amour Divin.

Nous retrouvons ce principe de beauté et d'harmonie divine dans le livre X du Corpus Hermeticum dans son verset 9 :

Autour de l’Essence divine rayonne la Beauté qui, en vérité, habite l’être de Dieu en pureté suprême et immaculée. Osons le dire, Asclépios, l’être de Dieu, s’il est permis d’en parler, c’est le Beau et le Bien.

Lorsque deux traditions expriment sous une forme presque identique, un enseignement initiatique, il est facile d'en déterminer la source commune, qui est nécessairement la plus élevée.

Et, par là le laid se révèle... L'ignorant n'a pas le sentiment ou la conscience de son ignorance tant qu'il se trouve au milieu de personnes qui sont aussi ignorantes que lui. Le laid lorsqu'il est au milieu de la laideur a nécessairement le sentiment d'être "normal". Ce n'est que lorsque le monde discerne la Beauté, que le laid se révèle, ce n'est qu'en accédant à la Connaissance que s'estompent les ténèbres de l'ignorance. Ce n'est qu'en découvrant ce qui est fondamentalement Juste, que l'injustice devient criante et insupportable.

Cette première sentence, de ce deuxième verset du Tao, renferme sous la forme la plus simple, mais aussi la plus explicite, ce qui sépare la Providence du Destin. Ceux qui sont dans la sphère du Destin ne le découvrent réellement qu'à partir du moment où ils s'ouvrent aux lumières de la Divine Providence. Alors, cette séparation du subtil et de l'épais, comme l'indique la Table d'Émeraude, permet à la pensée de s'ajuster pour activer les sens supérieurs de celui qui s'ouvre à la Providence, en lui donnant accès à la clairvoyance sans laquelle il n'est pas de discernement possible. Discernement qui est le propre de la Conscience.

Providence, Conscience Destin, nos trois grandes forces de la Création trouvant en quelques mots leur juste place dans cette première sentence, ce qui démontre que la pensée qui en est à l'origine était elle aussi d'une parfaite justesse, c'est-à-dire totalement épurée.

Le monde reconnaît le bien... Qui dans le monde est capable de reconnaître le bien, si ce n'est justement la Conscience qui discerne… Et comment reconnaître le bien sans en même temps discerner le mal... Cette éminente fonction de la Conscience qu’est le discernement est la caractéristique de sa souveraine divinité. Un des tropes magiques des Tables de la Loi du Sépher de Moïse dit dans sa plus parfaite exactitude:

Et-vous-serez tels-que Lui-lesDieux, connaissant-le-Bien-et-le Mal.

Il y a dans ce trope, comme dans la sentence du Tao, la quintessence de toute Connaissance, celle qui justement est capable de distinguer le Bien du Mal, la Vertu du Vice, le Bon du mauvais, l'évolution de l'involution. Notons au passage la hiérarchie irréprochable du Tao, qui met d'abord en tête l'ouverture de la Conscience aux Lois de la Divine Providence, et ce n'est que lorsque ses lumières de Connaissance viennent éclairer les ténèbres d'ignorance de la Conscience, que cette dernière peut commencer à reconnaître le Bien du Mal.

À ceux qui auraient un manque de discernement, au point de penser que ces grands principes ne concernent que les états les plus élevés de la Conscience, je leur signale que cela induirait un défaut de perception des lumières de la Providence qui provoquerait une distorsion préjudiciable de leur clairvoyance. En effet, avant que de pouvoir s'appliquer aux états les plus élevés de la Conscience, le discernement du Bien et du Mal doit d'abord se pratiquer dans les états les moins élevés. Ainsi, si nous prenons l'habitude de classer chaque évènement, chaque manifestation, chaque action, chaque parole et chacune de nos pensées selon la catégorie du Bien et du Mal, cela impliquera d'une part que nous soyons capables d'avoir une réflexion journalière sur ces sujets, ce qui ne peut que développer notre faculté de discernement ; et d'autre part, nous permettra au fur et à mesure de notre élévation, de rendre ce discernement de plus en plus subtil et responsable. Cet exercice qui n'est pas une mince affaire imposera nécessairement de remettre en question de nombreuses fausses certitudes, acquises par mécanismes routiniers, ou par simple paresse intellectuelle, et qui nous fait prendre trop souvent pour un Bien ce qui après méditation et réflexion, soit ne l'était pas, ou pire, était manifestement un Mal... Car, comme pour ce qui était du laid, ce n'est que lorsque l'on parvient à discerner le Bien du Mal, qu'il nous est possible de cesser de prendre l'un pour l'autre ou d'en mélanger les deux pour ne rendre ni le Bien ni le Mal discernables, afin de prétendre, comme le font les sophistes raisonneurs, que ni l'un ni l'autre n'existent.

Discerner le Bien du Mal permet, comme je l'ai dit ci-dessus, de distinguer le Vice de la Vertu, mais aussi l'involution de l'évolution, le temporel de l'intemporel et, in fine, la Providence du Destin, ce qui n'est pas rien pour ceux qui souhaitent en recevoir les lumières.

Car l'être et le non-être s'engendrent sans fin... Admirable démonstration d'une pensée parfaitement homogène et en osmose avec les Lois et les Principes Universels. L'être et le non-être deux aspects indissociables du Divin Créateur auxquels est ajouté l'incontournable élément du Ternaire Divin : l'INFINI. Le chaos et la création, le visible et l'invisible, les lumières et les ténèbres, le temporel et l'intemporel étant des aspects (états) d'une même Ipséité de l'unique Créateur de toutes choses, dans son immuable Vérité Absolue, nécessairement infinie.

Le difficile et le facile s'accomplissent l'un par l'autre... Croire que l'on parvient au sommet de la montagne sans prendre la peine (efforts, endurance, travail), d'en escalader les flancs c'est violer les Lois de la Création, une illusion. Croire que l'on parvient au sommet de la Connaissance (analogiquement traduit par la montagne dans toutes les grandes traditions), sans faire l'effort d'un long et laborieux apprentissage, c'est faire preuve d'ignorance et d'inconséquence. Croire qu'on est capable de faire le plus, sans avoir saisi la moindre occasion de faire le moins, c'est une incommensurable vanité. Cette sentence nous renvoie à l'exercice de discernement du Bien et du Mal au quotidien. Ne pas être capable de le faire pour des petites choses, ne permettra pas de le faire pour des choses plus évoluées et plus subtiles.

Cette illusion, que certain pourraient avoir, qu’il puisse exister une voie de facilité sans effort, ni travail, n’est qu’une manifestation de la paresse intellectuelle : un Vice, qui outre de faire passer son libre arbitre sous asservissement du Destin, ouvre pour son auteur un espace d’insignifiance dans lequel il se trouvera inexorablement plongé, et duquel il aura le plus grand Mal à sortir.

C'est pourquoi le sage s'abstient de toute action... Il convient de comprendre le sens infiniment subtil de cette sentence. L'absence de toute action ne signifie en aucun cas ne rien faire. Comme d'ailleurs le précisent les sentences suivantes. S'abstenir de toute action doit s'entendre dans le sens ou le sage sait qu'il ne doit pas avoir la vanité de vouloir changer l'ordre souverain des choses. Cet ordre souverain lui est indiqué par la Connaissance des Lois de la Divine Providence, qu'il a longuement reçu, tout au long d'un parcours initiatique, et en se mettant au service d’une humanité. Le sage n'agit plus dans la perspective d'un intérêt personnel, mais uniquement en plaçant sa responsabilité au plus haut degré qu'il lui soit possible à savoir : celle qui consiste à se préoccuper des autres, et uniquement que des autres. La suite de ce deuxième verset en explicite clairement la pratique sophistiquée, subtile et complexe. L'absence d'action du sage se fait dans l'action du sage.

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