La Chrysopée analyse 3

Mais si ce processus ne fait qu’exprimer en mode inversé, un processus naturel de génération des attributs de l’Ame, c’est que ce dernier existe bien par lui-même, et, conséquemment, que les Vertus de l’Ame sont susceptibles d’une manifestation et d’un développement harmoniques, leur épanouissement et leur permanence dépendant de leur totalité. Ainsi, de même qu’en l’édifice une pierre en appelle une autre, et qu’elles deux en exigent une troisième, ce jusqu’à la pose finale de la " clef ", de même une Vertu et un Vice sont générateurs d’autres Principes, ce jusqu’à concurrence de l’ensemble final.

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Faisant suite au précédent extrait de la Chrysopée du seigneur, qu'il convient d'avoir en mémoire, ce bon Raymond Lulle nous indique que s'il est dans la nature du vice, lorsqu'il conquiert la place, de s'y multiplier, le processus est tout aussi valable pour ce qui concerne la polarité opposée au vice qu'est la vertu. Par cette très subtile et pertinente observation, l'auteur de cette admirable Chrysopée du Seigneur, réputé pour être un éminent alchimiste, nous indique que l'Âme, comme toutes choses dans la Nature, possède deux polarités qui sont ses attributs propres : le Vice et la Vertu ; et que nécessairement ce qui caractérise la manifestation de cette Âme est : la Conscience et sa faculté volitive. Conscience qui sera ce qui permettra de favoriser soit l'une ou l'autre de ces polarités, jusqu'à ce qu'elle (la Conscience), parvienne à les équilibrer par cette fameuse analogie des contraires.

Nous trouvons dans ces deux extraits, un enseignement extrêmement sophistiqué qui se révèle derrière la simplicité de l'expression de celui qui a su s'en rendre parfaitement maître. Les principes du Vice et de la Vertu sont des attributs de l'Âme, il convient donc de comprendre qu'il ne s'agit pas de se débarrasser du Vice pour que s'installe automatiquement la Vertu. Cette vision manichéenne simpliste, qui fonde encore trop souvent le principe très cavernicole de la sainteté de l'être humain terrestre, est en réalité une imposture et la manifestation d'une ignorance doublée d'un sectarisme latent. Croire qu'il est possible de se séparer du principe du Vice, c'est comme croire que l'on peut se séparer de son bras gauche sous prétexte qu'il est moins habile que le bras droit, pour les droitiers, et inversement pour les gauchers. Les deux puissances, qui par déclinaison depuis l'origine du Principe de la dualisation permettent à la Nature de se manifester, se retrouvent dans l'Âme sous l'aspect du Vice et de la Vertu, et sont totalement indissociables l'une de l'autre. Sous une forme symbolisée, ce sont nos deux serpents qui s'enroulent autour du bâton d'Hermès, comme j'ai déjà eu l’occasion de l’expliquer lors d'un précédent article dans le Grand Œuvre d'Hermès Trismégiste.

Je parlais de sectarisme latent, pour ceux qui voudraient se séparer du principe du Vice, car en général ils souhaitent le faire en procédant par extériorisation. Le Vice devient alors rapidement l'autre, ce barbare, cet infidèle, ce mécréant, cet hérétique sur qui il sera si facile de jeter l'opprobre, en se drapant dans une illusoire incarnation de la Vertu faite homme ou femme, et ayant autorité pour jeter l'anathème... À ceux-là, il est urgent de dire que la sainteté qui n'aurait plus de Vice n'est qu'un repaire de brigands à la Foi aveugle et inculte, ainsi que le démontrent l’actualité et une très longue période de l'histoire. Que cela plaise ou non, le Vice et la Vertu sont et resteront indissociables. Il y a du Vice parmi les dieux, puisqu'il y a des démons, et si j'en crois les attributs qui sont généralement accordés à Mercure, il est le messager des dieux, mais aussi le patron des marchands et des voleurs... Le Vice et la Vertu, nous dit Raymond Lulle sont les attributs de l'Âme. Bulwer Lytton, dans son roman Zanoni nous indique : que la pensée est une âme... Il découle de ceci que chaque pensée possède donc une polarité vicieuse et une polarité vertueuse. Je crois sincèrement qu'il est important de prendre en considération toutes ces déclinaisons subtiles du Vice et de la Vertu, avant que de poursuivre dans l'exploration de cette Chrysopée du Seigneur.

Si le Vice ne peut pas être séparé de la Vertu, il est donc vain de vouloir les séparer.

Pourtant si le Vice est ce qui prend place au sein de l'Âme, lorsque la Vertu fait défaut, il convient de considérer qu'il s'agit là de puissances qui vont avoir pour finalité de prendre la domination de cette Âme pour l'asservir à ses desseins. Rappelons-nous, encore et toujours, que les trois Puissances qui gouvernent la Création sont selon la terminologie si pertinente de Fabre d'Olivet : La Providence, la Conscience, le Destin. J'ai longuement expliqué ce que représentaient ces Puissances, et j'invite ceux qui n'en seraient pas encore au fait, à reprendre les articles antérieurs du Grand Œuvre d'Hermès Trismégiste. Pour les autres il leur sera facile de comprendre que la Vertu est l'expression de la Providence, et que le Vice est celui du Destin. Comme la Conscience est la seule Puissance à pouvoir passer de l'une à l'autre, il est donc parfaitement cohérent que les empreintes du Vice et de la Vertu constituent les polarités opposées de cette Conscience. Pour que cette Conscience s'éveille par les acquis de la Connaissance, elle devra comprendre que ce Vice et cette Vertu ne sont que les deux directions opposées d'une même voie ; directions qui s'identifient sous les noms d'involution et d'évolution. Vous remarquerez que ce qui nous apparaît bien souvent sous la forme d'une évidence très ordinaire et ne méritant pas d’attention particulière, renferme en réalité des arborescences si complexes et si luxuriantes, que cela ouvre l'esprit de celui qui fait l’effort d’approfondir la chose, sur l'extraordinaire. Ainsi, en partant simplement du Vice et de la Vertu, nous parvenons à entrevoir (clairvoyance) le Bien et le Mal, l'énergie sexuelle de la Nature sous ses deux aspects masculin et féminin, passif et actif, les Lois de la Providence et celles du Destin, l'évolution et l'involution ; et comme le Tout est dans le tout, nous retrouvons ces principes abstraits dans la moindre des manifestations, même celle de la plus petite pensée. Pensée qui pourra avoir une polarité bonne ou mauvaise, vertueuse ou vicieuse, involutive ou évolutive, passive ou active, providentielle ou fatale ; ce que traduiront la parole et l’action qui en découlent.

Ceci nous renvoie aux difficultés que nous rencontrons dans la pratique d'une pensée juste en vertus. Car pour compliquer la chose il n'y a jamais qu'un vice ou qu'une vertu dans une pensée, mais la potentialité de tous les vices et de toutes les vertus. Vous devez maintenant commencer à comprendre pourquoi cette pratique d'une pensée juste en vertus, est la quintessence de l'initiation, et que sa parfaite maîtrise distingue l'adepte du disciple.

La Connaissance ne passe jamais par l'accumulation de savoirs, mais par l'épreuve de ces savoirs au travers d'une pensée juste en vertus. Pour parvenir à cette maîtrise, encore faut-il avoir fait longuement ses gammes sur le clavier des puissances en cause jusqu’à l’harmonie. Car la Conscience, par le truchement de sa faculté volitive, a ce pouvoir qui lui a été conféré par le sceptre reçu, - comme l'indiquent les Tables de la Loi du Sépher de Moïse -, de régner dans les puissances du Destin ; cette Conscience étant elle-même l'expression des puissances de la Providence. Lorsque la Conscience se laisse, par faiblesse, paresse, indolence, ignorance, dominer par les puissances du Destin, alors elle tombe sous leurs dominations, et perdant ainsi son libre arbitre, elle n'a plus le pouvoir de les utiliser à son profit, mais au contraire, elle est utilisée par ses vices et a son détriment.

Celui qui déguste un bon vin en esthète, en tirera toutes les richesses intellectuelles, et ce vin de boisson organique, deviendra une boisson spirituelle ; sens qu'il convient de donner à la symbolique du vin de messe. Mais que ce buveur se laisse entraîner, d'abord par la faiblesse de succomber à la gourmandise, puis par la suite, par une impérieuse dépendance à boire plus que de raison, et le vin de vertueux qu'il aurait pu être et rester, devient alors un vice aux conséquences d'asservissement et de dégénérescences redoutables. Le juste équilibre (cette analogie des contraires) se trouvant être pour l'esthète dans la Force de dominer sa naturelle appétence aux bonnes choses, pour qu'avec une Juste consommation, sa Tempérance (modération) le cantonne dans une salutaire Prudence qui lui évitera de tomber sous sa domination vicieuse. Alors, ayant domestiqué les puissances du Destin (les vices qui se retrouvent dans toutes les manifestations) il aura, par sa volonté, su s'élever aux vertus du vin.

Nous avons vu dans l'article précédent, que la construction de l"édifice spirituel, se faisait par l'accumulation, pierre par pierre, de pensées justes en vertus. Dans l'extrait qui nous sert de présente étude, Raymond Lulle nous indique que la pratique des Vertus est de même nature. Et il convient ici de rappeler que le sens étymologique du mot "VERTU", signifie FORCE. Que la Force implique obligatoirement la volonté pour sa pratique, et donc que les Vertus ne s'acquièrent que par cet effort de volonté et par rien d'autre.

Lorsque nous parvenons à la pratique régulière d'une vertu, - eh oui, le faire de temps en temps ne suffit pas pour en faire une vertu -, encore faut-il que cela soit une pratique régulière, je dirais même un exercice aussi indispensable que la méditation quotidienne. Donc lorsque que nous parvenons à une pratique régulière d'une vertu, elle en appelle nécessairement d'autres, pour la simple et bonne raison qu'une vertu seule devient rapidement un vice. Alors, comme l'indique notre bon Raymond Lulle, il faut comprendre qu'en face du plus petit de nos vices, nous devons impérativement placer une vertu, d'une part pour lui tenir tête, et d'autre part pour être capables d'utiliser au profit de l’âme-de-vie la puissance du vice...

L'enseignement de la Chrysopée du Seigneur est sur ce point remarquable, car en permettant par l'analogie du contraire, d'accéder à une pensée juste en vertus, il nous enseigne que l'union de ces deux puissances enroulées autour de ce bâton d'Hermès qu'est la Volonté, permet l'élargissement du champ de conscience ; le retour de l'épouse vers l'époux, comme le dirait si bien le Cantique des cantiques de Salomon, et qui signifie en réalité le retour de la faculté volitive vers l'âme-de-vie, cette clé de voûte de l'édifice spirituel.

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