Lao Tseu la Tao 7

Le Tao Tö King du maître Lao-Tseu, Li Eul Pai Yangs.

Livre du Tao Tö King I, Lao Tseu - Sept

Le ciel et la terre sont éternels.

Ils n’ont pas de vie propre.

Voilà pourquoi ils sont éternels.

Ainsi, la première place revient au Sage qui a su s’effacer.

En oubliant sa personne, il s’impose au monde.

Sans désirs pour lui-même, ce qu’il entreprend est parfait.

Il s’était assis à la dernière place.

C’est pour cela qu’il se retrouve à la première.

Lorsque Lao-Tseu affirme que le ciel et la terre sont éternels, il se réfère bien évidemment aux Principes spirituels que sont le "ciel" et la "terre", le visible et l'invisible, le créé et l'incréé. Ils n'ont pas de vie propre, car la vie est ce qui se manifeste, et qui est caractérisé par le mouvement, la forme et la durée. Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'expliquer dans les articles précédents du Grand Œuvre d'Hermès Trismégiste, ce qui a un début, doit obligatoirement avoir une fin. Et ce qui se manifeste, le fait toujours dans la sphère temporelle. Avoir une vie propre reviendrait à être mortel et donc pas éternel.Nous retrouvons ce qu'évoque cette sentence, dans le premier chapitre des Tables de la Loi du Sépher de Moïse, la Genèse où tout se retrouve en Principe et en contingence d'être. Ces Lois Principes desquelles pourront se manifester toute vie propre, sont éternelles car hors du temps. C'est ce qui se situe dans l'Éternel Moment Présent. L'esprit réducteur de l'être humain sera toujours tenté d'attribuer à la terre, ce qu'il perçoit selon ses sens organiques, mais c'est oublier que la terre n'est pas que ce qu'il peut toucher dans la partie la plus dense de la manifestation, comme l'eau n'est pas que l'élément liquide qui n'est dans cet état que selon un champ de manifestation extrêmement limité puisqu'il se situe sur une plage de température de plus 273,15°C à plus 373,15°C. Or l'élément Eau n'est pas que cette manifestation dans cette forme liquide, mais se retrouve sur un nombre infini de manifestations qui vont du zéro absolu, à une température infinie. Ainsi, un gaz se liquéfiera en approchant du zéro absolu ; ce sera aussi le cas d'un métal ou d'une roche soumise à de très fortes températures. L'élément fluidique ne peut donc pas être uniquement réduit à l'eau liquide, mais davantage à un principe n'ayant pas de vie propre, mais se manifestant dans des formes selon les plans et les conditions de cette manifestation. Pour exemple, je prendrais la terre qui se liquéfie sous forme de boue plus ou moins épaisse, et pourtant dans son essence la plus profonde, la terre est essentiellement un feu permanent.

Le "ciel" et la "terre", ne sont donc pas autre chose que des Principes éternels qu'il est possible de percevoir imparfaitement sur les plans les plus denses, comme sur les plans les plus éthériques. Ils n'ont donc pas de vie propre, mais ils sont ce grâce à quoi la vie est possible. Ils sont en outre, dans n'importe quel texte ésotérique, ce qui symbolise l'Air, le subtil, l'esprit, le spirituel, et la Terre, ce qui est physique, dense, lourd, épais, matériel. Dans la tradition orientale, nous retrouvons ces Principes sous les noms de Puruha et la Prakriti, ces deux Puissances spirituelles sont les polarités indissociables de la moindre manifestation.

Pour les alchimistes, le "ciel" et la terre" ont pour correspondance deux vertus cardinales que sont la Justice et la Prudence dont chacune nécessiterait un ouvrage complet pour en faire sommairement l'inventaire.

Ainsi, la première place revient au Sage qui a su s’effacer... Énigmatique formule que celle-ci. On pourrait se demander légitimement le rapport qu'elle peut avoir avec ce qui précède, si l'on oublie de suivre les déclinaisons des Principes jusqu'à leur manifestation intellectuelle et spirituelle. C'est parce qu'un Principe ne souhaite pas être une forme spécifique, qu'il conquiert son statut d'éternité en occupant la position la plus universelle qui soit. Il en est de même pour le Sage, - toutes choses étant égales par ailleurs -, pour qui l'abandon de la forme dans ce qu'elle a de plus égotique lui permet de s'élever à la première place à laquelle l'être humain peut se hisser, et qui est la première, celle du Sage.

En oubliant sa personne, il s’impose au monde... Ce que le Sage est capable de faire pour s'extraire de sa pensée-forme égotique n'est que ce que font le "ciel" et la "terre" qui s'abstiennent d'avoir une vie propre, c'est-à-dire une pensée-forme égotique spécifique. Le Sage n'est plus une personne physique, il est celui qui s'identifie volontairement à un principe plus vaste qui est celui d'une humanité en tant que groupe, vis-à-vis duquel il se met librement au service, avec un altruisme convaincu et sincère. C'est parce que le "ciel" et la "terre" sont des Principes universels qu'ils s'imposent comme fondement de la Divine Création, et non parce qu'ils sont une chose précise, délimitée et tangible. En vertu de la loi de la Table d'Émeraude qui veut que ce qui est en bas soit comme ce qui est en haut, le Sage ne s'impose pas au monde par la manifestation de sa personnalité, mais davantage par sa préoccupation des autres avec générosité et désintéressement, et le respect de l'ordre souverain des choses Lao-Tseu nous révèle dans cet extrait, l'étendu et l'universalité d'une pensée dont le Justesse en vertus est en parfaite conformité avec celle des lois de la Divine Providence. C'est d'ailleurs pour cela que son analogie entre les Principes du "ciel" et de la "terre", se révèle parfaitement pertinente avec celle du Sage et devient par la même intemporelle.

Sans désirs pour lui-même, ce qu’il entreprend est parfait... Après avoir abondamment abordé les sujets que sont les désirs, les émotions et les passions dans mes différents articles, il ne sera pas difficile aux lecteurs de comprendre le sens ésotérique de cette formule si pleine de véritable sagesse. Notons un enseignement que nous transmet ici le maître en nous indiquant que la quête de perfection d'un état de manifestation n'est accessible qu'en parvenant à l'épuration de ses pensées, dont les contaminations pernicieuses proviennent essentiellement des désirs, des passions et des émotions. Bien que très édulcorée, nous retrouvons cette préoccupation de pensées épurées, dans le domaine de la justice humaine, qui ne peut prétendre à remplir sa fonction qu'à la condition d'être sereine, c'est-à-dire en dehors des passions et des émotions, ce qu'elle ne parvient à faire que très imparfaitement.

Il s’était assis à la dernière place... Le maître nous indique par cette formulation, que le plus haut degré de sagesse n'est accessible que par la pratique de la plus importante des vertus, je veux parler de l'Humilité, que j'aie précédemment abordé dans certains articles. L'humilité n'est pas la fausse modestie dont se pare la plus extrême des vanités pour se donner encore plus de prétention, ni davantage l'humiliation qui n'est qu'un manque certain de discernement subtil. L'humilité est la juste vision des proportions et des puissances du "ciel" et de la "terre". Elle implique un discernement subtil, qui ne peut provenir que d'un haut niveau de Connaissance. La pratique de l'Humilité n'est pas une servitude, sauf pour les egos arrogants, suffisants et profondément ignorants, bien au contraire l'humilité est une vertu infiniment libératrice. En nous donnant une juste vision des choses, des réalités et des fonctions de notre complexion humaine, par rapport à celles des infinies puissances desquelles nous sommes tributaires, l'Humilité permet de comprendre que nous n'avons pas la faculté et encore moins le pouvoir de changer quoi que ce soit dans l'ordre souverain des choses, mais que c'est cet ordre souverain qui est là pour nous permettre de nous changer, si nous en manifestons la volonté. L'Humilité ne nous fait pas assumer le lourd fardeau de faux devoirs que d'habiles flatteries extérieures voudraient nous imposer en profitant de nos faiblesses égotiques. L'Humilité nous rend clairvoyants en nous faisant comprendre que nos émotions qui nous pousseraient à protéger la gazelle de l'appétit du lion, priveraient aussi ce dernier de son indispensable repas... Tout comme la tentation sentimentale de vouloir soulager le malheur d'autrui, sans tenir compte du fait que chacun est l'unique artisan de son propre malheur, peut avoir pour conséquence de repousser la salutaire sanction susceptible d'engendrer une rédemption, pour une sanction ultérieure encore plus pénible et douloureuse. L'Humilité n'est pas une absence de responsabilité, mais un sens très élevé des responsabilités, qui tient compte des règles qui fondent la Justice Divine. Enfin, l'Humilité est ce qui fait prendre véritablement Conscience de ce que nous sommes, de ce que nous ne sommes pas, et du chemin qui reste à parcourir pour y parvenir. Elle nous fait aussi prendre Conscience de nos pouvoirs, de ceux des puissances supérieures, et de la perversité que provoque le moindre sentiment de vanité qui en général ne repose que sur ceux que nous croyons dépasser, mais rarement sur tout ce qui nous dépasse et qui est de loin infiniment supérieur. C'est encore l'Humilité qui permet de comprendre que ce qui sépare ceux que nous croyons dépasser (inférieurs) de ce que nous sommes, n'est en réalité qu'une question de temps. C'est aussi l'espérance que nous offre cette vertu, car ce qui nous sépare de ceux qui nous dépassent de beaucoup, n'est pas autre chose que cette question de temps. S'asseoir à la dernière place, c'est faire la démonstration de son élévation intellectuelle et spirituelle en ne considérant pas les hiérarchies sur le plan physique de l'humanité comme autre chose que des enfantillages.

C’est pour cela qu’il se retrouve à la première... Car comme le dit si justement l'Évangile de Saint Thomas : les premiers se feront les derniers et ils seront Un. Il n'y a que chez les ignorants que la première place est occupée par celui qui se vante le plus d'en être digne. Invariablement, et l'histoire est là pour le démontrer, ce sont les plus vaniteux, mais rarement les plus compétents qui occupent le trône du pouvoir temporel. Enfin, il convient de souligner qu'il n'y a pas de grandeur sans Humilité et celui qui est véritablement capable de pratiquer cette vertu se retrouve au niveau de grandeur qui le rend digne de cette première place comme l'entend la Divine Providence.