Lao Tseu le Tao 3

Le Tao Tö King du maître Lao-Tseu, Li Eul Pai Yangs.

Livre du Tao Tö King I, Lao Tseu - Trois

Il ne faut pas exalter les hommes de mérite afin de ne pas éveiller de ressentiments.

Il ne faut ni priser les biens rares, car ce serait inciter au vol, ni exhiber les choses enviables,

pour ne pas troubler les coeurs.

Aussi, le Sage, dans son gouvernement, fait le vide dans le coeur de ses sujets.

Il détruit en eux désir et passion qui peuvent les troubler, mais veille à bien les nourrir.

Il doit affaiblir leur volonté tout en fortifiant leur corps.

Il doit obtenir que le peuple soit ignorant mais satisfait et que la

classe cultivée n’ose agir.

S’il pratique le non-agir, l’harmonie est préservée.

L’ordre est maintenu.

L’empire gardé.

Commentaires :

Très énigmatique que cette troisième sentence du Maître Lao-Tseu.

Il ne faut pas exalter les hommes de mérite afin de ne pas éveiller de ressentiments. Éveiller les ressentiments de qui?... Des hommes qui ne sont pas de mérite... Voilà un regard sur l'ensemble de la nature humaine qui en dit long sur ce qu'en pensait le Maître... Manifestement il nous enseigne que l'initiation la plus élevée passe nécessairement par le sondage et la connaissance du coeur des êtres humains, et qu'il ne faut pas se faire trop d'illusions sur ce que le postulant à la sagesse doit s'attendre à y découvrir...C'est, en plus grossier et plus caricatural, ce qu'exprime la parabole de la crucifixion de l'avatar Jésus ; et c'est aussi pour cette raison que celui qui reviendrait dans la fameuse caverne de Platon, auréolé des lumières extérieures à cette caverne, pour en faire profiter les cavernicoles velus qui n'auraient pas encore eu ou la curiosité, ou le courage de jeter un oeil à l'extérieur, se verrait plus que probablement rejeter par ces esprits simiesques, dans le meilleur des cas, et dans le pire, assurément étriper par cette bande de féroces incultes et superstitieux en diable.

L'homme de mérite n'a nul besoin d'être exalté, la pratique sereine de l'humilité sans laquelle il n'est pas de grandeur possible le préserve d'avoir jamais besoin de la considération des médiocres, qui lui serait probablement plus une offense qu'une bénédiction. Que celui qui reconnaît des mérites à cet homme s'en garde donc d'en manifester un enthousiasme passionnel, car cela n'ajouterait rien aux mérites de cet homme, mais aurait pour redoutable conséquence d'exalter les passions de basse intensité chez les autres, ce qui se traduit invariablement par des émotions sordides, vicieuses et aveuglantes. Lao-Tseu nous dit, avec son élégance coutumière, mais sa clairvoyance redoutable, que le ressentiment chez les hommes de peu de mérites, n'est jamais une bonne chose, et que le sage qui peut se prévaloir d'une Connaissance que ne possède pas le profane se doit d'être en la circonstance le riche qui donne aux pauvres...

Il nous révèle aussi, comme l'indique d'ailleurs avec précision le reste de cette admirable sentence, que la sagesse ne consiste pas à s'élever vers un absolu solitaire et indifférent aux autres, mais en réalité tout le contraire. Le sage, par la Connaissance de sa propre nature, et par voie de conséquence de la nature de ses frères et soeurs de mêmes complexions, ayant le privilège de recevoir de la Divine Providence des richesses exceptionnelles, se doit, pour être un homme de mérite, de s'efforcer de les répandre avec sagesse, au sein de cette communauté au service de laquelle il se met, sachant par ailleurs qu'il ne doit en attendre aucune gratitude, ni aucune autre récompense que celle qui permettra, quelques fois et très rarement, de permettre à quelques-uns de ses semblables de se tourner vers cette Divine Providence ; et aux autres de ne pas se laisser emporter par le flot si dévastateur de leurs passions invalidantes.

Lao-Tseu nous enseigne ici, toujours avec cette grande subtilité que nous retrouvons comme étant la marque des grands initiés, que les passions des individus qui ne sont pas à mettre au rang des hommes de mérite, est invariablement une mauvaise chose au point qu'il convient à un sage de veiller à ne jamais permettre son développement... Admirable Connaissance intemporelle que celle-ci, si nous faisons l'effort de constater que depuis qu'elle a été émise, il y a plus de 2.500 ans, elle se trouve totalement validée, tant par l'histoire qui s'est écoulée depuis, que par l'actualité la plus brûlante. Comment ne pas constater qu'à la base des plus grands fléaux de l'humanité, il n'y a que de sordides passions ayant pour progénitures des Fois aveugles et des intolérances sectaires et destructrices.

Les calamités naturelles, malgré leurs ampleurs et leurs puissances dévastatrices colossales, ont fait moins de victimes au sein de l'humanité que les passions engendrées par les nationalismes tribaux, les ardeurs de vaincre ces autres qui sont invariablement jugés comme des barbares; les passions que l'on se charge d'exalter dans une population volontairement maintenue dans la plus grande ignorance, en l'amour d'un dieu vengeur qui réclame de boire le sang de tous ceux qui refusent de croire en lui et sa bonté dévorante et destructrice ; les passions de ceux que l'on a endoctrinés dans la conviction illusoire qu'ils étaient les civilisateurs de ces peuples inférieurs et dégénérés. Ou encore, ce qui est hélas, d'une ardente actualité, la passion de porter la bonne parole d'une vérité que l'on voudrait absolue celle de la "démocratie", imposée à la force des armes avec la fausse barbe des interventions militaro-humanitaires, boite de pandore dangereusement ouverte par des irresponsables et qui travestit le vice militaire en pseudo vertu humanitaire, comme aime à le faire l'angélisme benêt des romantiques prosélytes des fallacieux lendemains qui chantent...

Lao-Tseu dans son infinie sagesse, nous explique dans cette sentence, que si la passion et les émotions sordides qu'elle engendre, n'est jamais une bonne chose pour l'individu de peu de mérite, et par voie de conséquence pour l'humanité dont il est membre, il convient que ceux qui entendent gouverner cette humanité, quel que soit l'échelon sur lequel ils se situent, doivent le faire en jugulant leurs propres passions et celles des sujets qu’ils administrent; que c'est là, la responsabilité de celui qui gouverne, et qu'il ne peut y avoir que des troubles et des désordres sans nom, lorsque le principe de gouvernance repose sur l'exaltation passionnelle des membres d'une collectivité d'âmes, comme la réalité le démontre encore si souvent.

Veiller sur le faible en le protégeant du fort, sur l'ignorant en ne lui permettant pas de nuise à autrui à cause de son ignorance, affaiblir les velléités des volontés émotionnelles, qu'elles soient politiques, religieuses, philosophiques ou même culturelles, reste encore, pour qui a sondé le coeur des hommes, la plus importante action à mettre au service de cette humanité... En tout cas, l'histoire récente ou plus lointaine démontre invariablement que la violation de ce principe n'est jamais profitable, mais toujours calamiteuse.

Il doit obtenir que le peuple soit ignorant, mais satisfait et que la classe cultivée n’ose agir. Ici, certains pourraient trouver que se satisfaire de l'ignorance du peuple est contraire à bien des principes d'une civilisation évoluée, mais ce serait méconnaître une réalité d'une toute autre amplitude, qui est que : quelle que soit l'évolution d'une civilisation, le peuple (qui représente ce que Confucius appelait le plus grand nombre) a toujours été, et sera toujours ignorant. Cette ignorance se mesurant non pas à l'aune de ce que savaient les peuples antérieurs qui se trouvaient au début de la croissance de cette civilisation, mais par rapport aux plus cultivés de ses membres actuels. On peut dire que suivant ce critère, les peuples sont toujours ignorants et que c'est là l'ordre immuable des choses. Lao-Tseu démontre par cette sentence qu'il est en harmonie avec les Lois de la Divine Providence et qu'il n'ignore rien de celles du Destin. Notons qu'il fait ici référence à la classe cultivée, ce qu'il convient de distinguer des Initiés. Être cultivé, consiste en une accumulation de savoir qui ne confère pas, et ne conférera jamais la moindre once de sagesse. C'est même souvent, pour ne pas dire toujours, par la classe dite cultivée que se déchaînent les pires passions. Alors, le sage qui a autant de recul envers le peuple ignorant, qu'envers cette classe cultivée, qu'il ne considère pas comme étant composée par des hommes de mérite, se garde bien de laisser l'un (le peuple) se laisser dévorer par les passions de l'autre (la classe cultivée)... L'harmonie se trouve bien évidemment toujours sur la voie du juste milieu, ou de l'analogie des contraires comme le revendiquent les adeptes de l'hermétisme. Et pour le Maître il s'agit du non-agir... Non-agir qui ne veut pas dire ne rien faire, comme l'interprète trop souvent ceux qui font une lecture superficielle de ces admirables sentences, mais de ne pas permettre aux démons passionnels et émotionnels de se manifester en réaction à une action inconsidérée ; ce qui implique la pratique des vertus, mais nous aurons l'occasion de constater lors des prochaines sentences du Tao comment s'orchestre cette pratique.

Pour conclure sur cette brève analyse d'une sentence qui contient tant de richesses subtiles, je voudrais juste attirer l'attention du lecteur sur le fait que Lao-Tseu, fidèle en cela à sa doctrine générale, considère qu'avant de parvenir à gouverner un empire, il faut bien évidemment être capable de parvenir à se gouverner soi-même... Qui peut le plus, doit pouvoir le moins, ou comme le dit encore le Maître :

Le difficile et le facile s'accomplissent l'un par l'autre.

Par la destruction des désirs et des passions qui pourraient germer dans le cœur des êtres de peu de mérites, Lao-Tseu nous enseigne que les démons du vice utilisent le plus puissant pouvoir qu’ils ont à leur disposition pour asservir ces individus, et ce puissant pouvoir a pour nom : L’émotion !

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