Paysans et seigneurs 2

Pour continuer à exploiter leurs terres, les grands propriétaires doivent s’adapter aux changements sociaux. La première solution à ce problème fut la division des grandes propriétés en manses [1] ; il s’agissait pour les grands propriétaires d’accueillir des colons, en échange de redevances : une partie de la récolte ou un service.

 

Le manse. « Ce vocable met l’accent sur la résidence. Il désigne en effet d’abord la parcelle enclose, strictement entourée de barrières qui délimitent l’aire inviolable où la famille est chez elle avec son bétail et ses provisions [2]. Mais le mot en vient à désigner l’ensemble des biens fonciers dont cette parcelle habitée constitue le cœur, toutes les annexes éparses [...]. On arrive même à attribuer au manse une valeur coutumière, à l’utiliser comme une mesure définissant l’étendue de terre qui convenait à l’entretien d’un foyer. On parle ainsi comme la terre d’une charrue : étendue de terre qu’un attelage pourrait labourer dans l’année c.-à-d. 120 journaux (30 bonniers) ».

 

Progressivement, ces manses furent remplacées par la sous-traitance, par le bail à ferme, ou par le partage : la tenure à cens.

 

Le bail à ferme est un concept similaire à celui que nous connaissons encore aujourd’hui. Moyennant des redevances et des obligations, un fermier exploite une ferme pour une période déterminée, généralement 9 ans. En annexe, j’ai dressé une liste des fermiers connus de la cense Vlemincx. Le premier fermier connu serait Henri le Begge qui aurait loué la ferme vers 1538.

 

La tenure à cens est une concession de terres pour une très longue durée. Dans nos régions, elle est à perpétuité. Le concessionnaire fait ce qu’il veut de cette terre : il la partage, il la loue, il la vend, il y construit un bâtiment ; et cela à une seule condition impérative : le paiement annuel d’une redevance. Ne pas payer le cens (faire défaut) a une sanction immédiate : elle met fin à la tenure et le propriétaire la reprend et généralement la remet en vente. Les rentes de ces tenures, appelées cens, sont généralement payables en nature.

 

Les propriétaires de tenures à cens ou à fief tenaient des registres séparés de ces contrats. Pour Folx-les-Caves, nous possédons encore quelques registres du chapitre Saint-Denis à Liège et des seigneurs de Jauche, qui ont échappé aux vicissitudes des guerres et révolutions.

 

Pour Saint-Denis, nous avons en ce qui concerne Folx-les-Caves :

·       1324 [3] Un polyptyque, c.-à-d. un inventaire des biens et revenus. Pour Folx-les-Caves, Foulx in brabantia à ne pas confondre avec Fooz in hesbania, on y déclare un courtil près de l’église, 60 bonniers de terres mansuales. Il n’y a pas d’indication de manses, et ce qu’on appelle terres mansuales serait en fait des tenures soumises au cens. En outre ce polyptyque indique 24 bonniers de « culture » qui seraient tenus par des « villicus », c.-à-d. des fermiers.

·       1712 [4]« Registre des Cens et rentes qui sont deù a Messieurs les Doyens et Chapitre de la venerable Eglise Collégiale de St Denis a cause de la Srie foncier qu’il ont a foulx en Brabant renouvellé par Godefroid Mathy.. ». Dans ce registre, on note les déclarations de biens tenus du Chapitre Saint-Denis. On trouve la déclaration de madame Paheau, « comme représentant [5] ceux de la Bawette ». Elle signe « À T De vos veufve du Sr Paheau ».

·     Ensuite, nous avons les registres de comptes [6] qui nous apportent quelques informations nouvelles. Nous y voyons que les cens dus par madame Paheau sont payés par Rouelle, Boucqueau et Vlemincx.

·     Enfin les registres de baux. François Paheau avait acheté les terres de la Bawette en 1665 aux héritiers Fabri. Dans ces registres, nous apprenons qu’en 1666 [7], le chapitre loue pour une durée de 6 ans, toutes leurs terres « gisantes au lieu de Folz en Braibant contenant trente ung bonniers et trois verges grandes et diex huict petites » à François Paheau « receveur du banlieu de Namur [8]». Ce bail est renouvelé en 1672 et 1678.

 

Mieux conservés sont les registres des fiefs et cens des seigneurs de Jauche [9]. Ils ne furent seigneurs de Folx-les-Caves qu’à partir de 1648, mais y possédaient déjà des fiefs auparavant. Ces registres avaient une valeur marchande. Ainsi en 1780 [10], lorsque le comte de Berlaymont vendit la seigneurie de Jauche et des villages avoisinants, les livres censaux et féodaux faisaient partie de la vente.


[1] Les « meiseniers », en français maisniers, formaient en Brabant une caste paysanne privilégiée. On suppose que l’origine de ce nom était mansionarius désignait en latin le détenteur d’un manse. https://fr.wikipedia.org/wiki/Maisnier.

[2] G. Duby, Guerriers et paysans, Galimard, 1963, p. 64.

[3] AELg, Archives de la collégiale Saint-Denis, n° 8.

[4] AELg, Archives de la collégiale Saint-Denis, n° 482.

[5] « Représentant ceux de la Bawette » signifie qu’elle a acquis les biens inscrits dans de plus anciens registres comme appartenant aux de la Bawette.

[6] AELg, Archives de la collégiale Saint-Denis, n° 483 (1740-1777) et 484 (1789-1796).

[7] AELg, Archives de Saint-Denis, n° 17.

[8] Ce titre de « receveur de la banlieue de Namur » désigne une autre fonction exercée par François Paheau.

[9] Ces registres sont conservés dans deux dépôts d’archives : celles de l’État à Louvain-la-Neuve et celles à Gand.

[10] GSN 4819, Autre-Église. Les archives de Jauche et villages aux alentours sont en désordre. Beaucoup d’actes concernant Jauche sont classés à Autre-Église.