Annexe 8 La féodalité. Paysans et seigneurs

Annexe 8 La féodalité. Paysans et Seigneurs

Quand on lit l’histoire d’un village sous l’Ancien Régime, on rencontre des concepts d’un autre temps : seigneur, fief, cens, relief, mainmorte, etc. Ces concepts sont liés à la féodalité rurale qui gérait la possession des terres et de leurs habitants. Elle trouve son origine à la fin de l’Empire romain, au début du haut Moyen Âge. Cette époque est marquée par la disparition de l’esclavage et du servage qui fournissaient la main-d’œuvre nécessaire aux exploitations agricoles ; mais aussi par d’incessantes guerres entre les chefs de clans ; à celles-ci s’ajoutent les guerres de conquête et celles contre les invasions. Il y avait donc une forte insécurité.

 

On est loin de la Paix romaine quand l’administration et les lois romaines pacifiaient nos régions.

 

Ces deux faits marquants peuvent être considérés comme l’origine du système féodal qui ne sera aboli, dans nos régions, qu’à la fin du XVIIIe siècle par la Révolution française. Ce système féodal est très compliqué, car géré par des coutumes qui diffèrent de lieu en lieu. Je n’en donnerai ici que quelques aperçus.[1]


 La seigneurie « banale »[2]


 La conséquence des incessantes guerres est la décentralisation du pouvoir « régalien » au profit de l’aristocratie. Celle-ci fournit les hommes armés pour mener les guerres, assure le maintien de l’ordre, rend la justice, lève les taxes. L’équilibre du système repose sur la vassalité : c’est une pyramide de pouvoirs dont le sommet est le souverain, ensuite la haute noblesse (duc, barons, etc.), puis les seigneurs, détenteurs d’une seigneurie sur laquelle ils exerceront certains droits régaliens dont le plus important est le droit de justice.

Au départ, le suzerain était le protecteur de son vassal. Lors d’une cérémonie appelée le relief ; ce dernier lui rendait hommage : « Je suis votre homme » et lui jurait fidélité. François Ganshoff [3] a traduit le texte d’un des serments datant du VIIIe siècle : « Au magnifique seigneur un tel, moi un tel. Attendu qu’il est tout à fait connu de tous que je n’ai pas de quoi me nourrir et me vêtir, j’ai demandé à votre pitié de pouvoir me livrer ou me recommander en votre maimbour ; ce que j’ai fait : à savoir de cette manière que vous devrez m’aider et me soutenir aussi bien quant au vivre que quant au vêtement dans la mesure où je pourrai vous servir et mériter de vous […]. » Le serment indique la nature du contrat de vassalité : le suzerain apporte un soutien matériel à son vassal en échange de services. Au début, ces services sont militaires, plus tard ils se limiteront à des obligations financières. Le soutien matériel sera généralement une terre, parfois un moulin. Ces tenures de fiefs ont une durée illimitée dans le temps ; elles sont transmissibles par héritage ou par vente. Le relief de chaque transmission doit se faire dans un délai de 40 jours.  Outre l’hommage et le serment, il s’accompagne du paiement d’un droit de relief.[4]

 

Les fiefs et les reliefs étaient enregistrés dans des registres aux reliefs dont le plus ancien conservé à Jauche date de 1440 [5].

 

À Folx-les-Caves, le sommet de la hiérarchie est l’empereur du Saint-Empire germanique, suzerain du duc de Brabant [6]. Du duc de Brabant dépendait le baron de Jauche. La suzeraineté sur Folx-les-Caves était essentiellement aux mains du duc de Brabant, le seigneur de Jauche n’était suzerain de quelques fiefs à Folx-les-Caves. En 1630, Philippe IV roi d’Espagne, en tant que duc de Brabant, engage [7] la seigneurie de Folx-les-Caves pour une somme de 800 florins. En 1648 [8], elle est vendue, pour un supplément de 1200 florins, à Guillaume de Cottereau, baron de Jauche. En 1780, la seigneurie de Folx-les-Caves est revendue avec la baronnie de Jauche au comte Vander Meere de Cruyshautem baron de Bautersem, qui sera le dernier seigneur de Folx-les-Caves [9].  L’acte de vente publique indique tous les droits du seigneur : « haute, moïenne et basse justice, droit de chasse et de peche d’etablir Chef Mayeur de jauche, mayeurs Echevins, Greffiers et sergents, droit de morte main d’afforenaité [10] de succession et biens des batards, […] ».

Cette seigneurie y possède donc tous les droits de justice.

Les droits de mainmorte et d’afforenaité sont des droits de seigneurie foncière : ils sont liés au servage et tombés en désuétude lors de la disparition de celui-ci. Comme très souvent le seigneur banal était également seigneur foncier.


La seigneurie foncière

 

Alors que la seigneurie banale s’inscrivait dans une hiérarchie militaire, il existe aussi une seigneurie foncière liée à la possession de terres.

Dans nos régions, jusqu’à la période industrielle, la terre était la principale source de richesse, indispensable pour nourrir, vêtir et loger les hommes. Depuis le début de la période historique, et peut-être avant, la terre était propriété d’une caste proche du pouvoir politique qui pouvait distribuer les terres en échange de services rendus.

 

Il est certain que Folx-les-Caves et ses environs faisaient partie d’un vaste domaine agricole, d’origine romaine. Les vestiges d’une villa romaine à Autre-Église, les cimetières romains et mérovingiens de Folx-les-Caves en sont la preuve [11]. Selon Jean-Jacques Jespers, l’origine du nom « Folx » est « fundus » : domaine en latin [12]. Le plan de l’ancienne église de Folx-les-Caves est celui d’une église mérovingienne, similaire à celle dont les fondations ont été retrouvées à Nivelles [13]. Seule la tour a été conservée.

 

Au haut Moyen Âge, il était fréquent que, à titre de rémission de leurs péchés, des aristocrates lèguent des terres aux abbayes et aux chapitres. Ce fut l’origine des énormes domaines agricoles des abbayes de Nivelles, de Villers, etc.

 

En 1222 [14], l’évêque de Liège, Hugues de Pierrepont, accorde au chapitre de la collégiale Saint-Denis à Liège des obédiences [15] appartenant à son prévôt Henry de Jauche [16]. Parmi celles-ci, celle de Folx-les-Caves, dont le chapitre Saint-Denis devient seigneur foncier jusqu’à la suppression de la féodalité lors de l’annexion de la Belgique par le Directoire français en 1795.

Ce n’est pas la seule possession du chapitre Saint-Denis. Le polyptyque de Saint-Denis, datant de 1324, indique que le chapitre avait des possessions dans un grand nombre de villages de Hesbaye liégeoise et brabançonne, dans le duché de Limbourg [17] et le comté de Looz [18].

 

« Le seigneur foncier est plus qu’un grand propriétaire : il ne se contente pas de percevoir une sorte de loyer : il tranche aussi certains conflits relatifs aux terres tenues de lui et plus tard les transferts de telles tenures ne pourront se réaliser que par devant les échevins choisis par lui [19]». À Folx-les-Caves, cette gestion locale se faisait devant une cour foncière siégeant dans le village. Nous en avons gardé quelques archives pour la période allant de 1464 à 1795[20].


Domaines agricoles, esclaves, serfs, hommes libres

 

À la période romaine et au haut Moyen Âge, les grands domaines, les « villae » étaient exploités par des esclaves. Leur origine était principalement des prisonniers de guerre. « À l’époque franque, leur effectif tend à diminuer, surtout en raison de la difficulté pour les grands propriétaires de s’en procurer. Leur statut va s’améliorer, sous l’influence de l’Église et du fait de leur rareté, qui conduit de plus en plus de grands propriétaires à renoncer à une exploitation directe et à caser ces esclaves sur une tenure, à charge de redevances et corvées. Par contre, un nombre croissant de petits paysans libres se voient contraints d’entrer dans la dépendance des grands propriétaires. [21] […] .». Sous l’influence de l’insécurité, « l’esclavage fait place au servage : le serf n’est plus une chose, comme l’esclave, mais un individu ayant certains droits, celui de cultiver la tenure sur laquelle il est établi, celui de se marier. Même ces droits sont limités : le serf ne peut, en principe, épouser qui n’est pas serf du même seigneur [22]. Il ne peut quitter le domaine de son maître [...] ; celui-ci recueille au décès du serf une partie de sa succession (droit de mainmorte)

À partir du XIIe siècle, la situation sociale dans les campagnes est influencée par le développement des villes et les défrichements. Pour garder leur main-d’œuvre, les grands propriétaires sont obligés de relâcher la pression qu’ils exerçaient sur leurs paysans. Parallèlement avec l’émancipation des villes, les serfs sont affranchis progressivement ; dès 1248, Henri II duc de Brabant, supprime le droit de mainmorte sur les localités dont il détient les droits seigneuriaux. Sans être supprimé formellement, le servage a pratiquement disparu au XVIe siècle. Pourtant, en Europe, le servage se maintint en Russie jusqu’en 1861.


[1] Pour avoir une vue plus complète, voyez : Ph. Godding, Le droit privé dans les Pays-Bas méridionaux du 12e au 18e siècle, Bruxelles, 1987.

[2] H. Platelle & D. Clauzel, Histoire des provinces françaises du Nord, t. 2, p. 33. Les derniers siècles du Moyen Âge et surtout les historiens ont distingué par des termes spéciaux les deux formes de seigneurie rurale. La seigneurie « foncière » a un contenu plutôt d’ordre économique en rapport avec l’exploitation des terres, la seigneurie « banale » recouvre des droits qui appartiennent à l’État : les droits de juger et de taxer.

[3] F. L. Ganshoff, Qu’est-ce que la féodalité ? 5e édition, 1982, p.28.

[4] Ph. Godding, op. cit. p. 159.

[5] GSN 4329, Jauche ; ce n’est qu’un fragment. Les registres de reliefs de Jauche sont aux archives de l’état à Louvain-la-Neuve et à celles à Gand dans le fonds Desmanet de Bienne.

[6] Vers 1190, l’empereur Henri VI avait confié la dignité ducale du Brabant au comte de Louvain qui devient Henri 1er de Brabant. Lisez à ce sujet Paul Bonenfant, Du duché de Basse-Lotharingie au duché de Brabant, Revue belge de Philologie et d’Histoire, t. 46, 1968, pp.1129 à 1165. Il tente d’éclaircir une période très confuse de l’Histoire de Belgique.

[7] Met en gage moyennant un prêt.

[8] GSN 6441, Folx-les-Caves. Dès 1630, Philippe IV, roi d’Espagne et duc de Brabant, est à court d’argent à cause de ses guerres quasi permanentes. La guerre, dite de Trente Ans (1618-1648), oppose la France de Louis XIV et les états protestants dont les Provinces-Unies (la Hollande) aux états des Habsbourg dont l’Espagne. Le traité de Westphalie qui la termine scelle l’indépendance des Provinces-Unies. Après ce traité, la guerre entre l’Espagne et la France continuera jusqu’en 1659, terminée par le traité des Pyrénées.  Cette vente apparaît dans J. Leroy, Histoire de l’aliénation, engagère et vente des seigneuries... du duché de Brabant…, p. 23.

[9] GSN 4819, Autre-Église. Conditions de vente publique de la terre et Baronnie de Jauche.

[10] Ce droit, dit aussi droit de formariage, est un reliquat du Moyen Âge : quand un seigneur pouvait interdire à un de ses serfs d’épouser quelqu’un qui n’était pas serf du même seigneur. En fait, ce n’était devenu qu’un prétexte à lever une taxe. Voyez Ph. Godding, op. cit., p.48.

[11] M. De Ro, http://micheldero.be/Folx-les-Caves%20Cadre_historique_av_BBT_e.pdf

[12] J-J. Jespers, Dictionnaires des noms de lieux en Wallonie et à Bruxelles, 2005, p. 259.

[13] L’église Saint Paul était celle des chanoines de Nivelles. Elle fut détruite à la Révolution française.

[14] AELg, Archives de la collégiale Saint-Denis, n°1 Cartulaires.

[15] J. F. Niermayer, Mediae latinatis lexicon minus, Leiden 1976, p. 726, domaine ou ensemble domanial appartenant à une maison religieuse, dont la régie est confiée à un moine ou à un chanoine.

[16] J.-J. Sarton, Histoire de la commune de Jauche, p. 75. Il est dit fils de Renier de Jauche (1156-1183) seigneur de Jauche, époux d’Ide de Mons, petite-fille de Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut, roi de Jérusalem.

[17] Le duché de Limbourg n’a rien à voir avec la province de Limbourg actuelle. Centré autour de la ville de Limbourg, dans la province de Liège, il appartient depuis le XIIIe siècle au duc de Brabant.

[18] Ce comté appartenait à la principauté de Liège ; son territoire correspond à peu près à celui de la province actuelle de Limbourg.

[19] H. Platelle et D. Clauzel, Histoire des provinces du Nord. Des principautés à l’empire de Charles Quint, p.33.

[20] AELLN, Folx-les-Caves, GSN 441/1, 441/3 et 441/4.

[21] Ph. Godding, op. cit., p. 47.

[22] Pour se marier en dehors de la seigneurie, il devait payer un droit de formariage.