Créance sur la succession, rôle du juge et du notaire

Cour de cassation

chambre civile 1

Audience publique du mercredi 13 mai 2015

N° de pourvoi: 14-11116

Non publié au bulletin

Cassation partielle

Mme Batut (président), président

SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat(s)

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Rolande X... est décédée le 1er avril 2005 en laissant pour héritiers son fils, M. Y..., et, en représentation de Françoise Y..., sa fille prédécédée, trois petits-enfants, MM. Xavier, Geoffroy et Charles-Henry Z... ; que des difficultés se sont élevées lors des opérations de liquidation et partage de la succession ;

Sur la première branche du premier moyen :

Vu l'article 480 du code de procédure civile ;

Attendu que, pour dire que M. Y... doit à la succession une indemnité d'occupation d'un montant fixé au 4 octobre 2011, l'arrêt retient que, dans une décision du 20 mai 2008, la cour a jugé qu'il est redevable d'une telle indemnité depuis l'ouverture de la succession et a réservé la fixation de son montant dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, lequel est intervenu le 27 mai 2001 ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le dispositif de l'arrêt du 20 mai 2008, qui donne mission à l'expert judiciaire de déterminer la valeur locative de la villa litigieuse et ordonne à M. Y... de libérer les lieux, ne contient aucune disposition statuant sur le principe d'une condamnation de celui-ci à verser une indemnité d'occupation, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le deuxième moyen :

Vu l'article 4 du code civil ;

Attendu que, pour rejeter la demande de M. Y... de fixer le montant de sa créance sur la succession au titre des dépenses qu'il a exposées pour le compte de celle-ci, l'arrêt retient qu'il appartiendra au notaire désigné pour procéder aux opérations de compte, liquidation et partage de la succession d'établir les comptes et, sur justificatifs des paiements, le montant des sommes dues à M. Y... au titre des sommes avancées par lui pour les charges et l'entretien de la villa ;

Qu'en se dessaisissant et en déléguant ses pouvoirs au notaire liquidateur, alors qu'il lui incombait de trancher elle-même la contestation dont elle était saisie, la cour d'appel a méconnu son office et violé le texte susvisé ;

Encore sur le troisième moyen :

Vu l'article 827 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, applicable en la cause ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que la licitation des immeubles indivis ne doit être ordonnée que s'ils ne peuvent être commodément partagés en nature ;

Attendu que, pour ordonner la licitation de la villa sise à La Croix-Valmer, l'arrêt énonce que la succession étant constituée essentiellement de ce bien immobilier, il apparaît que si un partage en nature est envisageable sur le plan technique, selon l'expert, il n'est pas amiablement possible, en l'espèce, compte tenu des conflits existant entre les héritiers ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si le bien indivis était ou non commodément partageable en nature, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Enfin, sur la première branche du quatrième moyen :

Vu l'article 1134 du code civil ;

Attendu que, pour rejeter la demande tendant à faire juger que l'acquisition, le 6 avril 1961, de l'immeuble de Savigny-sur-Orge par Françoise Y... résultait d'une donation faite par la défunte, l'arrêt retient que l'expert a relevé que la donataire « travaillait depuis 1958, comme dactylographe avec un salaire mensuel de 400 francs » ;

Qu'en statuant ainsi, alors que dans le rapport il était écrit qu'avaient été communiqués à l'expert « un certificat de travail indiquant que

du 19 juin 1958 au 4 août 1959, Mme Y... a occupé le poste de dactylographe débutante, du 5 août 1959 au 31 octobre 1961, celui de dactylographe 1er degré, et à partir du 1er novembre 1961, celui de standardiste » et « un courrier du 29 novembre 1961 de la société Constant indiquant qu'à compter du 1er novembre 1961 le salaire de Mme Y... était de 400 francs par mois », la cour d'appel a dénaturé le rapport de l'expert ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé une indemnité d'occupation à la charge de M. Y..., ordonné la licitation de la villa sise à La Croix-Valmer et rejeté ses demandes de fixation de sa créance sur la succession et relative aux conditions d'acquisition de l'immeuble de Savigny-sur-Orge par Françoise Y..., l'arrêt rendu le 19 mars 2013, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne les consorts Z... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mai deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour M. Y...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que M. Gérard Y... était redevable à la succession d'une indemnité d'occupation d'un montant de 129.681,87 euros, au 4 octobre 2011 ;

AUX MOTIFS QUE Mme Rolande X... veuve Y... est décédée le 1er avril 2005, en laissant pour lui succéder son fils, M. Gérard Y..., et par représentation de leur mère décédée, Mme François Y..., épouse Z..., ses petits-enfants, MM. Xavier, Geoffroy et Charles-Henri Z... ; que l'arrêt mixte rendu le 20 mai 2008 par la Cour de céans a annulé le bail consenti le 1er décembre 2004 par Mme veuve Y... à M. Gérard Y..., pour la villa indivise située à la Croix-Valmer, dit que ce dernier était redevable d'une indemnité d'occupation depuis l'ouverture de la succession et réservé la fixation de son montant dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise ; que dans son rapport déposé le 27 mai 2011, l'expert judiciaire a déterminé la valeur locative de l'immeuble sis à la Croix-Valmer, pour les années 2005 à 2010 ; que les critiques formulées sur le travail de l'expert par M. Gérard Y... ne portent que sur des points de détail relatifs à la description des lieux, à la destination ainsi qu'à l'orientation des pièces, lesquelles ne sont pas de nature à modifier les conclusions de l'expert qui a procédé à son évaluation après une étude détaillée et une analyse du marché local ; que si M. Gérard Y... estime que l'état de la villa de la Croix-Valmer ne permet pas de la louer, l'expert expose en page 15 de son rapport, dans la rubrique « état locatif » que le nombre et la disposition des pièces, les équipements et les aménagements techniques sont corrects, compte tenu des exigences du marché immobilier actuel, pour ce type de bien ; qu'il précise que l'état d'entretien locatif est bon, ajoutant toutefois que les revêtements affichent une certaine vétusté et nécessitent des travaux de rénovation ; que le rapport signale que le bien se trouve dans un quartier recherché avec une belle vu sur la mer et que le montant mensuel de 1.711,50 ¿, fixé pour l'année 2010 ne paraît pas excessif pour une surface de 89 m² habitable, avec des annexes de 45 m² ; que M. Gérard Y... ne peut invoquer le fait qu'ils ne séjournerait effectivement dans la maison qu'environ quatre semaines par an pour limiter le paiement de l'indemnité d'occupation à ces périodes, dès lors qu'il bénéficiait en permanence de la jouissance privative de la villa litigieuse ; qu'il conviendra donc de retenir le montant, fixé par l'expert, sous réserve de son actualisation à partir de l'indice national des loyers, pour la période postérieure au dépôt du rapport ; que M. Gérard Y... est ainsi redevable vis-à-vis de la succession d'une indemnité d'occupation de 129.691,96 euros, pour la période du 1er avril 2005 au 4 octobre 2011 ;

1°) ALORS QUE l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; qu'en affirmant que l'arrêt rendu le 20 mai 2008 avait jugé que M. Gérard Y... était redevable d'une indemnité d'occupation depuis l'ouverture de la succession et réservé la fixation de son montant dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, quand cet arrêt n'avait pas, dans son dispositif, statué sur le principe d'une condamnation de M. Gérard Y... à verser une telle indemnité, de sorte qu'elle était tenue de se prononcer sur cette question, la Cour d'appel a violé l'article 480 du Code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE l'indivisaire d'un bien qui se borne à en assurer l'entretien pour le compte de l'indivision n'en a pas la jouissance exclusive ; qu'en affirmant que M. Gérard Y..., qui bénéficiait en permanence de la jouissance privative de la villa, était redevable vis-à-vis de la succession d'une indemnité d'occupation de 129.691,96 euros, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si M. Y..., résidant au Canada, ne s'était pas contenté d'assurer, lors de ses courts séjours en France, la surveillance et l'entretien de cette villa inhabitée afin d'éviter qu'elle ne se trouvât en état total d'abandon, préjudiciant à l'indivision, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 815-9 du Code civil.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de M. Gérard Y... tendant à ce qu'il soit jugé créancier de la succession à hauteur de 6.277,27 euros, avec intérêts, au titre des sommes exposées pour compte de celle-ci ;

AUX MOTIFS QU'il appartiendra au notaire désigné d'établir les comptes de la succession et, sur justificatifs des paiements, le montant des sommes dues à M. Gérard Y... au titre des sommes avancées par lui pour les chargés et l'entretien de la propriété sise à la Croix-Valmer et de régler le passif successoral, à partir des avoirs disponibles ;

ALORS QU'il appartient au juge saisi par un indivisaire d'une demande d'indemnité au titre des dépenses effectuées pour la conservation de l'immeuble indivis d'en apprécier luimême le bien-fondé ; qu'en renvoyant au notaire liquidateur la fixation de l'indemnité due à M. Gérard Y... au titre des dépenses nécessaires qu'il avait exposées pour l'immeuble indivis, la Cour d'appel a méconnu son office et violé l'article 4 du Code civil, ensemble l'article 815-13 du même Code.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR ordonné la licitation du bien immobilier situé à la Croix-Valmer (Var), lotissement Barbigouda, n° 14-16, avenue des Marsouins, cadastré 16,50 et 51 avenue des Marsouins, section AR, numéros 88 et 89, sur la mise à prix de 424.000 euros ;

AUX MOTIFS QUE la succession étant constituée essentiellement du bien immobilier sis à la Croix-Valmer, il apparaît que si un partage en nature est envisageable sur le plan technique, selon l'expert, il n'est pas amiablement possible, en l'espèce, compte tenu des conflits existant entre les héritiers et que la licitation de ce bien immobilier doit être ordonnée sur la mise à prix de 424.000 euros, selon le montant retenu par l'expertise judiciaire ;

ALORS QUE la licitation d'un immeuble indivis ne peut être ordonnée que s'il n'est pas commodément partageable en nature ; qu'en ordonnant la licitation de la villa de la Croix-Valmer au motif inopérant qu'aucun partage amiable n'était possible compte tenu des conflits existant entre les héritiers, et après avoir pourtant relevé qu'« un partage en nature est envisageable sur le plan technique », la Cour d'appel a violé l'article 827 ancien du Code civil applicable au litige.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de M. Gérard Y... tendant à ce qu'il soit jugé que l'acquisition de la propriété de Savigny-sur-Orge par Mme Françoise Y... résulte d'une donation faite par la défunte et dit n'y avoir lieu à nouvelle mesure d'expertise ;

AUX MOTIFS QUE M. Gérard Y... réclame le rapport à la succession de la somme d'argent, selon lui, versée par sa mère à Françoise Y..., pour l'acquisition d'une propriété à Savigny-sur-Orge en 1960, lequel doit être calculé à partir de la plus-value réalisée à la suite de la revente de ce bien ; que pour solliciter dans ses dernières écritures, à titre principal, une nouvelle mesure d'expertise sur ce point, il estime que les documents fournis à l'expert étaient insuffisants sans préciser quelles autres recherches auraient pu être effectuées, sauf à solliciter l'audition de témoins directs de faits intervenus entre 1958 et 1960 et notamment du notaire de l'époque ; qu'il ajoute que l'expert n'a pas pu trouver l'emploi du surplus de 84 000 F ayant probablement servi à rembourser de manière anticipée le prêt souscrit pour la construction de la maison sur le terrain d'Épinay-sur-Orge, dont la coût n'a pas été évalué, et n'a pas identifié l'auteur des travaux réalisés dans la propriété de Savigny-sur-Orge ; que l'acte notarié du 6 avril 1961 par lequel Mlle Françoise Y..., mineure, assistée de son père, M. Roger Y... a acquis un bien situé rue des Rossays, 26, à Savigny-sur-Orge mentionne que le prix de 3 000 F, a été payé par ce dernier, avec des deniers appartenant à l'acquéreur ; qu'aux termes de l'article 1319 du Code civil, l'acte authentique fait pleine foi de la convention qu'il renferme entre les parties contractantes et leurs héritiers ou ayant cause ; que M. Gérard Y... indique dans ses propres écritures qu'il s'agissait d'un bien qui n'était pas habitable, l'acte précisant qu'il était en mauvais état et ajoute qu'il était classé comme ruine à la mairie ; qu'en réponse à la mission complémentaire donné par la Cour d'appel dans son arrêt mixte du 20 mai 2008, l'expert a relevé que Françoise Y... travaillait depuis, 1958, comme dactylographe avec un salaire mensuel de 400 euros, alors qu'il n'est pas contesté qu'elle demeurait hébergée par ses parents et que le paiement allégué par l'appelant d'une pension à ces derniers n'est pas établi ; que le rapport mentionne la perception, au mois de juin 1959, de la somme de 1556 F par l'acquéreur, versée par la sécurité sociale à la suite d'un accident de la circulation ; que l'expert considère que Françoise Y... disposait ainsi de ressources suffisantes pour acquérir la propriété de Savigny-sur-Orge ; que compte tenu de l'ancienneté des faits, il n'apparaît pas possible d'obtenir des éléments supplémentaires sur les conditions de financement de cette dernière ; que les termes des attestations produites par M. Gérard Y... selon lesquelles ses parents auraient déclaré à des tiers avoir financé l'acquisition de la propriété de Savigny-sur-Orge par leur fille Françoise ne sont pas assez précis et circonstanciés pour démontrer qu'elle a été l'occasion d'une donation déguisée ; que la question du remploi de son prix de revente n'a ainsi plus d'objet et qu'il n'y a donc pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise sur ce point ; que la demande de rapport à succession formée à ce titre par M. Gérard Y... est en conséquence rejetée ;

1°) ALORS QUE dans son rapport, l'expert constate que Mme Françoise Y... exerçait la profession de dactylographe depuis le 19 juin 1958 mais n'avait perçu un salaire mensuel de 400 francs qu'à compter du 1er novembre 1961 (p. 27, in fine) ; qu'en affirmant néanmoins, pour juger qu'elle disposait des ressources suffisantes pour acquérir la propriété de Savigny-sur-Orge le 6 avril 1961, que l'expert avait relevé qu'elle « travaillait depuis 1958, comme dactylographe avec un salaire mensuel de 400 Francs », la Cour d'appel a dénaturé le rapport précité, en violation de l'article 1134 du Code civil ;

2°) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, M. Y... expliquait que la somme de 1.556 francs perçue en juin 1959 par Mme Françoise Y... l'avait été au titre d'une indemnité compensatrice, à la suite d'un accident de la circulation indemnisant les pertes subies, et ne s'ajoutait donc pas à ses revenus (conclusions, p. 6) ; qu'en affirmant néanmoins, pour juger qu'elle disposait des ressources suffisantes pour acquérir la propriété de Savigny-sur-Orge, qu'elle avait perçu, outre son salaire, une somme de 1.556 francs de la sécurité sociale, sans répondre aux conclusions précitées desquelles il résultait que cette somme ne correspondait pas à une ressource supplémentaire ayant pu servir à financer l'acquisition, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.

ECLI:FR:CCASS:2015:C100486

Analyse

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence , du 19 mars 2013