Dette de santé et article 220 du Code civil

Cour de cassation

chambre civile 1

Audience publique du jeudi 9 avril 2015

N° de pourvoi: 14-15536

Non publié au bulletin

Rejet

Mme Batut (président), président

SCP Boutet-Hourdeaux, SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat(s)

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 28 janvier 2014), que, par contrat du 21 novembre 1995, Régine X..., épouse C..., a été admise au sein de la résidence l'Arche pour personnes âgées (l'Arche) ; qu'une certaine somme restant due au titre des frais de la pensionnaire après son décès survenu le 13 mai 2008, l'Arche a assigné en paiement M. C..., son époux ;

Attendu que M. C... fait grief à l'arrêt de le condamner et de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ qu'aliments ne s'arréragent pas ; que le recours fondé sur l'enrichissement sans cause à l'encontre du débiteur prétendu d'aliment n'est ouvert que dans la limite de l'obligation alimentaire, à l'exclusion des sommes exposées avant l'introduction de la demande en justice ; qu'en affirmant que le principe selon lequel les aliments ne s'arréragent pas n'avait pas lieu de s'appliquer à l'action en enrichissement sans cause exercée par la résidence l'Arche à l'encontre de M. C..., époux de Régine C..., débitrice de la résidence, quand une telle action ne pouvait être ouverte que dans la limite de l'obligation alimentaire à laquelle M. C... aurait pu être tenu à l'égard de son épouse, en sorte qu'il ne pouvait avoir à répondre des sommes litigieuses correspondant à des frais allégués antérieurs à l'introduction de la demande en justice de la résidence l'Arche, la cour d'appel a violé les principes selon lesquels nul ne peut s'enrichir sans cause aux dépens d'autrui, par fausse application, et selon lequel aliments ne s'arréragent pas, par refus d'application, ensemble l'article 1371 du code civil ;

2°/ que les juges doivent analyser, même sommairement, les éléments sur lesquels ils fondent leur décision ; qu'en affirmant qu'il existait un enrichissement corrélatif de M. C... car celui-ci avait perçu l'allocation adulte handicapé de son épouse sans en reverser le montant à la résidence l'Arche sans analyser, même sommairement, l'élément qui aurait fondé une telle affirmation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu'en écartant l'exception d'inexécution du contrat par la résidence l'Arche, au motif que les exigences spécifiques de la prise en charge de Régine C... avaient justifié avec son plein accord, un régime particulier au rez-de-chaussée dans une chambre normalement réservée aux visiteurs, sans constater l'existence d'un tel accord et tandis que le seul document manifestant la rencontre des volontés spécifiait expressément que Régine C... était admise au sein de la résidence l'Arche et disposait de la chambre n° 119, laquelle était une chambre normalement dévolue aux résidents et disposait des équipements nécessaires à sa prise en charge, ce qui n'était pas le cas d'une chambre réservée aux visiteurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu, d'abord, qu'il résulte de l'alinéa 1er de l'article 220 du code civil que toute dette de santé contractée par un époux engage l'autre solidairement ; que la cour d'appel ayant constaté que la débitrice avait été admise au sein de la Résidence l'Arche en raison d'importants problèmes de santé, faisant ainsi ressortir que les frais litigieux entraient dans les prévisions de ce texte, M. C... était tenu au paiement de la dette ; que, par ce motif de pur droit, substitué, dans les conditions de l'article 1015 du code de procédure civile, à ceux critiqués, la décision déférée se trouve légalement justifiée de ce chef ;

Attendu, ensuite, qu'après avoir dans l'exercice de son pouvoir souverain, apprécié les éléments de preuve produits au débat, la cour d'appel a pu en déduire que l'établissement n'avait commis aucun manquement à l'égard de sa pensionnaire, justifiant légalement sa décision d'écarter l'exception d'inexécution soulevée par M. C... ;

Et vu l'article 462 du code de procédure civile ;

Attendu que le dispositif de l'arrêt attaqué est affecté d'une erreur matérielle dont la rectification sera ci-après ordonnée ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Dit que dans le dispositif de l'arrêt attaqué, la somme de 17 706, 84 euros est remplacée par celle de 17 076, 84 euros ;

Condamne M. C... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. C... ; le condamne à payer la somme de 2 500 euros à la résidence l'Arche ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf avril deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils, pour M. C....

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M. Albert C... à payer à la résidence l'Arche la somme de 17. 706, 84 euros et d'avoir ainsi débouté M. Albert C... de ses prétentions tendant à voir écarter une telle demande et à voir engager la responsabilité de la résidence l'Arche ;

Aux motifs propres que « aucun écrit ne paraît avoir été établi à l'admission de Régine X..., épouse C... le 2 novembre 1994 ; que le contrat d'entrée de Régine Orsi, épouse C... en date du 21 novembre 1995 à la résidence l'Arche est conclu entre cette dernière et Régine X...épouse C... « le cas échéant représentée par Albert C... dénommé le représentant légal », sous réserve de justification de sa qualité ; que la qualité d'époux ne peut se confondre avec celle de tuteur, et en l'absence de jugement de tutelle ou de mandat spécial, les termes de ce contrat n'engagent pas Albert C... ; que comme l'a retenu le premier juge, il n'existe pas de corrélation entre la renonciation à succession et l'obligation alimentaire, de sorte qu'Albert C... ne peut se prévaloir de sa renonciation pour s'exonérer de son obligation à l'égard de son épouse, comme des créances qu'elle a pu laisser qui en relèvent ; que comme il l'a retenu également le fondement de l'enrichissement sans cause ne peut être retenu qu'à titre subsidiaire : aucun autre fondement ne peut être en l'espèce invoqué par la résidence l'Arche et ce fondement doit être examiné ; que comme il l'a encore retenu, la règle « aliments ne s'arréragent pas » ne peut s'appliquer à une action fondée sur l'enrichissement sans cause ; que comme il l'a enfin retenu, Régine X...épouse C... s'est engagée à payer ses frais de pension par son contrat du 23 novembre 1995 et les mises en demeure caractérisent la volonté de la résidence l'Arche de ne pas y renoncer ; que son appauvrissement du montant de ces frais comme l'enrichissement corrélatif de Albert C... qui a perçu l'allocation adulte handicapée de son épouse sans en reverser le montant à la résidence l'Arche sont caractérisés ; que l'exception d'inexécution du contrat par la résidence l'Arche n'est pas caractérisée puisque les exigences spécifiques de la prise en charge à 47 ans de Régine X...épouse C... sont établies, qui justifiaient, avec son plein accord, un régime particulier, au rez-de-chaussée, dans une chambre normalement réservée aux visiteurs, qui lui permettait une liberté de circulation compatible avec sa consommation habituelle de tabac ; qu'aucun manquement de la résidence l'Arche à son obligation de vigilance et de surveillance n'est sérieusement avancé par Albert C... en dehors d'une plainte pénale du 12 avril 2011 qui a donné lieu à un classement sans suite ; que le jugement du 24 mars 2011 doit ainsi être confirmé en toutes ses dispositions » ;

Et aux motifs adoptés, que « il convient de rappeler que l'obligation alimentaire résulte exclusivement du lien familial et qu'aucune corrélation n'existe entre cette obligation et la dévolution de l'hérédité de sorte que la renonciation du débiteur à la succession du créancier d'aliment ne peut pas la faire disparaître ; que le contrat d'entrée du 21 novembre 1995 signé entre l'Arche et Mme C..., mentionne que cette dernière est « le cas échéant représentée par M. Albert C... » et alors qu'aucune mesure de protection n'était en vigueur et que le document ne précise pas à quel titre le susnommé était représentant légal, qu'en tout état de cause, M. Albert C... ne s'est engagé à régler les frais de séjour qu'en tant que représentant légal et non à titre personnel, que dès lors l'Arche est mal fondée à invoquer l'existence de ce contrat la liant exclusivement avec Mme Régine C..., pour solliciter la condamnation de M. Albert C... au paiement des frais d'hébergement de son épouse ; que l'Arche invoque également l'enrichissement sans cause ; que l'action fondée sur l'enrichissement sans cause ne peut être admise qu'à défaut de toute autre action ouverte au demandeur, qu'elle ne peut l'être pour suppléer une autre action que le demandeur ne peut intenter parce qu'il ne peut apporter les preuves qu'elle exige ou par suite de tout autre obstacle de droit ; qu'en l'espèce, il y a enrichissement sans cause, dès lors que le contrat liant la maison de retraite à Mme Régine C..., s'il justifie l'appauvrissement de la résidence pour personnes âgées dans sa relation avec sa pensionnaire, ne justifie pas l'enrichissement corrélatif de son débiteur alimentaire pris en cette seule qualité et à l'égard duquel elle n'entretient aucun rapport, ni ne dispose d'aucune action directe ou oblique, qu'en effet seuls les établissements publics ont une action directe contre les débiteurs d'aliments ; que M. Albert C... ne produit aucun élément de nature à caractériser une faute susceptible d'être imputée à l'Arche, alors que cette dernière n'avait pas qualité pour saisir le juge aux affaires familiales et qu'il avait qualité pour saisir le juge s'il souhaitait qu'une mesure de protection soit instaurée au profit de son épouse, afin de diligenter une procédure de demande d'aliments, qu'il n'a pas manifesté sa volonté de recueillir son épouse à son domicile, n'a été dans l'attente de la décision du Conseil général puis du recours contre la décision de refus de ce dernier de la demande de prise en charge au titre de l'aide sociale aux personnes âgées et des frais d'hébergement ; que d'une part, la règle « aliments ne s'arréragent pas » n'a pas vocation à s'appliquer s'agissant d'une action formée sur l'enrichissement sans cause ; que d'autre part, elle est fondée sur l'absence de besoin ou sur la présomption selon laquelle le créancier a renoncé à la pension alimentaire ; qu'en l'espèce, Mme Régine C... s'était engagée à payer ses frais d'hébergement et l'Arche n'a jamais renoncé au paiement de ces derniers, alors qu'il résulte de la procédure qu'elle a adressé plusieurs courriers à M. Albert C... en réclamant le paiement desdits frais et que les parties étaient dans l'attente du recours exercé par ce dernier contre la décision du 11 mai 2007 du Conseil général ; que l'Arche s'est appauvrie à hauteur de la somme de 17. 706, 84 euros correspondant aux frais d'hébergement de Mme Régine C... pour les mois d'avril à décembre 2007 et de janvier à mai 2008, que M. Albert C... doit en conséquence être condamné à payer à l'Arche la somme de 17. 706, 84 euros ; qu'en produisant les attestations de Mme Y..., M. Z..., M. A...et M. B..., M. C... ne rapporte pas la preuve que l'Arche n'aurait pas respecté ses engagements contractuels en ne procurant pas à son épouse une chambre médicalisée adaptée à son état de santé et en ne la faisant pas bénéficier de la présence et de la surveillance d'un personnel compétent pour la prise en charge d'une malade dans son état ; qu'il n'est pas établi qu'elle serait décédée, étouffée par l'absorption d'aliments solides interdits ; qu'il convient en conséquence en l'absence de faute susceptible d'être imputée à l'Arche, de débouter M. C... de sa demande en dommages et intérêts » ;

Alors, d'une part, qu'aliments ne s'arréragent pas ; que le recours fondé sur l'enrichissement sans cause à l'encontre du débiteur prétendu d'aliment n'est ouvert que dans la limite de l'obligation alimentaire, à l'exclusion des sommes exposées avant l'introduction de la demande en justice ; qu'en affirmant que le principe selon lequel les aliments ne s'arréragent pas n'avait pas lieu de s'appliquer à l'action en enrichissement sans cause exercée par la résidence l'Arche à l'encontre de M. C..., époux de Mme Régine C..., débitrice de la résidence, quand une telle action ne pouvait être ouverte que dans la limite de l'obligation alimentaire à laquelle M. C... aurait pu être tenu à l'égard de son épouse, en sorte qu'il ne pouvait avoir à répondre des sommes litigieuses correspondant à des frais allégués antérieurs à l'introduction de la demande en justice de la résidence l'Arche, la cour d'appel a violé les principes selon lesquels nul ne peut s'enrichir sans cause aux dépens d'autrui, par fausse application, et selon lequel aliments ne s'arréragent pas, par refus d'application, ensemble l'article 1371 du code civil ;

Alors, d'autre part, subsidiairement, que les juges doivent analyser, même sommairement, les éléments sur lesquels ils fondent leur décision ; qu'en affirmant qu'il existait un enrichissement corrélatif de M. C... car celui-ci avait perçu « l'allocation adulte handicapé de son épouse sans en reverser le montant à la résidence l'Arche » sans analyser, même sommairement, l'élément qui aurait fondé une telle affirmation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Alors, en tout état de cause, qu'en écartant l'exception d'inexécution du contrat par la résidence l'Arche, au motif que les exigences spécifiques de la prise en charge de Mme C... avaient justifié ? avec son plein accord ?, un régime particulier au rez-de-chaussée dans une chambre normalement réservée aux visiteurs, sans constater l'existence d'un tel accord et tandis que le seul document manifestant la rencontre des volontés spécifiait expressément que Mme C... était admise au sein de la résidence l'Arche et disposait de la chambre n° 119, laquelle était une chambre normalement dévolue aux résidents et disposait des équipements nécessaires à sa prise en charge, ce qui n'était pas le cas d'une chambre réservée aux visiteurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil.

ECLI:FR:CCASS:2015:C100393

Analyse

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble , du 28 janvier 2014