Option successorale et ignorance de l'ouverture de la succession

Cour de cassation

chambre civile 1

Audience publique du mercredi 1 avril 2015

N° de pourvoi: 14-11937

Non publié au bulletin Rejet

Mme Batut (président), président

SCP Coutard et Munier-Apaire, SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, avocat(s)

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, ci-après annexé :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 décembre 2013), qu'Auguste X... et Rose Y..., son épouse, ont eu deux enfants, Jean-Marie et Rosalie, que celle-ci a eu une fille, Rose-Marie X..., née le 11 février 1955 ; que Rosalie X... étant décédée le 27 décembre 1957, sa fille a d'abord été confiée à son oncle désigné tuteur, Jean-Marie X..., puis à une famille d'accueil à partir de janvier 1963, qu'Auguste X... et Rose Y... sont respectivement décédés les 6 novembre 1959 et 20 août 1969, leurs successions étant dévolues en totalité à Jean-Marie X... ; que celui-ci est décédé le 14 décembre 2001, laissant pour lui succéder son épouse, Mme Z..., et son fils, M. Philippe X... ; que, par des actes des 6 et 7 janvier 2010, Mme Rose-Marie X... a assigné ceux-ci en revendication de biens immobiliers provenant de la succession de ses grands-parents maternels ;

Attendu que Mme Rose-Marie X... fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a perdu la qualité d'héritière, faute d'option ou d'action en pétition d'hérédité dans les délais prescrits par les dispositions alors en vigueur et de la débouter de ses demandes ;

Attendu, d'une part, que si l'ignorance de l'ouverture d'une succession peut empêcher de courir la prescription extinctive de l'article 789 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006, c'est à la condition que le successible ait une juste raison d'ignorer la naissance de son droit ; que, réfutant les motifs du jugement, la cour d'appel a souverainement estimé qu'en réalité, et en dépit de son placement, Mme X... connaissait ses origines et sa famille, son oncle ayant même été son tuteur ; que, dès lors, elle ne pouvait qu'en déduire que Mme X... ne justifiait avoir été dans l'ignorance légitime de l'ouverture des successions de ses grands-parents ;

Attendu, d'autre part, que, dans ses conclusions d'appel, Mme X... n'a pas soutenu que la fraude qu'aurait commise son oncle interdisait à celui-ci ainsi qu'à ses héritiers d'invoquer la prescription de l'option successorale ; que la cour d'appel n'était donc pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée ;

D'où il suit que le moyen qui, en sa troisième branche, critique un motif surabondant de l'arrêt, ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme Rose-Marie X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme Rose-Marie X... et la condamne à payer la somme globale de 3 000 euros à Mme Z... et M. Philippe X... ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier avril deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Coutard et Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour Mme Rose-Marie X....

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que Mme X...-A...avait perdu la qualité d'héritière de ses grands-parents maternels, faute d'option ou d'action en pétition d'hérédité exercée dans les délais prescrits par les dispositions alors en vigueur et de l'avoir, en conséquence, déboutée de son action en revendication et de l'ensemble de ses demandes subséquentes ;

AUX MOTIFS QUE, sur la nature de l'action et l'article 724 du code civil ; qu'aux termes de l'article 724 ancien du code civil invoqué par Mme Rose-Marie X... pour justifier que sa qualité de propriétaire des biens revendiqués : « les héritiers légitimes, les héritiers et le conjoint survivant sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt, sous l'obligation d'acquitter toutes les charges de la succession » ; que toutefois, M. Philippe X... et Mme Z... détiennent à titre de propriétaires les biens revendiqués en vertu d'actes notariés de dévolution successorale qui les ont désignés comme héritiers de M. Jean-Marie X..., lui-même désigné comme seul héritier légal de ses parents ; que dès lors, Mme Rose-Marie X... doit faire établir sa qualité d'héritière de ses grands-parents maternels, par représentation de sa mère, préalablement à son action en revendication, laquelle est nécessairement fondée sur cette qualité au vu du fondement juridique invoqué par elle ; or, cette qualité d'héritier ne peut être établie lorsque celui qui la revendique l'a définitivement perdue faute d'avoir opté pour l'acceptation de la succession dans le délai de trente ans, à compter de l'ouverture de la succession sauf causes de suspension ou d'interruption, en application de l'article 789 ancien du code civil ; sur le point de départ du délai de prescription ; que la prescription ne courant pas à l'encontre des personnelles mineures en application des dispositions de l'article 2252 ancien du code civil, le point de départ du délai de prescription est reporté à la majorité de Mme Rose-Marie X... ; qu'au jour de l'entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 1974 (JO du 7 juillet) fixant à 18 ans l'âge de la majorité, Mme X... née le 11 février 1955 était âgée de 19 ans ; que la loi a eu pour effet de rendre Mme X... immédiatement majeure de sorte que le délai de prescription était susceptible de courir à compter du 8 juillet 1974 ; que le point de départ de la prescription pour opter peut en outre être reporté en raison de l'ignorance légitime de l'ouverture de la succession par le successible ; qu'en l'espèce, le premier juge a retenu que Mme X... « n'avait pas connaissance de ses origines donc de l'existence de ses grands-parents et de leur décès avant d'intenter des démarches en 2008 tel que cela résulte des pièces de son dossier, que dès lors il n'y a lieu de dire que sa faculté d'option n'est pas prescrite » ; que cependant, ce moyen n'est pas soutenu dans les conclusions de Mme Rose-Marie X... ; qu'en réalité Mme X... connaissait « ses origines » et sa famille, son oncle ayant même été son tuteur ; que par ailleurs, Mme Rose-Marie X... produit un acte de naissance de sa mère délivré le 22 août 1974, alors qu'elle était majeure, faisant apparaître les dates de naissance de ses grands-parents nés en 1893 et 1894 ; qu'elle produit également les actes de naissance de ses grands-parents comportant la mention de leur décès, actes délivrés les 3 mars 1977 et 8 mars 1977 : que Mme X... ne donne pas d'explication sur les circonstances de l'obtention de ces documents, délivrés alors qu'elle était majeure ; qu'il en résulte une présomption de connaissance par Mme X... du décès de ses grands-parents, et donc de l'ouverture de leur succession, à compter de ces dates et donc au plus tard à compter du 8 mars 1977, de sorte que l'option et/ ou l'action en pétition d'hérédité auraient dû être engagées avant le 8 mars 1977 ; sur l'incidence de l'acceptation des successions de ses père et mère par M. Jean-Marie X... ; que Mme X... soutient à titre subsidiaire que M. Jean-Marie X..., son oncle qui a recueilli la succession à titre universel, a été son tuteur et qu'en acceptant la succession de ses père et mère pour lui-même il a nécessairement accepté ces successions pour le compte de sa pupille ; or, en premier lieu, aucune pièce produite par Mme X... en démontre que M. Jean-Marie X... était toujours son tuteur à l'époque où il a accepté la succession de sa mère aux termes d'un acte notarié du 29 janvier 1970 produit aux débats ; qu'en second lieu, au terme de l'article 776 ancien du code civil, les successions échues aux mineurs ne pouvaient (et ne peuvent toujours) être acceptées que conformément aux dispositions relatives à la minorité (et à la tutelle, en cas de tutelle) ; qu'une autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille était requise ; que Mme X... ne justifie pas d'une acceptation de la succession pour son compte dans les formes prescrites ; qu'au contraire, dans l'acte notarié du 29 janvier 1970, il est mentionné que de l'union des époux X.../ Y... (les grands-parents de Mme X...) était né un autre enfant, Rosalie Madeleine (mère de Mme X...) « décédée le 27 décembre 1957 sans postérité légitime », cette mention excluant une option successorale pour le compte de Mme X... par M. Jean-Marie X... ; qu'en ce qui concerne l'acceptation par M. Jean-Marie X... de la succession de son père M. Auguste X..., elle est intervenue tardivement par acte notarié du 16 janvier 1978 produit aux débats à une époque où Mme X... était majeure ;

1./ ALORS QUE la partie qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs ; qu'en l'espèce, Mme X...-A...demandait la confirmation du jugement en ce qu'il avait déclaré recevable son action en revendication immobilière ; qu'elle avait, en conséquence, fait siens les motifs des premiers juges selon lesquels « si l'option successorale est soumise en l'espèce à la prescription trentenaire de l'ancien article 789 du code civil, la prescription ne court pas tant que le prescriptible a une juste raison d'ignorer la naissance de son droit ; attendu qu'il y a lieu de considérer en l'espèce que la demanderesse a été placée dès son plus jeune âge et n'avait pas connaissance de ses origines donc de l'existence de ses grands-parents et de leur décès avant d'intenter des démarches en 2008 tel que cela résulte des pièces de son dossier, que dès lors il n'y a lieu de dire que sa faculté d'option n'est pas prescrite » ; que dès lors, pour considérer, qu'il existait, à compter du 8 mars 1977, une présomption de connaissance du décès de ses grands-parents par Mme X... A... , et qu'elle ne pouvait donc plus faire établir sa qualité d'héritière, nécessaire à son action en revendication, la cour d'appel qui a retenu que dans ses conclusions d'appel, elle ne soutenait plus le moyen tiré de ce qu'elle n'avait pas eu connaissance du décès de ses grands-parents avant 2008, a violé, ensemble, les articles 4 et 954 alinéa 4 du code de procédure civile ;

2./ ALORS, en tout état de cause, QUE la prescription ne court pas tant que le successible a des motifs légitimes d'ignorer la naissance de son droit, notamment l'ouverture de la succession ; que pour exclure tout droit de Mme X...-A...sur la succession de ses grands-parents décédés respectivement en 1959 et 1969, alors qu'elle était mineure, la cour d'appel s'est bornée à affirmer péremptoirement « qu'elle connaissait ses origines et sa famille, son oncle ayant même été son tuteur » quand cette circonstance était inopérante à établir qu'elle connaissait la date de décès de ses grands-parents et surtout l'existence de ses droits à leur succession et elle n'a pas plus relevé qu'elle savait qu'elle avait été évincée de leur succession et qu'elle avait été en mesure d'exercer effectivement et en temps utile son option successorale, la cour d'appel, qui a statué par voie d'affirmation et par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard des articles 780 et 789, 2219 et s., 2227, 2234 et s. du code civil ;

3./ ALORS, en outre, QUE le juge ne peut soulever d'office un moyen de droit ou de fait sans inviter, au préalable, les parties à présenter leurs observations ; que prenant prétexte de ce qu'elle produisait aux débats les actes de naissances de ses grands-parents délivrés les 3 et 8 mars 1977, comportant leurs dates de décès, et qu'elle ne s'expliquait pas sur les circonstances de leur obtention, la cour d'appel qui a relevé d'office le moyen selon lequel « au plus tard à compter du 8 mars 1977 » Mme X...-A...avait eu connaissance du décès de ses grands-parents, quand la production en cause d'appel d'actes datés de 1974 et 1977 n'est pas de nature à établir que l'exposante en a personnellement et nécessairement eu communication et connaissance à cette date-là, la cour d'appel qui n'a pas, au préalable, invité les parties à présenter leurs observations sur ce point, a violé les articles 4, 7 et 16 du code de procédure civile, ensemble, l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4./ ALORS, enfin et surtout, QUE la fraude corrompt tout et fait exception à toutes les règles ; qu'en l'espèce, dès lors qu'elle constatait que son oncle, M. Jean-Marie X..., avait été son tuteur à compter du 16 avril 1959, il s'en déduisait nécessairement qu'il connaissait son existence et sa qualité d'héritière lorsqu'il a accepté la succession de sa mère, en 1970, et de son père en 1978, de sorte qu'il appartenait à la cour d'appel de rechercher s'il n'avait pas agi frauduleusement en n'en informant pas le notaire chargé de la liquidation de ces successions et, à tout le moins, en laissant croire qu'il était le seul héritier ; que dès lors, en opposant à Mme X...-A...la prescription de l'option successorale, sans rechercher si la fraude de M. Jean-Marie X..., consistant à se présenter pour le seul héritier de ses parents et, à tout le moins, ayant été son tuteur, de ne pas signaler au notaire que sa soeur, prédécédée, avait une fille naturelle, l'exposante, de sorte que cette fraude lui interdisait, ainsi qu'à ses propres héritiers, d'opposer à Mme X...-A...la prescription de son action, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe fraus omnia corrumpit, ensemble, l'article 789 ancien du code civil.

ECLI:FR:CCASS:2015:C100366

Analyse

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon , du 10 décembre 2013