Le rapport d'un usufruit temporaire

Pour quel montant le rapport d'un usufruit temporaire doit-il intervenir ?

Pour 0 si son terme est arrivé lors du décès (en ce sens également : F. Douet, Aspects civils et fiscaux des donations d'usufruit temporaire, JCP N 2013, 1077). Les arguments en ce sens sont nombreux.

En premier lieu, l'article 860 du Code civil peut être invoqué en ce sens. Son premier alinéa dispose que le rapport est dû de la valeur du bien donné à l'époque du partage d'après son état à l'époque de la donation. L'usufruit s'étant éteint par l'arrivée du terme, sa valeur est égale à 0. Il pourrait être considéré que l'article 860 du Code civil ne peut être appliqué car l'usufruit ne serait pas un bien mais un droit, ce qui permettrait de retenir une valeur autre que 0. Une telle argumentation conduit néanmoins, à notre sens, à une impasse. L'article 860 alinéa 1er du Code civil visant la valeur du bien donné, exclure le rapport de 0 parce que l'usufruit n'est pas un bien mais un droit conduit également à exclure le rapport puisqu'il n'y a pas eu de bien donné ! En outre, si l'on retient la position du professeur Dross, qui considère que l'usufruitier est propriétaire temporaire du bien sur lequel il exerce son droit, on est conduit de nouveau à retenir l'existence d'un bien donné (Droit civil. Les choses, p. 154, n° 82, LGDJ, 2012).

Au-delà de l'article 860 du Code civil, c'est également l'article 855 du Code civil qui peut être invoqué selon lequel le bien qui a péri par cas fortuit et sans la faute du donataire n'est pas sujet à rapport. Même en niant la qualité de bien à l'usufruit, on ne peut que constater que l'objectif de l'article 855 du Code civil est de ne pas obliger le donataire à restituer un bien qui n'est plus dans son patrimoine. Autrement dit, lorsque ce qui a été donné ne figure plus dans le patrimoine du donataire et que cette disparition n'est pas liée à son fait, le rapport est égal à 0. L'article 855 du Code civil peut donc parfaitement être invoqué pour le rapport d'un usufruit temporaire.

Au demeurant, ledit texte constitue l'illustration de l'équivalence économique qui a été souhaitée par le législateur entre le rapport en valeur et le rapport en nature. Autrement dit, économiquement, les résultats des deux rapports doivent aboutir au même résultat, sachant que le donataire pourrait user de l'article 859 du Code civil qui l'autorise, sous certaines conditions, à rapporter le bien en nature. Si le bien vaut 100 à l'époque du partage, il doit être indifférent économiquement pour le donataire d'avoir à restituer le bien lui-même ou la valeur de ce bien. Si l'on applique cette logique à l'usufruit temporaire, à nouveau, on est conduit à retenir un rapport pour une valeur égale à 0.

Est parfois invoqué dans le sens d'un rapport différent de 0 l'article 856 alinéa 2 du Code civil. Pour autant, ledit article est à notre sens inapplicable en cette hypothèse. En effet, le donateur n'a pas donné des fruits ou revenus mais un bien frugifère, les travaux parlementaires, reproduits ci-dessous, distinguant parfaitement les deux hypothèses. C'est, dès lors, l'article 856 du Code civil qui a vocation à s'appliquer : les fruits des choses sujettes à rapport sont dus à compter du jour de l'ouverture de la succession. A nouveau, le rapport de l'usufruit temporaire est égal à 0. Invoquer l'existence d'un flux de revenus n'est pas en soi suffisant. Sauf erreur de notre part, ce flux de revenus ne correspond pas à une notion juridique. En outre, en admettant de le prendre en compte, il faudrait également accepter de le faire pour celui qui a reçu un bien en pleine propriété, ce qui n'est pas possible compte tenu de l'article 856 du Code civil. Nous ne voyons pas de raison de distinguer entre ces deux situations. Certes, il peut être considéré que l'usufruitier n'a rien d'autre à rapporter que le flux de revenus dont il a profité et qu'il en va différemment pour celui qui a reçu la pleine propriété d'un bien. Pour autant, si le bien reçu en pleine propriété a péri avant le partage, le rapport sera égal à 0 et il ne sera pas recherché si le donataire a bénéficié d'un flux de revenus. Pourquoi en irait-il différemment pour l'usufruitier ?

Une solution pourrait-elle être trouvée dans une clause fixant le montant du rapport au jour de la donation ? A vrai dire, rien n'est moins certain. En effet, si l'on retient que le rapport est en principe égal à 0, il est recouru à une clause qui impose un rapport d'une valeur nécessairement plus importante que le bien donné à l'époque du partage. C'est alors la qualification de pacte sur succession future qui pointe le bout de son nez...

V. Zalewski-Sicard.

26 septembre 2014

Extraits du Rapport n° 343 (2005-2006) de M. Henri de RICHEMONT, fait au nom de la commission des lois, déposé le 10 mai 2006

Art. 851 du code civil : Donation de fruits ou de revenus

Le 5° du I de l'article 5 du projet de loi complète l'article 851, qui indique actuellement que ce qui a été employé pour l'établissement d'un des cohéritiers ou pour le paiement de ses dettes doit être rapporté.

Le projet de loi prévoit que sont également rapportables les donations de fruits ou de revenus, à moins que la libéralité n'ait été expressément faite hors part successorale.

Cette question était très controversée.

Pour certains, l'article 856, qui précise que le donataire d'un bien frugifère ne doit pas le rapport des fruits, aurait pour corollaire que celui qui n'a reçu que des fruits ne doit rien rapporter.

Cependant, après avoir décidé qu'une donation de fruits ou de revenus n'était pas soumise au rapport91(*), la jurisprudence consacre à présent le principe contraire92(*) et estime que l'article 843 « n'opère aucune distinction selon que le défunt a donné un bien ou seulement les fruits de celui-ci » pour refuser la dispense de rapport de donation de fruits et de revenus.

Par cette consécration de la jurisprudence, le projet de loi vise une nouvelle fois à préserver l'égalité entre héritiers.

Ce rapport ne devrait cependant pas intervenir s'agissant de donations modiques, qui échappent au statut complexe des libéralités. Cependant, une libéralité peut, quoique prélevée sur les revenus, ne pas être modique et donner lieu à rapport, tout comme une libéralité peut, quoique prélevée sur le capital, rester modique et ne pas être rapportable.

Art. 852 du code civil : Caractère non rapportable de certains frais

Le 6° du I de l'article 5 du projet de loi réécrit l'article 852, qui dresse la liste de certains frais non sujets à rapport.

Actuellement, il prévoit que les frais de nourriture, d'entretien, d'éducation, d'apprentissage, les frais ordinaires d'équipement93(*), ceux de noces et les présents d'usage n'ont pas à être rapportés.

Cette faveur de la loi se fonde sur leur cause, qui reflète l'expression d'un devoir familial ou social.

Le projet de loi ne modifie pas cette liste, qui a donné lieu à une construction jurisprudentielle abondante.

Néanmoins, il consacre la jurisprudence, quiaffirme le caractère supplétif de cet article94(*), en précisant que le disposant peut prévoir le rapport de ces frais.

Il consacre enfin la règle retenue par la jurisprudence95(*) en matière de présent d'usage, qui a donné lieu à un contentieux important, en précisant que son caractère s'apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant.

Art. 856 du code civil : Date d'exigibilité des fruits et intérêts de choses sujettes à rapport

Le 7° du I de l'article 5 du projet de loi modifie l'article 856 afin de prévoir les règles applicables aux fruits et intérêts des choses sujettes à rapport.

Actuellement, les fruits et intérêts des choses sujettes à rapport ne sont dus qu'à compter du jour de l'ouverture de la succession.

La règle établit ainsi un parallélisme rigoureux entre le rapport en nature et le rapport en valeur. Celui qui doit restituer le bien est comptable des fruits échus à compter de l'ouverture de la succession. Celui qui n'en doit que la valeur est redevable, à compter de la même date, des intérêts de l'indemnité dont il est débiteur.

Des difficultés sont apparues depuis que la loi du 3 juillet 1971 a repoussé au partage l'évaluation de l'indemnité de rapport, sans pour autant modifier l'article 856. Comment calculer en effet à compter du décès les intérêts d'une dette dont le montant n'est connu qu'au moment du partage ?

Depuis 1987, la Cour de cassation96(*) prévoit que lorsque le rapport se fait en valeur sous forme d'une indemnité, celle-ci ne produit d'intérêts qu'à compter du jour où elle est déterminée. Cette solution a également été retenue s'agissant de l'indemnité de réduction pour atteinte à la réserve, et la loi du 23 décembre 1986 a consacré ce principe en matière de récompense et de créances entre époux (art. 1473 et 1479).

Le projet de loi consacre donc le principe que les dettes de valeur ne produisent d'intérêts qu'à compter de leur liquidation.

Les fruits restent dus à compter du jour de l'ouverture de la succession97(*).