Donation par des époux, incapacité, restitution et intérêts

Cour de cassation

chambre civile 1

Audience publique du mercredi 13 mai 2015

N° de pourvoi: 14-14635

Non publié au bulletin

Cassation partielle sans renvoi

Mme Batut (président), président

SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Franck X... et Françoise Y..., mariés sous le régime conventionnel de la communauté réduite aux acquêts, sont décédés respectivement les 2 et 10 octobre 2008, en laissant trois enfants, Bertrand, Mathilde, épouse Z..., et Valérie ; que, lors du règlement des successions, M. X... et Mme X... ont découvert que, le 2 juin 2008, dans les locaux de la société BNP Paribas à Genève, leurs parents avaient signé au profit de M. Z... un ordre écrit de transfert de titres d'une valeur de 918 333 euros ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. Z... fait grief à l'arrêt de déclarer nul l'ordre de transfert de titres, de le condamner à restituer à l'indivision successorale la somme de 918 333 euros avec intérêts au taux légal à compter du 28 août 2008 et de le condamner à payer à M. X... et Mme X... la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que l'interdiction faite aux époux de disposer l'un sans l'autre des biens de la communauté ne vaut que pour les actes faits entre vifs et à titre gratuit ; que l'arrêt attaqué exclut que les époux X... aient transféré des fonds au profit de M. Z... avec une intention libérale et, en conséquence, que l'acte de transfert ait été fait à titre gratuit ; qu'en annulant néanmoins l'ordre de transfert, valablement donné par l'épouse au motif que l'époux n'y avait pas valablement consenti, l'arrêt attaqué a violé les articles 1421 et 1422 du code civil ;

2°/ que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; que la preuve de la remise de fonds à une personne ne suffit pas à justifier l'obligation pour celle-ci de restituer la somme qu'elle a reçue ; qu'ayant relevé que la cause du transfert de fonds litigieux au profit de M. Z... était inconnue, la cour d'appel, qui l'a condamné à restituer ces fonds au seul motif qu'il ne pouvait se prévaloir d'un don manuel, sans constater que la preuve de l'obligation de restituer ces fonds était rapportée, a violé l'article 1315 du code civil ;

Mais attendu qu'après avoir retenu que, lorsqu'il avait signé l'ordre de transfert, Franck X... souffrait d'un trouble mental viciant son consentement, la cour d'appel a retenu qu'en application de l'article 1422 du code civil, M. X... et Mme X... étaient fondés à demander l'annulation de l'acte signé par Françoise Y... en l'absence de consentement valable de son époux dès lors que les valeurs transférées dépendaient de la communauté ; que le moyen, qui critique un motif surabondant, est par là-même inopérant ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 1153, alinéa 3, du code civil ;

Attendu que la cour d'appel a assorti la somme de 918 333 euros, que M. Z... a été condamné à restituer à l'indivision successorale, des intérêts au taux légal à compter du 28 août 2008, date de l'exécution de l'ordre de transfert des titres ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'en cas d'annulation d'une donation, la somme dont la restitution est ordonnée porte intérêts à compter du jour de la sommation de payer, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et vu l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a assorti la somme de 918 333 euros, que M. Z... a été condamné à restituer à l'indivision successorale, des intérêts au taux légal à compter du 28 août 2008, date de l'exécution de l'ordre de transfert des titres, l'arrêt rendu le 28 janvier 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que la condamnation de M. Z... à restituer à l'indivision successorale la somme de 918 333 euros portera intérêts au taux légal à compter de la sommation de payer ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mai deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. Z....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit nul l'ordre de transfert de titres signé le 2 juin 2008 par les époux X..., ordre exécuté par la société BNP Paribas le 28 août 2008, au profit de M. Malcolm Z..., d'avoir condamné M. Z... à restituer à l'indivision successorale résultant du décès des époux X... la somme de 918.333 ¿ outre intérêts au taux légal à compter du 28 août 2008 et de l'avoir condamné à payer indivisément aux consorts X... des dommages-intérêts de 5.000 ¿ ;

AUX MOTIFS QUE les appelants font valoir au soutien de leur demande d'annulation de l'ordre de transfert donné par leurs parents le 2 juin 2008 au profit de M. Malcolm Z... que leur père n'était pas sain d'esprit au sens des articles 414-1 et 901 du code civil, de telle sorte qu'il n'a pu être disposé valablement de biens de la communauté en dépit du fait que leur mère ait rédigé de sa main en toute lucidité l'acte litigieux ; que de fait, il résulte d'un certificat établi le 12 septembre 2009 par le docteur A..., particulièrement à même de juger de l'état mental de son patient en sa qualité de médecin traitant, que l'état physique et mental de M. Franck X... « ne lui permettait plus, à compter du mois de janvier 2008, de juger de la pleine portée de ses actes » ; que M. Franck X... était âgé de 85 ans à la date de la signature de l'ordre de transfert de titres (2 juin 2008) et les hospitalisations dont il a fait l'objet à cette époque, la première remontant au mois de janvier 2008, précisément, attestent d'une dégradation soudaine et rapide de son état de santé ; que le certificat du médecin traitant démontre, peu important que celui-ci n'ait pas souhaité préciser la pathologie dont souffrait son patient, que Franck X... présentait lorsqu'il a signé l'acte litigieux des troubles mentaux dus à l'âge de nature à vicier son consentement ; que ce fait est confirmé par une attestation de M. Yvan B..., ami du couple, qui, dans une attestation circonstanciée, déclare avoir constaté à la même époque la dégradation de l'état physique et mental de M. Franck X... qui n'était plus capable de prendre aucune décision et dont l'état de dépendance nécessitait la présence permanente d'une tierce personne, rôle rempli par son épouse ; que rien, dans les dires des parties ou les circonstances de l'affaire ne permet de trouver d'explication rationnelle à un acte ayant pour conséquence de priver deux enfants avec lesquels il n'existait pas de perte d'affection de la part des prétendus donataires de tous droits sur des valeurs qui représentaient la majeure partie des biens de ces derniers au profit de l'époux, de nationalité étrangère et séparé de biens, d'un troisième enfant qu'ils se plaignaient de ne plus voir qu'un tel acte va à l'encontre des sentiments qui liaient M. Franck X... et son épouse à leurs enfants et de leurs convictions qui, selon les explications des parties, étaient dans le domaine moral et familial celles de catholiques traditionalistes ; qu'il est indifférent que M. Franck X... que son épouse, valide, avait pris en charge se soit déplacé à Genève pour signer un acte de transfert ; que le préposé de la banque qui a reçu le consentement des époux X... n'était pas en mesure de se rendre compte de l'état de santé mentale du mari lorsque celui-ci a signé l'acte rédigé par son épouse ; qu'il en est de même du prêtre qui a donné l'extrême onction à M. Franck X... et à son épouse peu avant le décès du premier ; que ce prêtre qui se réfère indifféremment et de manière non circonstanciée à l'état mental des époux X... précise d'ailleurs que son avis ne résulte que de l'apparence ; qu'enfin, on ne peut tirer aucune déduction concernant les facultés de discernement de M. Franck X... de la tenue de l'agenda de celui-ci ; que les appelants rapportent bien la preuve de ce que leur père souffrait, lorsqu'il a signé l'acte de transfert rédigé par son épouse le 2 juin 2008, d'un trouble mental qui viciait son consentement ; qu'aux termes de l'article 1422 du code civil, les époux ne peuvent, l'un sans l'autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté ; qu'il résulte de ce texte que les appelants sont fondés à réclamer l'annulation de l'acte de transfert du 2 juin 2008 qui a été signé par Mme Françoise Y... épouse X... en l'absence de consentement valable de son époux dès lors que les valeurs qui faisant l'objet de cet ordre dépendaient de la communauté ; que M. Z... ne peut pas au surplus soutenir que la possession par laquelle il prétend justifier l'existence d'un don manuel n'était pas viciée ; que le vice consiste, outre le défaut de consentement d'un des prétendus donateurs, dans le caractère clandestin de la possession ; qu'on ignore, même dans l'esprit de Mme Françoise X..., quelle a pu être la cause de ce transfert de fonds ; que le caractère irrévocable qui est mentionné dans l'acte, de la main de Mme X..., ne suffit pas à démontrer que celle-ci ait donné des instructions en vue de cacher à ses enfants avec lesquels elle n'était nullement brouillée la matérialité d'un transfert de fonds qui pouvait avoir une autre cause que l'intention libérale ; que Mme X... ne précise pas non plus dans quel domaine, droit de la famille ou doit fiscal, ont été pris « tous les conseils nécessaires pour cette opération auprès de personnes compétentes » ; que n'est pas parce que les fonds avaient été placés dans une banque ayant son siège en Suisse que les époux X... ont nécessairement souhaité tenir leurs enfants dans l'ignorance de l'existence de la majeure partie de leur patrimoine ; que le transfert ordonné en faveur de M. Z... qui est un homme d'affaires pouvait avoir un but fiscal ou de placement ; qu'on ne comprend pas, comme il a été déjà souligné, pour quelle raison les époux X... auraient pu consentir à un tiers qu'ils n'avaient aucune raison particulière de gratifier et qui se dit séparé de leur fille à la date de l'opération une libéralité d'une telle importance au préjudice d'enfants auxquels, à la même époque, ils ne cessaient de donner des signes d'affection ; que la juridiction Suisse qui a ordonné la levée du secret bancaire a relevé dans les motifs de sa décision que « le fait que les défunts aient pu vouloir garder confidentielles ces informations, y compris vis-à-vis de leurs propres héritiers, comme le soutient la citée » (la banque), « ne ressort pas clairement des instructions écrites produites par celle-ci dans lesquelles les donneurs d'ordre indiquent notamment avoir pris conseil auprès de personnes compétentes » ; que M. Z..., qui ne justifie pas de l'existence d'une recommandation de la part des prétendus donateurs en vue de tenir les enfants de ces derniers dans l'ignorance d'une opération qu'il n'a avouée qu'après y avoir été contraint, parce que la procédure devant le juge Suisse l'avait révélée, ne peut pas soutenir que la clandestinité de sa mise en possession aurait été légitime ; que cette possession est viciée, ce qui ne lui permet pas de se prévaloir d'un don manuel sur le fondement de l'article 2276 du code civil ; qu'il y a lieu de réformer le jugement entrepris et de condamner M. Malcolm Z... à restituer à l'indivision successorale, selon les modalités qui seront précisées dans le dispositif de l'arrêt, la somme de 918 333 ¿ qui représente la valeur des titres à la date de l'acte de transfert annulé ; que cette somme produira des intérêts légaux à compter du 28 août 2008, date de l'exécution du transfert, au taux simple, et non majoré de 5 points, dans la mesure où l'obligation ne résulte pas à ce jour d'une décision de justice devenue exécutoire ; qu'en l'absence de connaissance des circonstances dans lesquelles les époux X... ont été amenés à céder les titres à leur gendre, on ne peut pas retenir l'imputation d'abus de faiblesse, encore que l'opération apparaisse suspecte qu'il demeure que la dissimulation de l'opération a généré pour les héritiers qui n'ont pu trouver les fonds dans la succession de leurs parents, comme ils pouvaient légitimement y prétendre, un préjudice moral et financier dont le premier juge a fait une estimation suffisante ;

ALORS D'UNE PART QUE l'interdiction faite aux époux de disposer l'un sans l'autre des biens de la communauté ne vaut que pour les actes faits entre vifs et à titre gratuit ; que l'arrêt attaqué exclut que les époux X... aient transféré des fonds au profit de M. Z... avec une intention libérale et, en conséquence, que l'acte de transfert ait été fait à titre gratuit ; qu'en annulant néanmoins l'ordre de transfert, valablement donné par l'épouse au motif que l'époux n'y avait pas valablement consenti, l'arrêt attaqué a violé les articles 1421 et 1422 du Code civil ;

ALORS D'AUTRE PART QUE celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; que la preuve de la remise de fonds à une personne ne suffit pas à justifier l'obligation pour celle-ci de restituer la somme qu'elle a reçue ; qu'ayant relevé que la cause du transfert de fonds litigieux au profit de M. Z... était inconnue, la cour d'appel qui l'a condamné à restituer ces fonds au seul motif qu'il ne pouvait se prévaloir d'un don manuel, sans constater que la preuve de l'obligation de restituer ces fonds était rapportée, a violé l'article 1315 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir assorti la condamnation de M. Malcolm Z... à restituer à l'indivision successorale résultant du décès de M. Franck X... et de Mme Françoise X... née Y... la somme de 918.333 ¿ des intérêts au taux légal à compter du 28 août 2008 ;

AUX MOTIFS QUE la somme de 918.333 ¿ produira des intérêts légaux à compter du 28 août 2008, date de l'exécution du transfert, au taux simple et non majoré de 5 points, dans la mesure où l'obligation ne résulte pas à ce jour d'une décision de justice devenue exécutoire ;

ALORS QUE les intérêts au taux légal de la somme dont la restitution a été ordonnée en conséquence de l'annulation de l'acte en application duquel elle avait été versée ne peuvent avoir pour point de départ que le jour de la sommation de payer et non le jour du versement ; qu'en fixant à la date du versement le point de départ des intérêts légaux, la cour d'appel a violé l'article 1153 du code civil.

ECLI:FR:CCASS:2015:C100495

Analyse

Décision attaquée : Cour d'appel de Limoges , du 28 janvier 2014