Le versement d'une fraction du prix avant le début des travaux dans la VEFA ?

Est-il possible d'exiger de l'acquéreur le versement d'une partie du prix de vente avant le début des travaux ?

Etonnamment et en dépit des conséquences néfastes pour les acquéreurs dans le programme dont a eu à connaître la Cour de cassation, certains considèrent q'une réponse positive a été apportée par la Cour dans un arrêt rendu en assemblée plénière le 5 déc. 2014 (v. not. J.-M. Delpérier, JCP N 2015, 1125), venant ainsi mettre fin à une incertitude liée à une RM du 1er mars 2011 (Rép. min. n° 92957: JOAN Q, l e mars 2011 p. 2047).

A vrai dire, il nous apparaît que la Cour de cassation n'a nullement adopté une telle solution dans l'arrêt en cause et ce pour une raison simple : la question ne lui a pas été posée. Elle n'a donc pas eu à répondre sur ce point.

D'ailleurs, dans l'espèce qui a été soumise à la Cour de cassation et suivant l'arrêt d'appel de la cour de Bordeaux du 28 mars 2013, "selon acte reçu le 05 octobre 2007 par Me Jean-Michel V., notaire associé à P., la société X. a vendu en l'état futur d'achèvement aux époux D. les lots n° 155 et 122, correspondant à un appartement n° 302 et à un emplacement de stationnement n° 13, ainsi qu'à diverses quotes-parts de droits indivis, le tout dépendant d'un ensemble immobilier dénommé 'résidence X.', en cours de construction sur un terrain situé à [...], qui devait comprendre, après achèvement, un bâtiment unique de cinq niveaux, avec 47 logements. La livraison était prévue pour le deuxième trimestre 2008 au plus tard. Il était indiqué que le permis de construire avait été délivré le 12 octobre 2005 et que la déclaration d'ouverture de chantier avait été établie le 1er juin 2007. Le prix, de 153 900,00 euro TTC, a été financé par un prêt immobilier de même montant, remboursable sur 23 ans, consenti aux acquéreurs par la société N.. Sur ce prix, une somme de 38 475,00 euro TTC a été payée à la venderesse le jour de la signature de l'acte authentique, le solde devant être réglé au fur et à mesure de l'avancement des travaux. Il était précisé que les appels de fond devaient être impérativement versés à la société Caixa de Catalunya, succursale en France de la société de droit étranger Caixa de Catalunya, succursale qui, par acte sous seing privé du 11 juillet 2007, avait conclu avec la venderesse une garantie d'achèvement sous forme d'un cautionnement, dans les termes de l' article R. 261-21 b du code de la construction et de l'habitation. Il était indiqué qu'à défaut de versement des appels de fond à cette société, 'les sommes en cause ne seront pas libératoires vis-à-vis de la Caixa de Catalunya, et la garantie financière d'achèvement sera sans effet, à l'égard des acquéreurs qui n'auront pas respecté cette obligation de centralisation financière' (page 9 de l'acte authentique)". De la lecture de l'arrêt d'appel, il résulte que l'acte de vente précisait bel et bien que les travaux avaient commencé. Il n'y a donc pas eu en l'espère de dissociation entre le début des travaux et le versement du prix dans l'acte de vente, même s'il est vrai que dans les faits, les travaux n'avaient pas "réellement" (pour reprendre le terme utilisé par la cour d'appel) débuté.

En outre, il est incontestable que la situation des acquéreurs aurait été nettement simplifiée s'il n'y avait eu aucun versement avant le début des travaux : le contrat aurait été résilié sans que ne se pose la moindre question de restitution. Ainsi que l'ont souligné les juges d'appel, la société X n'a jamais commencé les travaux de construction du programme en litige, malgré sa déclaration d'ouverture de chantier à la date du 1er juin 2007, et qu'elle a laissé se périmer le permis de construire accordé le 12 octobre 2005, mais encore qu'elle a utilisé sur d'autres programmes immobiliers les fonds qu'elle s'était fait remettre par les acquéreurs, ce que son gérant appelle avoir 'mutualisé la gestion des SCI' !

Enfin, d'autres commentateurs de cet arrêt ont conclu en sens exactement contraire à celui précité. Il en va ainsi de MM. Zavaro : "Pris au pied de la lettre, l'arrêt interdit de formaliser un acte de vente en l'état futur d'achèvement avant que le commencement des travaux ne soit établi et il est vraisemblable que les promoteurs auront désormais quelques difficultés à passer des actes de vente en l'état futur sans justifier du commencement des travaux" (Annales des loyers, avril 2015, p. 134).

En conclusion, il serait dès lors bien imprudent de tirer des conclusions à partir d'un arrêt qui ne fournit pas la solution attendue par la pratique notariale.

Arrêt n° 614 du 5 décembre 2014 (13-19.674) - Cour de cassation - Assemblée plénière - ECLI:FR:CCASS:2014:AP00614

PROCÉDURE CIVILE ; CONSTRUCTION IMMOBILIÈRE ; BANQUE

Cassation

Procédure civile

Communiqué

Rapport de Mme Andrich

Avis de Mme Lesueur de Givry

Demandeur(s) : M. Christian Z...

Défendeur(s) : SCP Jean-Michel C...

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par acte du 5 octobre 2007 reçu par la société civile professionnelle Jean-Michel C... (la SCP Jean-Michel C...), notaire, M. et Mme Z... ont, au moyen d’un emprunt souscrit auprès de la société Caisse régionale normande de financement (la société Norfi), acquis de la SCI Les Terrasses d’Alembe (la SCI) un appartement et un emplacement de stationnement en l’état futur d’achèvement ; que la société Caixa d’Estalvis de Catalunya, devenue la société Caixa d’Estalvis de Catalunya Terragona I Mansera (la société Caixa) a consenti, le 11 juillet 2007, une garantie d’achèvement selon contrat stipulant que les versements correspondant aux appels de fonds à mesure de l’exécution des travaux devaient, pour être libératoires, être effectués entre les mains du garant ; que le premier appel de fonds a été payé par la société Norfi directement à la SCI, au vu d’une attestation d’achèvement des fondations établie par M. A..., architecte ; que les travaux n’ayant, en réalité, pas commencé, le permis de construire a expiré deux ans après sa délivrance, soit le 12 octobre 2007 ; que M. et Mme Z... ont assigné la SCI depuis lors en liquidation judiciaire, la société Caixa, la SCP Jean-Michel C..., notaire, M. A... et la société Norfi en résolution de la vente et du contrat de prêt et en indemnisation de leurs préjudices ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident, qui est préalable :

Attendu que la société Norfi fait grief à l’arrêt de la condamner à payer une certaine somme à M. et Mme Z..., alors, selon le moyen, que l’obligation faite à l’auteur des conclusions de communiquer ses pièces, simultanément au dépôt et à la notification de ses conclusions, est sanctionnée par l’obligation pour le juge, dès lors que la partie adverse le demande, d’écarter des débats les pièces non communiquées en même temps que les conclusions ; qu’en refusant de faire droit à la demande de la société Norfi visant à faire écarter les pièces qui n’avaient pas été communiquées en même temps que les conclusions, au motif que la preuve d’une atteinte aux droits de la défense n’a pas été rapportée, quand la sanction est automatique et qu’elle devait être appliquée avant que les juges du fond puissent examiner les demandes de M. et Mme Z... à l’encontre de la société Norfi, les juges du fond ont violé l’article 906 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu’ayant relevé que la société intimée, à qui les appelants avaient communiqué leurs pièces quelques jours après la notification des conclusions au soutien desquelles elles étaient produites et qui avait conclu à trois reprises et pour la dernière fois en décembre 2011, avait été en mesure, avant la clôture de l’instruction le 2 octobre 2012, de répondre à ces pièces et, souverainement retenu que les pièces avaient été communiquées en temps utile, la cour d’appel en a exactement déduit qu’il n’y avait pas lieu de les écarter ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal :

Vu l’article 1382 du code civil ;

Attendu que pour débouter M. et Mme Z... de leur demande indemnitaire à l’encontre de la SCP Jean-Michel C..., notaire, l’arrêt retient qu’à l’acte de vente en l’état futur d’achèvement conclu entre la SCI et M. et Mme Z... reçu par la SCP Jean-Michel C..., le 5 octobre 2007, le vendeur, qui a indiqué qu’une déclaration d’ouverture du chantier avait été faite par lui le 1er juin 2007, disposait d’un délai de quatre mois et demi et que ce délai étant suffisant pour commencer la construction de manière significative afin d’éviter la péremption, le notaire n’avait pas à procéder à d’autres vérifications ou à exiger la justification d’une demande de prorogation du permis de construire qui n’était pas nécessaire en cas de commencement des travaux ;

Qu’en statuant ainsi, alors que ni la formalité d’une déclaration d’ouverture de chantier ni l’existence d’une garantie d’achèvement ne dispensaient le notaire, tenu d’assurer l’efficacité de l’acte de vente en l’état futur d’achèvement qu’il dressait le 5 octobre 2007, de vérifier le commencement effectif des travaux, seule circonstance de nature à prolonger le délai de validité du permis de construire délivré le 12 octobre 2005, en l’absence de demande de prorogation, et d’informer les acquéreurs des risques qu’ils couraient, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal et le troisième moyen du pourvoi incident, réunis :

Vu l’article 1147 du code civil ;

Attendu que pour limiter la condamnation prononcée contre la société Norfi au profit de M. et Mme Z..., après partage de responsabilité, l’arrêt retient qu’il y a lieu de tenir compte de la propre négligence des acquéreurs qui n’ont pas respecté les clauses de l’acte ;

Qu’en statuant ainsi après avoir relevé que selon l’acte de vente auquel elle était partie, la société Norfi, banquier prêteur, devait procéder au paiement des acomptes directement entre les mains du garant d’achèvement, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;

Attendu que la cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi principal n’emporte pas la cassation par voie de conséquence visée à la première branche du troisième moyen du même pourvoi ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième et troisième branches, ni sur le deuxième et le quatrième moyens du pourvoi incident qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions relatives à la responsabilité de la SCP Jean-Michel C... et de la société Norfi envers M. et Mme Z..., l’arrêt rendu le 28 mars 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse

Président : M. Louvel, premier président

Rapporteur : Mme Andrich, conseiller, assistée de Mme Polèse-Rochard, greffier en chef au service de documentation, des études et du rapport

Avocat général : Mme Lesueur de Givry

Avocat(s) : SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, Me Foussard, SCP Boulloche, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Roger, Sevaux et Mathonnet