Usage et stipulation contractuelle ne font pas bon ménage

Tel est l'adage qui peut être tiré d'un arrêt de la première chambre civile du 4 juin 2014 où la cour de cassation retient que "l’acte de cession spécifiait que le prix de vente serait payé directement entre les mains du cédant par le cessionnaire et que l’usage allégué n’avait vocation à s’appliquer que dans le silence de la convention".

V. Zalewski-Sicard

vivienzalewski@orange.fr

Arrêt n° 664 du 4 juin 2014 (13-17.077) - Cour de cassation - Première chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2014:C100664

Demandeur(s) : Société Piano

Défendeur(s) : Mme X... ; et autres

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que par acte du 15 septembre 2004, M. Y..., notaire, a cédé à Mme X..., son associée, les parts qu’il détenait dans la SELARL qu’ils avaient constituée ensemble, moyennant un prix de 167 693,92 euros ; que par acte du 16 septembre 2004, signifié à Mme X... le 17 septembre suivant, M. Y... a cédé sa créance à la société Piano ; que le prix de cession a été déposé le 24 mars 2005 auprès de la chambre des notaires de Haute Corse, laquelle a reçu un avis à tiers détenteur le 25 mars 2005 et a acquitté une somme de 53 512 euros auprès du Trésor public ; que reprochant à Mme X... de ne pas avoir respecté les termes de l’acte de cession, prévoyant le versement du prix directement au cédant, la société Piano a recherché sa responsabilité ainsi que celle de la chambre des notaires ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société Piano fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes à l’encontre de la chambre des notaires, alors, selon le moyen, que l’avis à tiers détenteur ne peut avoir pour effet que d’obtenir le versement, par le détenteur de fonds devant revenir aux redevables d’impôts, des fonds qu’ils détiennent à concurrence des impositions dues par ces redevables ; le cessionnaire d’une créance est saisi à l’égard des tiers par la signification du transport faite au débiteur ; que l’arrêt attaqué retient que la cession à la société Piano de la créance correspondant au prix de vente des parts sociales avait été signifiée le 17 septembre 2004 à M. X..., débitrice cédée, ce dont il résulte que le transfert de propriété de cette créance était opposable dès cette date aux tiers, y compris la chambre des notaires ; que par suite la chambre des notaires ne pouvait valablement se dessaisir au profit du Trésor public de fonds qui ne devaient pas revenir à M. Y..., redevable des impôts au titre desquels l’avis à tiers détenteur lui a été signifié le 25 mars 2005 ; qu’en jugeant le contraire, pour exclure toute responsabilité de la chambre des notaires, la cour d’appel a violé les articles 262 et 263 du livre des procédures fiscales et l’article 1690 du code civil ;

Mais attendu qu’il résulte de l’article 1690 du code civil que ne sont des tiers, au sens de ce texte, que ceux qui, n’ayant pas été parties à l’acte de cession, ont intérêt à ce que le cédant soit encore créancier ; que tel n’est pas le cas de la chambre des notaires, simple dépositaire des fonds ; qu’il s’ensuit que le moyen est inopérant ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1134 du code civil ;

Attendu que pour rejeter les demandes en réparation formées à l’encontre de Mme X..., l’arrêt, après avoir relevé que le prix de cession avait été déposé auprès de la chambre des notaires, alors que ces conditions ou modalités de séquestre n’étaient nullement précisées dans l’acte de cession, énonce qu’à l’occasion de la notification de l’avis à tiers détenteur, M. Y... a déclaré qu’il acceptait la signification de la somme de 40 900 euros pour laquelle il avait donné un pouvoir de règlement à hauteur du même montant à Mme X..., et qu’il est d’usage, en matière de vente d’office notarial, que le prix de cession soit séquestré auprès de la chambre des notaires, cette formalité étant destinée, notamment, à permettre aux services des impôts de prélever les dernières sommes qui pourraient être dues entre la date de cession et la date d’enregistrement et de publication de celle ci au Journal officiel ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’acte de cession spécifiait que le prix de vente serait payé directement entre les mains du cédant par le cessionnaire et que l’usage allégué n’avait vocation à s’appliquer que dans le silence de la convention, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du premier moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute la société Piano de ses demandes formées à l’encontre de Mme X..., l’arrêt rendu le 9 janvier 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Bastia ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;

Président : M. Charruault

Rapporteur : Mme Darret-Courgeon, conseiller référendaire

Avocat général : M. Sudre

Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Boré et Salve de Bruneton