Assurances construction et responsabilité pénale du notaire

La complicité d'un notaire au délit de l'article L. 243-2 du Code des assurances peut-elle être retenue lorsque ce dernier accepte de passer un acte de vente alors que le vendeur ne peut justifier de la souscription des assurances-construction ?

Lorsque la garantie décennale est due par un vendeur, il doit justifier de la souscription d’une assurance dommages-ouvrage et d’une assurance responsabilité décennale (C. ass., art. L. 243-2).

En effet, tant l’article L. 241-1 que l’article L. 242-1 du Code des assurances imposent la souscription des assurances-construction à « toute personne dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil » et à « toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l’ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, fait réaliser des travaux de construction » (L. Karila et C. Charbonneau, Droit de la construction : responsabilités et assurances, 2e éd., p. 562, n° 1093, Litec, 2011).

Cette souscription doit intervenir dès avant l’ouverture du chantier, tant pour l'assurance responsabilité décennale que pour l'assurance dommages-ouvrage (C. ass., art. L. 241-1 et L. 242-1).

S'agissant de la souscription de l'assurance responsabilité décennale, pour reprendre les termes de l'article L. 241-1 du Code des assurances, celle-ci s'impose à "toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil, doit être couverte par une assurance". Or, le vendeur ne sait absolument pas, lors de la réalisation des travaux, s'il conservera ou non pendant la durée de la garantie décennale le bien construit ou rénové et s'il est susceptible ou non de revêtir la qualité de vendeur-constructeur. Sa responsabilité décennale est donc susceptible d'être engagée sur le fondement de l'article 1792 du Code civil. Cette simple possibilité est suffisante au regard de l'article L. 241-1 du Code des assurances ("toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée") et justifie dès lors que cette souscription intervienne avant l'ouverture du chantier et non pas uniquement au moment de la vente (en ce sens : G. Leguay et J.-M. Berly, Le cas du "castor" : RD imm. 1998, p. 398. Contra : J.-D. Bénabar et P. Paineau, RD imm. 2002, p. 517. Contra : L. Gibault, Les assurances de construction et l'adaptation des ventes : JCP N 2015, 1237). Il est à remarquer que la plupart des assureurs proposent en option de l'assurance DO ou en l'incluant d'office une garantie CNR (constructeur non réalisateur), en mettant en avant la qualité de réputé constructeur du maître de l'ouvrage dans l'hypothèse où il viendrait à vendre.

Tout comme l'assurance responsabilité, l'assurance dommages-ouvrage doit être souscrite avant l'ouverture du chantier. Ainsi, le professeur H. Groutel souligne-t-il l'erreur de raisonnement commise dans une publicité qui consiste à soutenir que ce n'est lors de la vente que cette souscription doit intervenir : "c'est seulement lorsqu'il vend un logement qu'il a construit ou fait construire pour l'occuper lui-même ou pour sa famille que le particulier est obligé de souscrire l'assurance dommages-ouvrage, mais sans encourir de sanctions pénales s'il ne le fait pas. Autant que l'on sache, l'obligation existe avant l'ouverture du chantier, et c'est à ce moment qu'il est, dans le cas de figure décrit, exonéré de sanctions pénales" (Publicité notariale approximative, Resp. civ. et ass. 2013, Repère 9; dans le même sens: F.-X. Ajaccio, A. Caston et R. Porte, Clause d'application de la garantie décennale : notion d'ouverture de chantier: Resp. civ. et ass. 2012, form. 5. En sens contraire : S. Claire Chétivaux, J.-Cl. Civil Code, Art. 1788 à 1794, n° 25, 2015).

De cette obligation de souscrire les assurances-construction avant l'ouverture du chantier, il peut être déduit que l'infraction sanctionnée par l'article L. 243-2 du Code des assurances a pour élément matériel l'ouverture du chantier avant toute souscription des assurances : "Quiconque contrevient aux dispositions des articles L. 241-1 à L. 242-1 du présent code sera puni d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 75 000 euros ou de l'une de ces deux peines seulement. Les dispositions de l'alinéa précédent ne s'appliquent pas à la personne physique construisant un logement pour l'occuper elle-même ou le faire occuper par son conjoint, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint".

Le notaire ne peut se rendre complice d’une telle infraction. En effet, « le délit prévu par l’article L. 243-3 du code des assurances est « un délit instantané consommé par le défaut de souscription de l’assurance prescrite avant l’ouverture du chantier » (Cass. Crim., 9 décembre 1992, n° 92-80540. - CA Bordeaux, 7 déc. 2007, n° 07/00465). Que si sont susceptibles d’être poursuivis comme complices tous individus ayant fourni une aide ou assistance pour la préparation ou la consommation du délit ou ayant incité à sa commission par dons, promesses, menaces, ordres ou abus d’autorité ou de pouvoir (article 121-7 du code pénal), encore faut-il que ces faits de complicité interviennent antérieurement à la consommation du délit (Cass. Crim., 20 mars 1997, n° 96-81361, Dr. pén. 1997, comm. n° 131 : « attendu qu’en l’état de ces énonciations, qui caractérisent des actes de complicité antérieurs ou concomitants à l’action principale, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués »).

Comme l’indique le professeur Salvage, « de la logique de la complicité et des termes de l’article 121-7 du code pénal (….), il résulte que la participation des complices doit être nécessairement antérieure ou concomitante à la réalisation de l’infraction et non postérieure. La jurisprudence est constante sur ce point… De tels faits peuvent néanmoins être punissables sur le terrain de la complicité s’ils résultent d’un accord antérieur à la réalisation du délit » (J.-Cl. Pénal Code, art. 121-6 et 121-7, Fasc. 20, Complicité, n° 53, 2005).

Au demeurant, il convient de souligner que si l'on écarte l'obligation de souscrire l'assurance responsabilité décennale dès l'ouverture du chantier pour le vendeur après achèvement et que l'on retient que cette souscription ne doit intervenir qu'avant la conclusion de la vente, il faut alors admettre que le délit de l'article L. 243-3 du Code des assurances ne peut être constitué. En effet, en s'en tenant au principe d'interprétation stricte de la loi pénale, il ne peut qu'être constaté que l'infraction visée par l'article L. 243-3 du Code des assurances a pour élément matériel l'absence de souscription d'une assurance avant l'ouverture du chantier (CA Bordeaux, 7 déc. 2007, n° 07/00465), conformément à l'article L. 241-1 du Code des assurances. Or, l'existence d'un tel élément matériel ne peut être constatée pour le vendeur après achèvement dès lors que l'on retient l'idée suivant laquelle il n'a à souscrire d'assurance responsabilité décennale qu'une fois qu'il décide de vendre. S'il ne souscrit pas d'assurance responsabilité décennale, il ne commet dès lors aucune infraction dont le notaire pourrait se rendre complice. De même, si l'on considère que c'est en vertu non de l'article L. 241-1 du Code des assurances qu'incombe au vendeur après achèvement l'obligation de souscrire une assurance responsabilité mais du 2e alinéa de l'article L. 241-2 du même code, l'existence d'une infraction ne pourra être retenue s'il n'est pas établi que le vendeur avait, dès avant l'ouverture du chantier, l'intention de vendre.

Quant au fait de dénoncer un éventuel délit (ce qui suppose qu'il ne s'agisse pas d'une personne physique qui a construit un logement pour l'occuper elle-même ou le faire occuper par son conjoint, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint) en application du 2e alinéa de l'article 40 du Code de procédure pénale, il convient de préciser que le notaire doit également prendre en compte le secret professionnel auquel il est tenu et dont la violation est passible de sanctions pénales (art. 226-13 du Code pénal) alors que tel n'est pas le ças de l'absence de dénonciation d'un délit (http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-19361QE.htm). Or, le secret professionnel auquel il est tenu en vertu d'une loi spéciale (art. 226-13 du Code pénal) devrait l'emporter sur une loi générale (art. 40 du Code de procédure pénale). Il est vrai que l'article 226-14 du Code pénal, en son premier alinéa, précise que "l'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret". Le notaire n'encourt donc pas a priori de sanction s'il dénonce le délit de non souscription d'une assurance construction avant l'ouverture du chantier. L'article 226-14 du Code pénal ne lui impose pas pour autant de procéder à une telle dénonciation. Au notaire de choisir en conscience sur l'utilité de procéder à une telle dénonciation.

Dès lors, le notaire qui ne fait que passer un acte de vente relativement à un bien non assuré, donc postérieurement à la consommation de l’infraction, ne pourrait encourir de responsabilité que civile s’il ne respectait pas le second alinéa de l’article L. 243-2 du code des assurances (sur la reconnaissance de conseils donnés à établir: J. Lafond, J.-Cl. Notarial Formulaire, V° Vente d'immeuble, fasc. 515, form. 4).

En conclusion, toutes ces difficultés ne pourraient-elles être évitées en modifiant l'article 1792-1 du Code civil et en renonçant à assimiler au constructeur celui qui vend après achèvement un ouvrage qu'il a réalisé ou fait réaliser ?

V. Zalewski-Sicard

vivienzalewski@orange.fr