Manitas De Porcas nous fait l'honneur d'une interview pour la création de son "Lecteur de carton" chroniqué ci-dessous.
Interview de Manitas de Porcas par Bob L'Eponge Carrée Sept 2018
BLC : Manitas, merci de nous consacrer quelques minutes pour nous parler de votre dernière création, le "Lecteur de carton". Tout d'abord, qu'est ce qui vous à poussé à construire l'objet ?
MDP : En réalité ce sont deux idées phares. La première idée a pour origine Cuba dont je suis originaire. Les contraintes particulières de Cuba ont fait que de très nombreux produits industriels qui ne pouvaient pas être renouvelés ont été tout d'abord réparés, puis modifiées, transformés, re-fonctionnalisés. C'est une idée très forte qui vient s'opposer à "l'innovation technologique" telle que les grands groupes industriels occidentaux vont la vendre aux clients : quand on a du pouvoir d'achat, n'importe quel argument d'Apple ("nous avons gagné un millimètre en épaisseur") sera une source de motivation pour renouveler.
A Cuba, les choses en sont allées autrement. Avez-vous remarqué comment la pensée magique d'un univers alternatif est présente dans les publicités : "découvrez un autre univers" et allons-y pour les super, supra, multi, advanced ? A l'opposée d'un monde imaginaire idyllique, à Cuba, la réalité, la nécessité et la révolte contre le consumérisme, ont finit par produire un concept, nommé "désobéissance technologique".
La seconde idée est celle du "Design Noir". Pour moi, ce n'est pas vraiment un guide de design, une méthodologie, c'est plutôt une démarche critique qui se pose la question de la relation aux objets d'un point de vue social et culturel en terme de représentation, au sens bourdieusien du terme.
BLC : Mmm... Merci Manitas, mais pour les lecteurs de Bikini Bottom, au delà du discours sur l'oeuvre, que pouvez-vous nous dire de l'objet lui même ?
MDP: Je voulais quelque chose de très sale, de "Gonzo", de bordélique, brouillon et quelque chose de provocateur. Sur l'apparence de l'objet, je crois que je n'ai pas réussi : c'est propre et cela peut passer totalement inaperçu.
BLC : en dehors de l'apparence alors, comment vos deux idées phares sont-elles intégrées ?
MDP : Tout cela, c'est à cause de Google.
BLC : ?
MDP : en 2017 la fondation Raspberry s'est associée avec Google pour proposer un petit kit pour s'initier à l'intelligence artificielle. J'ai acheté ce kit en 2018 aux USA pour moins de 10$. C'est là que les problèmes ont commencés. Tout d'abord il y avait quelques erreurs dans le kit lui même, par exemple de couleur de connecteur. Ensuite, la documentation actuelle sur le web est assez difficile à trouver. Et enfin, ce qui est inadmissible, c'est la chose suivante. En gros, vous souscrivez un contrat google en tant que développeur et pour une année, qui coute 300$ mais que Google vous offre, pour utiliser les services de reconnaissance vocale et autres... Mais en même temps, vous souscrivez sans vous en rendre compte, un contrat qui fait qu'une société tierce dispose d'un accès complet à votre compte. Lorsque je m'en suis rendu compte, j'ai tout supprimé.
A ce moment là, je me suis demandé comment je pouvais re-fonctionnaliser le kit AIY. L'idée d'en faire un réveil matin, dans une boite en carton m'a beaucoup intéressé.
J'invite les lecteurs de votre site à se renseigner sur les sujets de la désobéissance technologique et de design noir. Je pense à un site qui se nomme Amazon Noir qui a utilisé du logiciel spécifique pour tromper le site Amazon et lui soutirer des ouvrages.
En 2017 la fondation Raspberry et Google s'associent pour fabriquer un kit permettant de transformer une Raspberry Pi en un machin "Ok Google". Avec comme envie d'initier tout le monde à l'intelligence artificielle, l'idée de départ n'est peut être pas complètement condamnable. Mais le temps passé sur le produit ne donne pas vraiment envie. Le truc utilise les serveurs Google pour fonctionner et la progression dans l'installation génère un malaise... Pour finir, c'est "Non merci", pas de ça chez moi : vous "ouvrez" votre compte Google à des sociétés dont vous ne connaissez même pas l'existence.
En 2018 Google a sorti une version 2 ainsi qu'un kit pour la reconnaissance d'images... Et du coup la version 1 (celle de 2017) se vend à 10$ sur Amazon US et se retrouve chez vous en 3 jours pour 15€.
Une des nouveautés rigolotes de la version 4 de PiCore est de reconnaître comme DAC la carte HAT, le chapeau à poser sur la Raspberry. Il y a un DAC là dessus ? Ben oui, un petit machin monophonique sur lequel on va venir brancher un HP (fourni dans l'emballage).
Voilà tous les éléments du kit. Comme on ne veut pas avoir un espion Google à demeure, on va recycler le kit pour en faire un lecteur en carton.
Les opérations sont très simples :
Dans la partie Squeezelite Settings il faut sélectionner "Google voiceHat" et éventuellement nommer le lecteur (ici "piCardbord").
On reboote et c'est parti !
Dès lors le serveur reconnait le lecteur et propose de le commander...
La consommation électrique est très faible (5V et moins 0.5A soit 2.5W) et on peut l'utiliser pour écouter la musique écouter la radio, comme un réveil matin en activant les alarmes sur le Logitech Media Server. Bon, c'est vrai, on peut écouter aussi sa propre musique servie par le LMS, mais c'est en mono sur un haut parleur de machine à laver.
Et voilà, pour 15€ on vient de fabriquer un réveil matin capable de diffuser 50000 radios de TuneIn Radio et 70000 radios de Shoutcast...
On va choisir une radio de musique Baroque pour des réveils en douceur.
Rhaaa, quelle élégance cette belle radio en carton !
Sur la vidéo ci-dessous on voit la mise à feu de l'engin et l'on peut lire la consommation instantanée. Le bidule boote et au bout de quelques secondes il reprend la lecture où il s'était arrété. Ensuite une télécommande Logitech permet de passer de la lecture d'un fichier sur le NAS à la lecture d'une station de radio. On aurait pu faire cela depuis un téléphone.