Carver CM-1065

"J'sais pas skila". Quand dans vos mains passent de nombreux appareils, de temps en temps vous avez des petites surprises. On passe sur les classiques traces de café(s) tombé(s) sur les électroniques, pour venir directement à ce joli pépère qui cachait quelque chose sous son capot ajouré.

Le CM-1065 de Bob l'éponge

Là j'abuse un peu. Ce n'est pas Bob l'éponge, c'est Bob Carver. Bob Carver a toujours été un petit facétieux (et surtout un ingénieur hors pair) qui s'est par exemple amusé à provoquer les magazines de l'époque en leur affirmant qu'il pouvait copier n'importe quelle sonorité d'ampli et ensuite mettre sur le marché un appareil qui sonne de manière identique, mais beaucoup moins cher.

En 1985 le magazine Stereophile accepta le deal et proposa à Bob de copier le Conrad Johnson Premier Four (6000$ la paire), ce qui fut fait en 48h. Les oreilles d'or du magazine furent incapables d'identifier la copie de l'original. L'ampli à copier était enfermé dans une boite scellée. Bob utilisa la technique du "null difference testing" : si deux amplificateurs identiques réglés au même niveau de sortie reproduisent un signal identique en opposition de phase à 180°, alors aucun son ne peut être entendu. Bob utilisa des points de distorsion pour introduire les caractéristiques de l'amplificateur à copier sur son propre montage. Ensuite Bob commercialisa sa "copie" pour environ 400$.

Bob Carver fonda Carver Corporation en 1979 qui fonctionna jusqu'en 1994. Après la banqueroute Bob fonda d'autres entreprises etc... C'est purement une histoire étasunienne faite de hauts et de bas, dans un pays ou échouer est considérer comme une expérience positive. Tout ça pour dire qu'aujourd'hui nous avons dans les mains un Carver CM-1065 qui ne s'allume plus.

Cela a été très difficile de trouver le Service Manual et voici le lien si cela vous intéresse. Dans le SM on trouve l'année et le "Printed in Taiwan", hum, de quoi bien énerver le nationalisme made in USA. Anyway...

Specifications

D'après le SM l'ampli propose 2*65W sous 8 ohm et 2*100W sous 4 ohm. C'est un amplificateur en classe AB et la puissance est moins "névralgique" que sur un ampli classe D. En effet, en classe AB on a droit à des pics de puissances "instantanée" (quelques millisecondes), chose qui n'existe pas en classe D.

La sensibilité d'entrée est de la section amplificateur est de 1.05V (normal pour l'époque) et le gain est de 26.7dB (standard, quel que soit l'époque). L'appareil consomme 285W "at full power" et 18W quand il est en train de ronronner (idle).

Je signale que l'appareil ne chauffe pas, que ce soit en idle ou en fonctionnement. Je suppose qu'au repos la tension de bias est si faible que cela participe à la faible température. Et le fait que ça ne chauffe pas quand on tire dessus, c'est par design, parce que Bob Carver est un génie.

Haaa, la classe AB et le réglage du BIAS et de l'Offset...

Cela tombe bien, dès la page 7 du SM on entre dans le vif du sujet, tout est clair et en prime on peut aussi ajuster les vumètres à condition de disposer d'une résistance de 8 ohm.

J'ai d'abord trouvé le SM de la version plus puissante, le CM-1090 et j'ai apprécié que la procédure d'alignement soit dans les premières pages, c'est de ça dont on a besoin essentiellement !


Mesure de l'offset. C'est très simple, on branche le voltmètre en mode continu sur sa plus faible échelle pour avoir une mesure en mV.

Ensuite on se connecte aux bornes HP, enceintes débranchées, volume à zéro, réglages graves / aigus au milieu (ou désactivés si c'est possible) après 1/4 d'heure de chauffe.

Entre 0 et 15mV, c'est vraiment très bien. Ici le canal le moins bon est à 5.7mV et l'autre à 1.1 ! Ca veut dire que la distorsion est très faible. On a hâte de l'écouter !

Jusqu'à 50mV ça va, et au dessus de 100mV ça veut dire qu'il y a un problème...

Si vous voulez acheter un ampli d'occasion, achetez d'abord un multimètre. Si le zinzin vous sort une tension trop élevée aux bornes des HP, volume à zéro, c'est qu'il y a un problème : laissez-le au vendeur si vous n'aimez pas mettre les mains dedans !

Combien ? Deux fois Choichante Chinque Chwats !

Après avoir posé l'ampli sur la fenêtre et laissé partir de gros tas de poussière dans le vent, quelques photos.

Malgré les épais flocons de poussières partis polluer le voisinage, ce qui reste collé dans l'appareil permet à peine de deviner fusibles et diodes...

Les transistors et le radiateur.

C'est là que c'est chaud, un méga-spot à félins, je suppose : 2*65 Watts ou 2*65 Cats ?

Quand je reçois des appareils dans cet état (c'est aussi arrivé avec des ordinateurs) je suis un peu dégouté. La première chose que je fais, c'est du nettoyage, un coup d'aspirateur, un coup de bombe d'air (vidée, pour le coup) puis ensuite je peux commencer à mettre les doigts dedans.

Franchement, si vous faite partie de ce sous ensemble de l'humanité qui est esclave d'un ou plusieurs chats et que vous avez des appareils électroniques chez vous depuis des années, enlevez le capot et passez un coup de bombe d'air, ça ne peut pas faire de mal.

La qualité de fabrication est bizarre. D'un côté on a des prises dorées pour les entrées RCA, de l'autre la qualité des prises HP est moyenne, avec un chassis peu rigide qui se tord sous le poids du transformateur. La façade en plastique et les boutons du même bois sont moins engageants que par exemple les jolis Technics SE-A808 et son préamp. La présence des vumètres et le format rach avec les petites poignées donnent par contre un aspect pro plutôt sympathique.

Le fautif

Dès que l'on peut voir les fusibles, ça aide à un premier diagnostic visuel. Celui-ci ne fonctionne visiblement plus. On dirait qu'il a eu chaud.

Ha ben maintenant il s'allume. On va pouvoir relire la procédure d'alignement, vérifier quelques points et ensuite brancher un casque sacrificiel pour voir si ça fonctionne. Quand on sera rassuré, on branchera des enceintes.

Petite écoute sur la partie amplificateur

Comme sur de nombreux appareils de l'époque, les deux sections ampli et préampli peuvent être séparées. Au fil du temps il me semble avoir constaté que les sections amplificateurs sont plutôt bonnes. Et que ce qui fait la différence dans un intégré, c'est le préamplificateur, et c'est souvent là que c'est moins bien.

La partie préamplificateur ajoute du câble et des composants et donc du bruit et de la distorsion. Souvent en "Direct" on évite de passer par les correcteurs grave / aigu, on "gagne" des composants en moins et c'est facile de percevoir du mieux sur la scène sonore, les micro détails.

Bon, commençons par écouter la partie amplificateur pour se faire une bonne première impression, on verra la suite plus tard.

En temps normal deux cavaliers relient le préampli à l'ampli. Pour écouter seulement la partie amplificateur, j'ai relié la sortie RCA du Topping A90 à l'entrée Main In du Carver.

Mise sous tension, on attend que le relais monte et ensuite on connecte la paire d'enceintes A avec le bouton en façade : pas de plop à la mise à feu et ensuite pas de ronron en collant l'oreille à une enceinte. C'est bien !

A l'écoute, l'appareil m'a paru globalement neutre, sans registre mis en avant. J'ai trouvé les registres médium et aigus très détaillés et très propres avec de superbes timbres, ainsi qu'une belle scène sonore se formant derrière les enceintes. J'ajoute aussi une dynamique convaincante sur une paire d'Elac pas très facile à secouer. Les mesures aux bornes des enceintes étaient encourageantes et l'écoute confirme un appareil à la restitution propre.

Pour ce qui est de l'écoute, ce ne sont pas des mesures, il s'agit seulement un avis purement subjectif et personnel et je vous l'accorde, ça ne vaut pas grand chose. Néanmoins je m'autorise à vous partager mon engouement !

Maintenant j'appréhende un peu l'écoute de la section préampli : que vaut la partie phono ? Qu'est ce que ça donne sur l'entrée CD Direct qui bypasse les réglages de tonalité ?

Entrée phono

Et boum ! Aie aie, dès les premières notes on se rend compte que c'est très bon ! Je suis passé du Cambridge Audio Duo qui est la star des mesures sur Audio Science Review à l'entrée phono du Carver, sans avoir envie de partir en courant ! D'une manière purement subjective, je n'ai pas l'impression qu'il manque quoi que ce soit. On retrouve simplement les qualités entendues avec l'amplificateur, timbres, détails, dynamique et plaisir d'écoute !

Le propriétaire est un peu pressé de le récupérer, je ne sais pas si j'aurai le temps d'en profiter sur l'entrée "CD Direct" mais je suis persuadé que c'est très bien.

En conclusion

Le Carver n'est pas un produit très présent sur le marché de l'occasion. Certaines marques ont inondé le marché (Technics, Pionner, Philips, Marantz etc...) et de fait il est facile de trouver des composants, boutons, façades, Service Manual et j'en passe.

Pour le Carver ce sera plus compliqué parce que le produit n'est pas très fréquent sur le coin-coin ou sur la baie. Il me semble que son grand frère, le CM-1090 est plus facile à trouver.

Pour le CM-1060, si l'on se base sur un tarif moyen dans les 150€, alors pour cette somme vous avez un appareil aux performances sonores convaincantes, une entrée phono de course, un préampli très bon et un ampli très bon. La puissance est néanmoins limitée, paramètre à prendre en compte. Préférez une association avec du rendement à 90dB et au dessus si vous avez envie de faire boum boum !

Pour ma part je suis ravi d'avoir passé quelques jours avec le Carver et d'avoir pu l'apprécier. L'écoute est reposante et hyper agréable, c'est un appareil assez rare, vraiment très sympa à écouter et peut être un peu sous côté.