The Butcher

Dans sa forme particulière de syncrétisme, Léonard Cohen évoque dans la même chanson le mystère de la rédemption, le sacrifice d’Isaac (un épisode biblique qui paraît avoir pour lui une valeur fondatrice et sur lequel il revient dans « Story of Isaac »)… et les paradis artificiels ! Dieu exigeant d’Abraham le sacrifice de son fils unique avant qu’un ange ne vienne lui ordonner de l’épargner et de lui subsituer un agneau, puis Dieu-le-père offrant son fils (unique aussi) en sacrifice pour le salut de l’humanité. La parenté (!) de ces mythes est évidente. L’histoire d’Isaac inaugure manifestement un véritable progrès de civilisation, dès lors que la croyance religieuse n’impose plus de sacrifice humain mais sacralise la vie. Léonard Cohen prolonge très naturellement cette remise en question d’une « tradition » probablement aussi vieille que l’humanité et conteste, dans « Story of Isaac », la guerre pour laquelle les dirigeants envoient au sacrifice ultime les enfants de la nation. Ici, face à l’idée qui émerge de ces mythes, l’idée que la vie a un sens puisqu’elle est sacrée, il oppose la nuit du doute et de l’angoisse, avec le refuge de la drogue qui procure un plaisir éméphère et conduit inexorablement à l’abîme. Pourquoi donc louer Dieu pour avoir créé la nuit si longue et si froide ? C’est alors qu’intervient une bascule dont Léonard Cohen est familier. Les rôles s’inversent ou se confondent : Dieu et l’auteur du sacrifice, le père et le fils, l’humanité et son sauveur… laissant presque entendre que Dieu pourrait mourir si les hommes ne viennent pas à son secours.

Bien sûr, il ne s’agit là que d’une lecture, et cette chanson comme d’autres peut être interprétée de multiples façons. Bien évidemment aussi, on est en droit de ne pas suivre Léonard Cohen sur son chemin spirituel, de nier l’existence d’un Dieu créateur du bien donc du mal, de rejeter les mythes qui dégagent les hommes de leur responsabilité… mais cette synthèse, cette fusion qu’en propose Léonard Cohen nous ramènent aux fondements même de toute spiritualité : la connaissance de notre mort inéluctable, qui pourrait faire conclure à l’inanité de la vie mais lui donne en fait tout son sens et son importance.

A Hélène

Le Boucher

J’ai rencontré un boucher

Qui sacrifiait un agneau

Et je l’ai accusé

De torturer l’agneau

Il dit : « Ecoute-moi, petit

Je suis qui je suis

Et toi, tu es mon unique fils »

J’ai trouvé une aiguille d’argent

Elle fit, plantée dans mon bras

Du bien, du mal

A la fois

Mais, les nuits glaciales

Ça me protégeait du froid

Mais que la nuit est longue !

J’ai vu, où l’agneau fut tué

Des fleurs qui poussaient

Devais-je en remercier Dieu ?

Emettre des sons joyeux ?

Il dit « Ecoute, écoute-moi bien

Moi, je tourne en rond

Et toi, tu es mon unique fils »

« Ne me laisse pas là

Ne me laisse pas là

Je viens de tomber

J’ai du sang sur le corps

Et du givre sur l’âme

Va, mon fils, ce monde est à toi »

(Traduction – Adaptation : Polyphrène)