Samson In New Orleans

Ce titre de l’album, “Popular Problems”, à paraître ce lundi, mêle, comme Léonard Cohen sait si bien le faire, des références bibliques avec une description amère du monde contemporain. Ce sont ici les faux-semblants, l’hypocrisie, la superficialité que Léonard Cohen souligne en contraste avec la brutalité d’un système qui accentue inexorablement l’écart entre les riches et les pauvres, qui nourrit l’opulence des uns de la misère des autres (« The poor stay poor, the rich get rich »), qui détourne le regard quand la faim ronge les corps et quand le sang coule jusqu’à la mort.Il ne s’agit pas tant (ou pas seulement) de l’écart entre les pays riches et les pays « en voie de développement » que du contraste, dans nos grandes villes, entre le stras et les paillettes qui s’étalent pour fasciner le badaud et le pousser à consommer, et la pauvreté rampante qui envahit les bas-quartiers. Le titre de cette chanson cite La Nouvelle Orléans, et l’on comprend bien que cette ville bouillonnante de vie qui mettait toute son âme dans sa musique est devenue un site, voire un objet de consommation, tandis que la lumière des néons aveugle le chaland au point de ne plus voir l’ombre et la misère sordide qu’elle enveloppe. Léonard Cohen se met alors dans la peau de Samson qui, captif, retrouva sa force herculéenne lorsque ses cheveux repoussèrent (après la trahison de Dalila), et, écartant les colonnes du temple des Philistins, provoqua son effondrement et leur mort (en même temps que la sienne). Quant à « Tinsel Town » (littéralement « la ville aux guirlandes »), c’est la désignation péjorative de Hollywood, lieu d’étalage du luxe et de la vanité. Il convient sans doute d’interpréter ici cette expression dans un sens générique, comme s’appliquant aux quartiers clinquants et rutilants des villes modernes, et, dans le cas présent, à La Nouvelle Orléans. Je me suis donc permis, contraint par la métrique, un petit néologisme ("Néon-Ville") que vous me pardonnerez.

ALN

Samson à la Nouvelle Orléans

Tu disais être avec moi

Mon ami, disais-tu

Tu aimais cette ville, n’est-ce pas ?

Ou le prétendais-tu ?

Tu aimais tous ses secrets,

Ses libertés bien cachées

Meilleure que l’Amérique, en effet

C’est ce que tu disais

Mais comment, tu t’étonnais

Cela peut-il se faire ?

Tous les vestiges profanés

Sur le pont de la misère ?

Et nous, qui implorions grâce

Du fond de la fosse abjecte

Notre prière était-elle si basse

Que le Fils la rejette ?

Les tueurs, rameute-les

Que la ville se rassemble

Au pied de ces piliers

Laisse-moi raser ce temple

Il y a du sang sur la couronne

De ce roi bon et noble

Aide-moi à cette colonne

Laisse-moi raser ce temple

Mais comment, tu t’étonnais

Cela peut-il se faire ?

Du ciel, les chaînes sont tombées

Les tempêtes se libèrent

Il y a d’autres façons de faire

Je n’en disconviens pas

Moi, c’est mort et colère

Toi, ne reste pas là

A Néon-Ville, il y a un lit

Pour toi, et une femme, il semble

Je t’écris quand c’est fini

Laisse-moi raser ce temple

(Traduction – Adaptation : Polyphrène)