Jazz Police

Parmi les « fans » de Léonard Cohen, nombreux sont ceux qui se disent déconcertés par cette chanson, la trouvent étrange ou incongrue, et la relèguent en bas de classement, et plus rares ceux qui la considèrent avec intérêt. Qu’elle soit surprenante est un fait, mais ce n’est pas la seule fois que Léonard Cohen s’essaie à un nouveau style et nous surprend par son audace iconoclaste. Ce n’est donc peut être pas de la provocation, mais plutôt une forme d’expérimentation.

Néanmoins, le texte porte beaucoup plus de sens qu’il n’y paraît en première écoute, et Jason Murray en fait une exégèse magistrale et passionnante. Il mentionne l’origine de cette chanson, lorsque Léonard Cohen enregistrait son album « Recent Songs » avec Roscoe Beck et son groupe « Passenger» qui se laissait parfois aller à des digressions jazziques. Léonard Cohen les rappelait gentiment à l’ordre, et jouait alors le rôle de la « Jazz Police »*, gardienne de l’orthodoxie.

Il est vrai qu’il existe une tendance naturelle et assez répandue à vouloir défendre une idée précise et formelle d’un style, qu’il soit poétique, littéraire, ou musical. Le jazz n’y a pas échappé, et le terme de « Jazz Police » a été utilisé par d’autres dans le même sens, éventuellement avec une référence à cette chanson (« drop your axe »).

Par une pirouette familière, Léonard Cohen inverse ensuite les rôles, au point que l’on ne sait plus trop bien de quel côté de la barrière il se situe. Son choix transparaît cependant dans les pointes d’humour et d’autodérision qui surgissent ici et là. Léonard Cohen, avec son esprit curieux, ouvert à toutes les expériences, est clairement rétif à l’étiquetage et à l’enfermement dans une catégorie. En musique comme dans tous les aspects de la vie, il considère que la standardisation étouffe la création, que les contraintes normatives stérilisent l’expression, et que la liberté est nécessaire au progrès. Il va jusqu’à prendre en comparaison la religion chrétienne, synonyme d’austérité pour certains, de joie pour d’autres.

Au delà du semblant d’hypocrisie et de cynisme que ses termes peuvent suggérer, on peut discerner la conscience de l’ambivalence fondamentale, illustrée ici par l’envie de liberté créatrice et le besoin instinctif de contrôle, l’âge pouvant faire pencher vers ce dernier en se donnant les apparences de la sagesse.

ALN

Jazz Police

Dites-moi pourquoi sonne le tocsin ?

Depuis des millénaires, tout est pareil

Je suis là depuis mercredi matin

Mercredi matin, crois pas mes oreilles

Jazz Police fouille au fond de mes dossiers

Jazz Police interroge ma nièce

Jazz Police doit obéir sans pitié

Pose ta guitare, c’est la Jazz Police

Jésus, par beaucoup au sérieux est pris

Jésus est pris gaiment par très peu

Jazz Police payée par Jean-Paul Getty

Jazzmen payés par Jean-Paul Getty deux

Jazz Police, ton appel, j’entends

Jazz Police, je suis sans joie

Jazz Police, je sens un penchant

Un penchant pour toi

Fou comme un raciste épris d’ liberté

A ce que fait le chef, j’applaudis

Dis-moi, spacieuse et grande beauté

Ai-je des problèmes avec la Jazz Police ?

Jazz Police fouille au fond de mes dossiers

Jazz Police interroge ma nièce

Jazz Police doit obéir sans pitié

Pose ta guitare, c’est la Jazz Police

Jamais ils ne comprendront notre culture

Jamais ils ne comprendront, la Jazz Police

Jazz Police travaille pour ma mère, c’est sûr

Le sang est beurre plus épais que graisse

Je veux être quelqu’un que j’admire

Je veux être ce balèze dans la rue

Mettez une autre tortue à cuire

Les gars comme moi adorent la tortue

Jazz Police, ton appel, j’entends

Jazz Police, je suis sans joie

Jazz Police, je sens un penchant

Un penchant pour toi

(Traduction – Adaptation : Polyphrène)

* L’idée de « Jazz Police » est souvent évoquée par les Jazzmen, et un groupe de musiciensen a fait son nom de scène, avec le même esprit d’autodérision.