Field Commander Cohen

Léonard Cohen évoque, de temps à autre, la question de l’armée, de la guerre, et du devoir civique ou patriotique, en des termes plutôt respectueux bien que parfois ambivalents : There is a war, The captain, The nightcomes on, The traitor, First we take Manhattan, On that day… Il est tentant de voir là le souvenir de son père, disparu très tôt, qui aurait souhaité le voir embrasser la carrière militaire, mais aussi la trace de son engagement personnel en Israël.

Au delà de ce premier niveau de lecture, il convient de noter que les allégories sont nombreuses, et que l’humour et l’autodérision ne sont jamais absents.

Imaginer Léonard Cohen, agent secret subversif, en service commandé pour un intérêt supérieur, renvoie à d’autres chansons dans lesquelles il évoque directement sa mission de chanteur (The tower of song) ou de porte-parole (Going Home). Puis, comme dans d’autres chansons, les rôles s’inversent ou se confondent, et l’auditeur peut s’interroger sur l’identité du locuteur : Celui-ci semble, dans les premiers vers de "Field Commander Cohen", parler de Léonard Cohen à la troisième personne ("He was our most important spy"), puis s’adresse directement à lui ("I know you need your sleep now"). Par contre, dans les dernières strophes ("Ah, lover, come and lie with me"), on peut penser que c’est Léonard Cohen lui-même qui prend la parole.

Cette juxtaposition de points de vue a pour effet de souligner les conflits ou contradictions qui peuvent naître du sentiment d’avoir un devoir à accomplir et de ne pas se sentir toujours « à la hauteur », que ce soit par faiblesse constitutionnelle ou par lâcheté : Le sentiment d’être tiraillé entre une mission, un rôle à assumer, et le besoin d’amour ou, tout simplement, de repos. On retrouve là le thème de « Tower of Song », où Léonard Cohen oppose amour et destin : le chanteur, répondant à sa vocation – ou sa mission – est hors de portée, quoi qu’il lui en coute, des amours temporelles.

A propos d’amour, Léonard Cohen revient, une fois de plus, sur les multiples courants, parfois contradictoires, qui l’animent, l’ambivalence fondamentale des sentiments (Eros et Thanatos), les multiples visages de la personnalité, mais aussi l’attrait que peuvent susciter ses « mauvais côtés », tant il est vrai que ce sont les imperfections qui mettent en évidence la beauté.

C’est tout cela qui anime et conduit "le commandant Cohen", sur le champ de bataille de la vie.

Et chacun de nous peut s’y reconnaître…

* Citation de "Rum and Coca-Cola", de Lord Invader, que Léonard Cohen interprète manifestement en référence à la version originale et non à la version américaine édulcorée.

Le Commandant Cohen

Le commandant Cohen, c’était notre meilleur agent

Blessé en service commandé

Ajoutant de l’acide

Aux cocktails des réceptions d’ambassade

Pressant Fidel Castro d’abandonner terres et châteaux

Tout quitter et, comme un homme

Revenir dans le banal

Des salles d’attentes et tickets de queue

Suicides par potion magique

Et grandes marées messianiques

Et puis montagnes russes ethniques

Et toutes autres formes d’ennui vendues pour de la poésie

Je sais qu’il te faut dormir

Je sais, ta vie n’est pas gaie

Mais des hommes vont périr

Où tu devrais faire le guet

Je n’sais pas,

Mais je t’ai entendu prendre parti

Pour les pauvres

Et puis, j’ai entendu ta prière

D’être ni plus ni moins rien d’autre

Que, pour une femme fidèle et reconnaissante, son chanteur millionnaire

Le saint patron de l’envie, l’épicier du désespoir

Bossant pour le Yankee Dollar

Je sais qu’il te faut dormir…

Oh, amour, viens à mes côtés

Si c’est mon amour que tu es

Montre ton plus tendre côté

Et quand ce n’ sera plus assez

Laisse les autres, mauvais, côtés

Venir et se manifester

Oh, amour, oh, amour, oh, amour

Oh, amour, oh, amour, oh, amour

(Traduction – Adaptation : Polyphrène)