Ballad of the Absent Mare

Say a prayer for the cowboy

His mare's run away

And he'll walk till he finds her

His darling, his stray

But the river's in flood

And the roads are awash

And the bridges break up

In the panic of loss.

And there's nothing to follow

There's nowhere to go

She's gone like the summer

Gone like the snow

And the crickets are breaking

His heart with their song

As the day caves in

And the night is all wrong

[…]

Now the clasp of this union

Who fastens it tight?

Who snaps it asunder

The very next night

Some say the rider

Some say the mare

Or that love's like the smoke

Beyond all repair

But my darling says

"Leonard, just let it go by

That old silhouette

On the great western sky"

So I pick out a tune

And they move right along

And they're gone like the smoke

And they're gone like this song

Est-ce bien le même Léonard Cohen qui, dans “The Captain”, évoquait sur le ton de la dérision les chansons de “Western Country”, et qui nous offre ici une ballade sur le thème on ne peut plus classique du cowboy et de son cheval ?

Plus qu’une chanson, c’est un véritable film, dont il décrit avec minutie le décor et les scènes, jusqu’au plan final du cowboy solitaire qui s’éloigne et disparaît…

Si l’ironie est présente, elle ne se déclare que dans les dernières lignes, citant les mots de sa compagne qui se moque gentiment de « ses vieux clichés ».

Mais pourquoi donc cette chanson ? Est-ce un hommage de Léonard Cohen à ce genre et ses auteurs (de la même façon qu’il évoquait avec respect Hank Williamsdans « Towerof Song ») ? Est-ce un essai, lui permettant d’apporter au genre son propre style, et de jouer, au delà des clichés, sur la nature et l’ambivalence des liens entre le cavalier et sa monture, pour disserter sur l’amour, la domination, et la liberté ?

La version française chantée par Nana Mouskouri (« La Ballade du Chien-Loup », adaptation de Pierre Delanoë et Claude Lemesle) est, comme cela est souvent le cas avec les adaptations, résolument distincte de l’original, au point de mettre en scène non plus un cowboy et son cheval, mais un chien-loup et sa louve. Néanmoins, cette version française évoque les mêmes « grandes questions » et apporte quelques belles formules :

« Qui leur a mis la laisse ? D'où vient leur servitude ?

L'amour ou la faiblesse,le maître ou l'habitude ? »

On y reconnaitrait presque Jean de La Fontaine (« Le loup et le chien »),

« … Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas

Où vous voulez ?- Pas toujours ; mais qu'importe ! »

On entendrait aussi Gilles Marchal chantant « Je suis né sous une étoile filante » :

« … Car un loup qui meurt de faim ira toujours plus loin

Qu'un cabot qui dort devant son vieil os »

Et pourtant, que ce soit dans la version française ou dans toutes ces chansons confrontant amour et liberté, aussi belles soient elles, il manque « un petit quelque chose », une nuance, un ton, une dimension…

Il suffit de revenir à l’original et relire :

“… That love's like the smoke

Beyond all repair”

pour comprendre que ce “petit quelque chose”, qui nous emmène au delà de la raison et au delà des sentiments, n'est autre que la subtilité des nuances et la diversité des lectures que permet la vision poétique de Léonard Cohen.

Ballade de la Jument Absente

Dites une prière pour le cowboy

Sa jument a fui

Et il marche à la recherche

De l’errante chérie

Mais la rivière déborde

Sur les routes désertes

Et les ponts sont brisés

Dans l’effroi de la perte

Il n’y a pas de piste à suivre

Nulle part où aller

Disparue comme la neige

Quand vient l’été

Les grillons brisent son cœur

Avec leur chanson

Quand le jour s’en va

La nuit n’a rien de bon

Rêva t’il, n’a t’elle pas

Au galop, sous ses fers

Ecrasé l’herbe, et

Plié les fougères,

Imprimant sur la boue

La marque d’or qu’il a

Clouée sous ses sabots

Quand il était roi

Et, alors même qu’elle pâture

Dans les alentours

Il piste de nuit

Il piste de jour

Aveugle à sa présence

Sauf pour comparer

Ici sa blessure

Là, sa peine méritée

De l’arbre le plus haut

Si subitement

Un oiseau perché

Lance son chant

Le soleil réchauffe

La brise légère

Qui caresse les saules

Près de la rivière

Oh, le monde est doux

Le monde est vaste

Et elle se tient

Où l’ombre et la clarté contrastent

De la vapeur aux naseaux

Immense, farouche, elle

Monte sur la lune quand

Elle rue vers le ciel

Et elle vient vers sa main

Mais pas vraiment docile

Elle rêve d’évasion

Ainsi l’espère t’il

Et elle jaillira par

Le premier passage

Libre pour brouter

L’herbe des grands alpages

Fera-t-elle une pause

Sur le haut plateau

Où il n’y a rien plus bas

Et il n’y a rien plus haut

Et voici le temps du faix

Et de la cravache

Traverse-t-elle la flamme ?

Fait-il feu de la hanche ?

A cette jument

Au galop, il s’attache

A ce cavalier

Elle aussi s’attache

Avec droite et gauche

Pour unique espace

Nuit et jour montrant

Seuls que le temps passe

Et, penché sur son cou

Il lui dit tout bas

« Où tu vas, je vais

Avec toi »

Comme un seul, ils tournent

Et ils vont vers la plaine

Nul besoin de fouet

Ah, nul besoin de rênes

Mais qui donc serre les liens

D’une telle union ?

Et qui donc, le soir même

Brusquement les rompt ?

Est-ce la jument ou

Le cavalier

Ou l’amour sans espoir

Comme la fumée ?

Mais ma chérie dit :

« Léonard, laisse tomber

Tous ces vieux clichés

De Westerns surannés »

Je mets donc en musique

Et voilà qu’ils s’en vont

Partent comme la fumée

Partent comme cette chanson

(Traduction – Adaptation : Polyphrène)