And he'll walk till he finds her
And they're gone like the smoke
And they're gone like this song
Est-ce bien le même Léonard Cohen qui, dans “The Captain”, évoquait sur le ton de la dérision les chansons de “Western Country”, et qui nous offre ici une ballade sur le thème on ne peut plus classique du cowboy et de son cheval ?
Plus qu’une chanson, c’est un véritable film, dont il décrit avec minutie le décor et les scènes, jusqu’au plan final du cowboy solitaire qui s’éloigne et disparaît…
Si l’ironie est présente, elle ne se déclare que dans les dernières lignes, citant les mots de sa compagne qui se moque gentiment de « ses vieux clichés ».
Mais pourquoi donc cette chanson ? Est-ce un hommage de Léonard Cohen à ce genre et ses auteurs (de la même façon qu’il évoquait avec respect Hank Williamsdans « Towerof Song ») ? Est-ce un essai, lui permettant d’apporter au genre son propre style, et de jouer, au delà des clichés, sur la nature et l’ambivalence des liens entre le cavalier et sa monture, pour disserter sur l’amour, la domination, et la liberté ?
La version française chantée par Nana Mouskouri (« La Ballade du Chien-Loup », adaptation de Pierre Delanoë et Claude Lemesle) est, comme cela est souvent le cas avec les adaptations, résolument distincte de l’original, au point de mettre en scène non plus un cowboy et son cheval, mais un chien-loup et sa louve. Néanmoins, cette version française évoque les mêmes « grandes questions » et apporte quelques belles formules :
« Qui leur a mis la laisse ? D'où vient leur servitude ?
L'amour ou la faiblesse,le maître ou l'habitude ? »
On y reconnaitrait presque Jean de La Fontaine (« Le loup et le chien »),
« … Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ?- Pas toujours ; mais qu'importe ! »
On entendrait aussi Gilles Marchal chantant « Je suis né sous une étoile filante » :
« … Car un loup qui meurt de faim ira toujours plus loin
Qu'un cabot qui dort devant son vieil os »
Et pourtant, que ce soit dans la version française ou dans toutes ces chansons confrontant amour et liberté, aussi belles soient elles, il manque « un petit quelque chose », une nuance, un ton, une dimension…
Il suffit de revenir à l’original et relire :
pour comprendre que ce “petit quelque chose”, qui nous emmène au delà de la raison et au delà des sentiments, n'est autre que la subtilité des nuances et la diversité des lectures que permet la vision poétique de Léonard Cohen.
Ballade de la Jument Absente
Dites une prière pour le cowboy
Sa jument a fui
Et il marche à la recherche
De l’errante chérie
Mais la rivière déborde
Sur les routes désertes
Et les ponts sont brisés
Dans l’effroi de la perte
Il n’y a pas de piste à suivre
Nulle part où aller
Disparue comme la neige
Quand vient l’été
Les grillons brisent son cœur
Avec leur chanson
Quand le jour s’en va
La nuit n’a rien de bon
Rêva t’il, n’a t’elle pas
Au galop, sous ses fers
Ecrasé l’herbe, et
Plié les fougères,
Imprimant sur la boue
La marque d’or qu’il a
Clouée sous ses sabots
Quand il était roi
Et, alors même qu’elle pâture
Dans les alentours
Il piste de nuit
Il piste de jour
Aveugle à sa présence
Sauf pour comparer
Ici sa blessure
Là, sa peine méritée
De l’arbre le plus haut
Si subitement
Un oiseau perché
Lance son chant
Le soleil réchauffe
La brise légère
Qui caresse les saules
Près de la rivière
Oh, le monde est doux
Le monde est vaste
Et elle se tient
Où l’ombre et la clarté contrastent
De la vapeur aux naseaux
Immense, farouche, elle
Monte sur la lune quand
Elle rue vers le ciel
Et elle vient vers sa main
Mais pas vraiment docile
Elle rêve d’évasion
Ainsi l’espère t’il
Et elle jaillira par
Le premier passage
Libre pour brouter
L’herbe des grands alpages
Fera-t-elle une pause
Sur le haut plateau
Où il n’y a rien plus bas
Et il n’y a rien plus haut
Et voici le temps du faix
Et de la cravache
Traverse-t-elle la flamme ?
Fait-il feu de la hanche ?
A cette jument
Au galop, il s’attache
A ce cavalier
Elle aussi s’attache
Avec droite et gauche
Pour unique espace
Nuit et jour montrant
Seuls que le temps passe
Et, penché sur son cou
Il lui dit tout bas
« Où tu vas, je vais
Avec toi »
Comme un seul, ils tournent
Et ils vont vers la plaine
Nul besoin de fouet
Ah, nul besoin de rênes
Mais qui donc serre les liens
D’une telle union ?
Et qui donc, le soir même
Brusquement les rompt ?
Est-ce la jument ou
Le cavalier
Ou l’amour sans espoir
Comme la fumée ?
Mais ma chérie dit :
« Léonard, laisse tomber
Tous ces vieux clichés
De Westerns surannés »
Je mets donc en musique
Et voilà qu’ils s’en vont
Partent comme la fumée
Partent comme cette chanson
(Traduction – Adaptation : Polyphrène)