Suzanne

Suzanne takes you down to her place near the river

You can hear the boats go by

You can spend the night beside her

And you know that she's half crazy

But that's why you want to be there

And she feeds you tea and oranges

That come all the way from China

And just when you mean to tell her

That you have no love to give her

Then she gets you on her wavelength

And she lets the river answer

That you've always been her lover

And you want to travel with her

And you want to travel blind

And you know that she will trust you

For you've touched her perfect body with your mind.

And Jesus was a sailor

When he walked upon the water

And he spent a long time watching

From his lonely wooden tower

And when he knew for certain

Only drowning men could see him

He said "All men will be sailors then

Until the sea shall free them"

But he himself was broken

Long before the sky would open

Forsaken, almost human

He sank beneath your wisdom like a stone

And you want to travel with him

And you want to travel blind

And you think maybe you'll trust him

For he's touched your perfect body with his mind.

Now Suzanne takes your hand

And she leads you to the river

She is wearing rags and feathers

From Salvation Army counters

And the sun pours down like honey

On our lady of the harbour

And she shows you where to look

Among the garbage and the flowers

There are heroes in the seaweed

There are children in the morning

They are leaning out for love

And they will lean that way forever

While Suzanne holds the mirror

And you want to travel with her

And you want to travel blind

And you know that you can trust her

For she's touched your perfect body with her mind.

Bien que cette chanson fut un des premiers et plus grands succès de Léonard Cohen, c’est Judy Collins qui l’a d’abord chantée et enregistrée, en 1966. Elle figura ensuite sur le premier album de Léonard Cohen, en 1967 (Songs of Leonard Cohen). Tout d’abord inspirée par l’atmosphère particulière de ce quartier ancien de Montréal, autour du port et de l’église Notre-Dame-du-bon-secours dédiée aux marins dont les bateaux sillonnaient le Saint-Laurent, cette chanson prit un nom, et s’incarna littéralement en la personne de Suzanne Verdal, artiste (danseuse) que Léonard Cohen rencontra par l’intermédiaire de son mari, Armand Vaillancourt, sculpteur. Léonard Cohen, manifestement attiré et fasciné par cette femme aussi belle qu’originale, continua de la rencontrer après qu’elle se fut séparée de son mari. Les récits de l’une et de l’autre s’accordent sur la qualité particulière de cette relation platonique, fondée sur un remarquable accord de sensibilité poétique et spirituelle. Tous deux mentionnent en effet l’absence de contact physique (en dépit de l’attirance que ressentait manifestement Léonard) et Suzanne explique qu’elle a décliné ses propositions pour conserver à cette relation toute sa magie et sa singularité, et ne pas être « une de plus dans la foule » (des conquêtes de Léonard). Ceci offre un éclairage utile sur l’étonnante formule concluant chaque refrain : « tu as touché, de ton esprit, son corps parfait… Il (Jésus) a touché, de son esprit, ton corps parfait… Elle a touché, de son esprit, ton corps parfait ».

Suzanne, elle-même, ne découvrit cette chanson quelque temps après, par l’intermédiaire d’amis, et en éprouva une certaine gêne, teintée de nostalgie et d’amertume : gêne en raison de l’exposition de son intimité ; nostalgie pour ce temps merveilleux mais lointain ; amertume pour l’état d’esprit que les années et le succès ne peuvent qu’altérer (elle disait être restée, quant à elle, dans le pur esprit des années 60). Les commentaires de Léonard Cohen à ce sujet sont divers et, parfois, moins idéalistes. La strophe centrale dédiée à Jésus fait l’objet de multiples commentaires, parfois très surprenants, mais s’explique sans doute par la genèse de cette chanson, autour de Notre-Dame-du-bon-secours, cette dernière prenant alors les traits de Suzanne.

ALN

PS: L'adaptation française de cette chanson par Graeme Allwright est un chef d'oeuvre, et ma propre traduction ne figure ici que par souci de cohérence, comme je l'ai déjà mentionné.

Suzanne

Suzanne t’entraîne chez elle près du fleuve, en bas

Tu entends passer les bateaux

Tu peux passer toute la nuit là

Elle est un peu folle, tu sais ça

Si tu restes, c’est pour cela

Elle t’offre des oranges et du thé

Qui de la Chine sont importés

Et quand tu veux dire que pour

Elle tu ne peux donner d’amour

De ses grandes ondes, elle t’entoure

Pour faire dire au fleuve qui court

Que tu es son amant de toujours

Tu veux, avec elle, voyager

Tu veux la suivre, aveuglé

Elle te fera confiance, tu sais

Car ton esprit a touché son corps parfait

Jésus était un marin

Quand, sur les eaux, il a marché

Pendant longtemps, il a observé

Seul du haut de sa tour de bois

Et quand il fut bien certain

Que seuls les noyés le verraient

Il dit « Les hommes seront tous marins

Jusqu’à c’ que la mer les libère

Mais lui-même fut brisé bien

Avant que le ciel s’ouvre enfin

Sombrant sous votre sagesse comme une pierre

Tu veux, avec lui, voyager

Tu veux voyager aveuglé

Tu penses pouvoir lui faire confiance

Car son esprit a touché ton corps parfait

Suzanne prend ta main

Et te conduit à la rivière

Habillée de plumes et haillons

Dont l’armée du salut fait don

Et le soleil coule comme du miel

Sur notre dame, madone du port

Elle te montre comment voir

Dans les ordures et fleurs en bouton

Dans les algues, il y a des héros

Et dans le matin des enfants

Qui se penchent pour de l’amour

Et se pencheront ainsi toujours

Quand Suzanne tient le miroir

(Traduction – Adaptation : Polyphrène)