Stories of the Street

Entre méditation et rêve éveillé, Léonard Cohen penché, au soir, à la fenêtre d’un vieil hôtel, observe, pensif, le lent manège des voitures de luxe dans lesquelles les bourgeois font monter leurs femmes d’un soir, prostituées ou « Escort-girls ». Une cigarette (qui tue à petit feu) entre les lèvres, tandis que son regard suit les gracieuses courbes de ces corps féminins à demi-dévoilés, il songe aux rumeurs de cette guerre froide qui n’attend qu’une étincelle pour se réchauffer, et s’interroge sur les vociférations guerrières des démagogues paranoïaques supposés représenter le peuple…

A cette époque où hédonisme devient synonyme d’égoïsme, où luxe et luxure anesthésient les consciences, où, comme jadis les jeux du cirque, la télécécité détourne l’attention des vrais problèmes, le bon peuple se réfugie dans ses rêves pour ne pas voir la vacuité de sa vie.

Reviennent alors les clichés des vieux films de Western, où le cowboy aventurier rêve de se retirer de ce monde violent pour vivre avec sa bien-aimée la saine et simple vie d’un paysan, près de la nature et près du ciel… alors que l’on ne sait que trop bien, même si l’on a pas vu la fin du film, que le destin en décidera autrement !

C’est alors que, comme (presque) toujours dans la pensée poétique de Léonard Cohen, spiritualité et érotisme s’enlacent et s’emmêlent, l’étoile de David guide ses mains sur le chemin du désir, et les grandes questions existentielles – le sens de l’existence, l’inanité de l’humanité – ramènent à la recherche de l’amour, seule vérité de l’être.

A Hélène

Histoires de la Rue

Les histoires de la rue sont miennes, rient les voix hispaniques

Voici les Cadillacs qui glissent dans la nuit et les gaz toxiques

Et je me penche à la fenêtre de l’hôtel ou je me repose

Oui, une main sur mon suicide, une main sur la rose

C’est fait : la guerre est inéluctable ; vous savez ce qu’on dit

Les villes sont coupées en deux, et les médiateurs partis

Mais, je vous le demande encore, enfants du crépuscule

Tous ces chasseurs qui crient et qui braillent, est-ce pour nous qu’ils hurlent ?

Où vont ces routes, maintenant que nous sommes libérés ?

Pourquoi marchent encore ces armées qui, pour moi, étaient rentrées ?

Oh, madame aux si belles jambes, étranger au volant

Vous êtes enfermés dans vos souffrances, vos plaisirs vous scellant

L’ère de luxure accouche, et les parents pressent l’infirmière

De raconter des contes de fées, des deux côtés du verre

On tire l’enfant par le cordon, tout comme un cerf-volant

Et un œil empli de nuit, un œil plein de plans

Viens, petite, nous allons trouver cette métairie

Faire pousser de l’herbe et des pommiers, mettre le bétail à l’abri

Et si je m’éveille la nuit et te demande mon nom

Emmène-moi à l’abattoir ; j’attendrai comme les moutons

Avec une main sur l’hexagramme, une main sur la fille

Au bord du puits aux vœux que tous appellent monde, j’oscille

Si petits devant les étoiles, nous sommes grands face aux cieux

Perdu dans la foule du métro, je tente d’attirer tes yeux

(Traduction – Adaptation : Polyphrène)