Sing Another Song, Boys

Si l’on peut légitimement s’interroger sur la signification de cette chanson, les propres commentaires de son auteur, Léonard Cohen, ne font que renforcer la perplexité. Certes, il s’agit des multiples causes et mécanismes qui peuvent conduire à l’inexorable échec de la relation entre un homme et une femme. Ce que chacun voit en l’autre ne serait qu’une projection, et la conquête de l’amour se solderait par une victoire indissociable d’une défaite. Deux êtres poursuivant leur rêve ne pourraient jamais se rejoindre que pour se déchirer sans se comprendre. Leur union ne serait faite que la tentative de se tyranniser mutuellement… On pourrait voir là l’illustration du sentiment d’échec dont fait souvent état Léonard Cohen à propos de sa vie sentimentale (« Never Any Good »). Faute de pouvoir vraiment comprendre ou conjurer cette fatalité, il en vient à proposer de « changer de chanson », mais la nouvelle chanson ne fait que répéter, avec l’énergie du désespoir, des « La la la… » aussi vains que véhéments.

« Léonard Cohen est l’un de ces rares auteurs de chansons dont vous pouvez mâcher les mots pendants des mois et des mois et toujours leur trouver une saveur » écrivait Nick Jaina. Ce texte en est bien l’illustration. Les mots en gardent indéfiniment une étrange saveur, que la vie, un jour ou l’autre, permet d’identifier. Pour autant, Léonard Cohen se défend d’être un pessimiste ou un désespéré. L’obscurité, dans l’univers qu’il décrit, n’est jamais totale, et de la faiblesse-même peut venir le salut : « There is a crack ineverything – That’s how the light gets in ».

ALN

Changeons de Chanson, les Gars

(Changeons de chanson, les gars : celle-ci est vieille et avariée)

Les ongles à ses doigts sont brisés, je vois

Le feu brûle tous ses navires

Et l’adorable fille du prêteur à gages

Est dévorée, dévorée par le désir

Elle l’épie par la vitrine

De la boutique de son vilain papa

Elle le hèle avec un micro

Qu’a dû lui laisser un pauvre chanteur comme moi

Elle brandit un poignard nazi

Le tente avec un hautbois

Le trouve recroquevillé

Et elle veut être sa femme

Il dit : « Au lit, je peux aller

Mais, s’il te plait, laisse le futur

Laisse le ouvert »

Il se tient en hauteur

Oh, je présume qu’il se voit comme le tout premier

Et, la main sur sa ceinture de cuir

Comme si c’était la barre d’un grand paquebot d’acier

Elle apprendra bien à se toucher

Tandis que les voiles brûlent comme du papier

Et il allume la chaîne

De ses fameux cigarillos

Ah, mais jamais, jamais ils n’atteindront la lune

Du moins pas celle que vous voudriez

Les débris flottent sur la mer, au large

Ne portant aucun survivant

Mais laissons ces amants se demander

Pourquoi ils ne s’atteignent jamais

Mais changeons de chanson, les gars

Celle-ci est vieille et avariée

La la la…

(Traduction – Adaptation : Polyphrène)