Levé ce matin à 6h, je suis de loin l’actualité américaine. Couché la veille sur une méfiance de Donal Trump à l’égard de possibles tricheries, je m’étais endormi avec l’idée de découvrir le lendemain le visage de Kamala Harris sur tous les écrans.
Quelques heures plus tard, la surprise est totale. Dès 7h, la victoire de Donald Trump devient très probable. Les journalistes, les personnes interviewées, les partisans, les adversaires, les Américains, les Français, tous sont stupéfaits.
Le monde du management et plus largement, des organisations, est largement fait de surprises. De ces événements dont l’effet est de « troubler l'esprit », de « tromper insidieusement ». De ce qui vous « prend », « saisit », s’« empare de » vous alors que la main ferme du manager (manus) doit garder le contrôle de la situation. De ce qui « arrive, survient inopinément ».
Donal Trump nous surprend. Il nous a tellement surpris qu’il ne nous surprend plus. La répétition de la provocation, la démultiplication des transgressions les plus folles, nous a insensibilisé à ses excès. Il n’est plus que la surface sur laquelle les peurs, les frustrations, les doutes et tous les désirs peuvent se projeter.
Et pourtant. Rien n’est plus dangereux qu’une situation dont on ne se surprend plus. Ne plus être surpris, c’est perdre en sens de l’altérité. C’est perdre en résonnance. Ne plus être surpris, c’est s’éloigner d’un esprit critique, d’une créativité, de la patience. Ne plus être surpris, c’est finalement ne plus rien attendre et donc ne plus avoir à juger ou à expérimenter en s’étonnant.
Aujourd’hui, nous vivons un bref moment de surprise avec un événement paroxystique. Les sondages s’étaient trompés, et même très lourdement trompés. Ils ne s’étaient pas assez préparés à la surprise. Sans ouverture à la surprise, pas de possibilité d’anticiper les votes dissimulés, les hésitations, les bascules, les opinions dont une photo ne saisissent qu’un mouvement et oublie l’oscillation.
Donald Trump est un maître dans l’art de la surprise. Il dénote, il provoque, il improvise des heures sans fil conducteurs, provoquant vers l’infini. Il épuise notre capacité d’étonnement. A l’image de notre capitalisme plus « apocalyptique » que jamais, cette capacité lui donne un pouvoir politique redoutable.
A nous de reconquérir un sens de l’étonnement et même de l’émerveillement. A nous de nous laisser surprendre par les choses les plus simples, les plus proches de l’immobilité d’un paysage. Il en va d’une sagesse possible. Il en va également de nos démocraties.