Les noëls d’antan
A la sortie de la dernière guerre, les enfants d'alors n'avaient pas de magasins ni de catalogues. Comment parvenaient-t-ils à obtenir le jouet désiré ? Les vrais jouets existaient bien, mais pour se les procurer, il fallait être argenté et de plus, réaliser une expédition en ville. Celui qui avait un papa ou un pépère bricoleur s'en sortait bien. D'un morceau de bois, l'artiste du moment faisait naître un personnage pittoresque. Amoureusement coloré, il avait de l'allure et réjouissait l'enfant. A lui par la suite d'inventer le cadre de vie de son nouveau compagnon. L'année suivante, un accessoire nouveau venait s'ajouter et complétait l'ensemble. Pour les moins chanceux, les sans papa-bricoleur, l'achat était souvent inaccessible. C'était alors à l'enfant lui-même de créer l'objet de ses rêves. Le jouet était peut-être de médiocre facture mais il avait le mérite d'exister et la prolixe imagination du créateur faisait le reste.
La fête de famille
La fête commençait avec la veillée de Noël. Toute la famille était réunie sous le même toit et s'organisait fiévreusement pour la réjouissance. L'enfant avait sa tâche en coopération avec les adultes. Le ballet était bien réglé sous l'œil expert du patriarche qui, pour la circonstance, était le maître incontesté. Les femmes dressaient la table et décoraient la pièce. Elles s'affairaient en cuisine dans laquelle, d'heure en heure, se succédaient des odeurs qui aiguisaient l'appétit. De temps à autre, un bambin audacieux risquait une plainte matoise et obtenait une récompense en léchant le reste d'un plat, ce qui déclenchait la réprobation générale des autres envieux tout aussi affamés, car cela devenait long, trop long pour les couche-tôt.
Les hommes, depuis peu libérés des contraintes de la guerre, assis en retrait, goûtaient sereinement la scène. La mine affairée, ils conspiraient à tour de rôle, à l'insu des épouses, pour siroter quelques petits verres, genre potion magique qui avait le pouvoir d'engendrer la gaieté. Ils s'activaient parfois à quelques menus travaux : corvée de bois pour alimenter la cuisinière et découpage des divers morceaux de viande, produits de leur élevage récent et maintenant autorisé.
La messe de minuit
Après une nécessaire et copieuse collation bien arrosée, suffisamment distante de l'heure de la cérémonie, par respect de la coutume, on était enfin prêt pour la messe de minuit. Quitter l'atmosphère surchauffée de la maison pour affronter la rudesse de l'hiver et se rendre à l'église, elle même glaciale, relevait de la gageure. Les groupes constitués par affinité bras dessus, bras dessous, empruntaient les rues sans éclairage, formant une ligne de front qui barrait toute la largeur de la voie. Ils allaient ainsi dans le noir, heurtant d'autres formations tout aussi handicapées par l'obscurité. Le boute-en-train de service papillonnait autour de l'ensemble pour assaillir et bousculer, criant à l'oreille de l'élu afin de l'effrayer. Ce n'étaient que rires et cris de surprise ou de frayeur. On oubliait de cette façon le froid vif qui vous mordait. Pendant la célébration, les enfants perdaient peu à peu leur sagesse imposée. Ils piaffaient d'impatience. Ils espéraient surprendre le Père Noël à leur domicile afin de prendre possession au plus vite des jouets si longtemps attendus. Cependant des complices dispensés de messe avaient disposé autour de la cuisinière des présents mal fagotés dans des emballages de fortune.
Enfin les cadeaux
Après la trop longue cérémonie religieuse, la grand-mère et les mamans tendaient à chacun ce qui lui était destiné en lui disant d'un ton enjoué : "C'est de la part du Père Noël, il est venu pendant votre absence !" Le déballage terminé, chacun admirait son cadeau, les yeux brillants et écarquillés en poussant des "Ah" et des "Oh" admiratifs. Venait ensuite un repas pantagruélique qui s'éternisait tard dans la nuit, assorti de rires, de cris et de chants qui au début empreints d'innocence, devenaient ensuite plus hardis, voire carrément paillards. Auparavant, les mamans avaient pris la précaution de mettre les plus petits au lit. Ils dormaient de tout leur saoul en tenant serré sur leur cœur l'objet de leur bonheur. Comme quoi l'on peut être heureux de bien peu de chose.
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