Les fermes

La ferme de la Warenne et la ferme de la Pépinière

La ferme de la Warenne

La Warenne-Lefebvre (1814)

La vente par adjudication sur affiches au plus offrant et au dernier enchérisseur d’un corps de ferme connu sous le nom de LA FERME DE LA WARENNE, sis dans l’Isle de St-Julien, commune de Mézières

« On fait savoir qu’à la requête du Sieur Mathurin-Joseph-Emmanuel LEFEBVRE, propriétaire, demeurant à Charleville, au nom et comme seul et unique héritier de défunte Marie-Nicole NAUDIN, sa mère, décédée première femme de défunt Jacques-Jean-Baptiste LEFEBVRE, son père, et comme comme héritier pour un tiers de ce dernier ; et en ces deux qualités de propriétaire de quatre sixièmes de la dite ferme ; de Demoiselle Marie-Michel JACQUET, seconde femme et veuve dudit Jacques-Jean-Baptiste LEFEBVRE, au nom et comme tutrice de Jean-Baptiste-Eugène et Jean-Baptiste-Jules LEFEBVRE, tous deux ses enfants mineurs d’avec le dit défunt, ceux comme héritiers de leur père, propriétaires des deux autres sixièmes de la dite Ferme. Ladite Marie-Michel JACQUET autorisée, pour l’effet de ladite vente, par délibération du Conseil de famille desdits mineurs, tenu devant le juge de paix du canton de Charleville, le 1 er Août 1814, enregistré le 18 du même mois, et en présence du subrogé tuteur desdits mineurs ;

Il sera procédé pardevant Maître FOREST, Notaire à Charleville, à la vente, au plus offrant et dernier enchérisseur ; d’un corps de ferme, appelé LA WARENNE lequel consiste en,

1 ° En maison, grange, écurie, bergerie, hangar, etc, dont partie nouvellement construite ;

2 ° En un grand jardin potager, avec arbres fruitiers, entouré de haies vives, de toutes parts, pour l’usage du fermier ;

3 ° En un superbe jardin de maître, d’environ un arpent, entouré de murs neufs, et bien garni d’espaliers et d’arbres fruitiers au vent des meilleures qualités de fruits ; au bout duquel jardin est un bâtiment nouvellement construit, en face de l’allée principale, consistant en un cellier, au-dessus duquel est un très beau cabinet, prenant son entrée par le jardin ;

4 ° En un verger d’environ deux arpents, tenant au jardin ci-dessus, dont il n’est séparé que par un mur d’appui surmonté d’une balustrade en bois peint ; ledit verger entouré de haies vives de toutes parts, et garni d’arbres fruitiers de toutes espèces, de bonne qualité et en plein rapport ;

5 ° En 100 jours environ de terres labourables ;

6 ° En 52 fauchées environ de prés, de première qualité ;

7 ° Enfin en 16 fauchées de près-pasquis, en une seule pièce.

Tous les héritages qui composent ledit corps de ferme sont d’un seul morceau ; au milieu duquel se trouvent les bâtiments et proviennent d’acquisitions qui ont été faites par ledit défunt Jacques-Jean-Baptiste LEFEBVRE, durant sa communauté avec mademoiselle Marie-Nicole NAUDIN, sa première femme.

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La Warenne - Cousin 1814 - 1873

Le cimetière de Mézières dévoile quelques secrets sur les familles macériennes enterrées là. Il faut s’armer de patience et user de perspicacité. Une chapelle adossée au mur est du cimetière porte le nom des COUSIN. Une grille de fer dégondée et à demi-couchée, laisse voir un vitrail perforé, l’intérieur poussiéreux est envahi de débris de marbre qui jonchent le sol, ils appartiennent aux épitaphes décollés des murs et qui se sont brisés en touchant le sol. En rassemblant les morceaux, on y lit encore l’objet de son investigation : « Mademoiselle Victoire COUSIN, née à Charleville le 21 mars 1822, décédée à Florenville le 10 septembre 1873. »

Cette demoiselle est probablement la dernière héritière du banquier COUSIN, ancien propriétaire de la ferme de la Warenne. Elle possédait une fortune personnelle qui, dit-on, a permis de créer l’orphelinat de Charleville. A sa mort, mademoiselle COUSIN a légué tous ses biens à l’hôpital hospice. L’entretien de sa tombe incombait à la ville, ce qui explique sans doute ses armes gravées sur le fronton du sépulcre.

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La Warenne - Bourguin de 1873 à 1929

Madame Ernest-André Bourguin à la warenne

Grâce au concours de l'abbé Hubert Froussard, curé de la paroisse de Manchester, nous avons pu rencontrer un témoin de cette période en la personne de Pierre Bourguin. Aujourd'hui (1994) âgé de 90 ans, celui-ci a conservé des souvenirs très précis de l'époque où sa famille exploitait la ferme.Le corps de ferme installé dans la partie sud-ouest de l'île de St Julien, à 400 m de la Meuse, n'a pratiquement pas évolué pendant la période d'exploitation par les Bourguin. Deux bâtiments bâtis parallèlement et aux imposantes dimensions (50X15 m environ) étaient séparés par une cour pavée de 20 m de largeur. L'ensemble était entouré par un mur d'enceinte d'une hauteur moyenne de 2 m, percé de trois ouvertures principales orientées vers le nord, l'ouest et le sud. Chacune de ces issues avait une fonction bien définie. Celle du nord servait aux piétons et aux voitures pour se rendre aux corps de logis et aux diverses dépendances. Celles de l'ouest était utilisée par les machines agricoles et celle du sud était empruntée par le bétail pour ses va-et-vient aux pâturages. Encadrant cette dernière, deux portes de passage piétons desservaient les jardins et le petit chalet jouxtant le domaine. Une particularité encore non élucidée : le mur d'enceinte est, face à Mézières, était troué de trois petites meurtrières. Seule celle de droite subsiste encore, à gauche des actuels vestiaires de la Warenne. L'exploitation était desservie par un chemin pierreux qui logeait la façade nord et aboutissait à St Julien par la route de Warcq après avoir musardé avec la Meuse, viré au café des Lilas puis remonté la rue de la Haillette (partie aujourd'hui disparue).

Les Bourguin

En 1873, à la mort de mademoiselle Cousin, propriétaire de la Warenne, l'hôpital-hospice de Charleville, devenu légataire, céda la jouissance de la ferme à Ernest-André Bourguin par un bail de 9 ans avec tacite reconduction et sous réserve d'employer quelques orphelins de Charleville. Parmi ceux-ci, Edmond Jacob fut ouvrier agricole pendant 48 ans sous la direction des Bourguin Père et fils. Avant 1914, Edmond Jacob, logé et nourri, gagnait 45 F par mois et achetait avec ses économies des emprunts ottomans à 2,5 % l'an d'intérêt. La nature de l' Île de St Julien engendrait des récoltes très régulières. L'exploitation avait été sélectionnée officiellement pour effectuer les premiers essais d'une toute nouvelle machine hippomobile : une moissonneuse-lieuse d'origine américaine. Les essais donnèrent des résultats très concluants. Ce joyau ardennais, disait-on avec fierté à la ferme pour désigner les terres, fut de nouveau retenu en 1888 pour les essais du premier brabant réversible fabriqué à Hirson. Ce fut le départ de l'ère de la mécanisation. En 1909, le fils d'Ernest, Léon Bourguin, prit le relais et enrichit l'exploitation de quelques hectares. La ferme comptait alors 80 ha de terres cultivables dont 32 réservés aux pâturages.

Perrette et Poulette

Le cheptel, riche de 45 vaches hollandaises, nécessitait une main-d'oeuvre nombreuse. A ce troupeau, s'ajoutaient les bœufs, jusqu'au début du siècle, puis les 8 chevaux nécessaires à l'ensemble des travaux et des déplacements. Un bon vacher trayait en moyenne 8 à 10 vaches à l'heure, chaque vache fournissant 15 litres de lait par jour pendant la période de lactation. Ce lait trait, tôt le matin, était distribué au domicile des clients par mademoiselle Renée, l'aînée des deux filles Bourguin. Elle utilisait une carriole bâchée renfermant les bidons de zinc contenant le précieux liquide. La jument Poulette, inlassablement, conduisait le chargement et s'arrêtait d'elle-même devant la porte de chaque client. La distribution faite, Renée lavait les bidons à grande eau à l'une des 5 pompes de la ferme. Cette besogne répétée quotidiennement, dimanches et fêtes compris, tout au long des saisons, obligeait Renée à être secondée par sa jeune sœur Marcelle (Future maman de Jean-François Froussard et de son frère l'abbé). La guerre 1914-1918 mit fin à la coopération de Poulette. Elle fut réquisitionnée par l'armée française et on n'a jamais su quel fut son destin. A-t-elle participé au remorquage des lourdes pièces d'artillerie ? A-t-elle partagé le sort des hommes sur les champs de bataille ? Nul ne le saura jamais.

Les employés

La livraison de lait aux particuliers continua jusqu'en 1918. A partir de cette date, Léon Bourguin opta pour une distribution au profit de dépôts. L'un de ceux-ci géré par mademoiselle Chiron, à St Julien, assura la vente au détail. Néanmoins, la ferme continuait chaque soir, à vendre sur place aux habitants du quartier qui faisaient le déplacement. Ce commerce assurait une rentrée d'argent indispensable aux divers frais quotidiens. D'autres profits, à plus long terme, se réalisèrent grâce à la vente de betteraves sucrières à la sucrerie rue Voltaire à Mézières. Les Bourguin employaient en permanence deux ou trois ouvriers agricoles ainsi que leurs propres enfants : Lucien, André, Renée, Marcelle, Pierre, Jean et Charles. Ils se partageaient les différentes travaux agricoles, l'entretien des machines et les soins aux bêtes.

La culture des betteraves exigeait la présence d'un personnel qualifié à certains moments de l'année. Pendant plus de trente ans, la même équipe de saisonniers a logé à la ferme de mai à mi-juillet. elle comprenait deux couples avec enfants qui assuraient les travaux pénibles de démariage et de sarclage des betteraves, le dos courbé du matin au soir. Ces gens du Nord faisaient le chemin de Cambrai à Mézières à pied et repartaient en fin de saison par le chemin de fer. Logés et nourris, ils percevaient 5F par personne et par jour. Ils prêtèrent occasionnellement leurs bras à la fenaison, travail qui n'était pas mécanisé à l'époque et qui nécessitait un important personnel.

La guerre 1914-1918

La première guerre mondiale modifia la vie de la ferme. comme toutes les exploitations industrielles ou agricoles, la ferme de la Warenne fut soumise aux autorités allemandes qui occupèrent le département des Ardennes d'août 1914 novembre 1918. De 1914 à 1916, la ferme continua à produire selon la planification antérieure. Néanmoins, une partie de la récolte était destinée à l'Allemagne. dès 1916, les Allemands imposèrent de nouvelles cultures. Les choux remplacèrent partiellement les betteraves et les céréales.

Avant l'arrivée des envahisseurs, les Bourguin avaient entrepris de démonter et d'enterrer les machines agricoles non utilisées. Curieusement, les cinq pompes en cuivre restèrent en place, malgré le pillage systématique des métaux. Les troupes d'occupation envisagèrent un moment de réaliser un chemin d'accès direct de la porte nord à la rue de Warcq. L'armistice ne leur permit pas de mener ce projet à bien. Elles quittèrent les lieux en raflant toutes les vaches hollandaises. La paix revenue, les autorités françaises remédièrent à cette "indélicatesse" en achetant des vaches de remplacement en Normandie. Les traditionnelle vaches noires et blanches qui faisaient partie du paysage de l'île furent remplacées par des normandes à la robe fauve; le rendement en lait, dirent les plus chauvins, en fut amoindri.

Inondations et calamités

L'importante crue de la Meuse de 1920 fit que le cellier à pommes de terre et les écuries furent dans l'eau. Celle de 1926, plus imposante encore, obligea les Bourguin à déplacer les chevaux dans un bâtiment, face au café le "Petit Borgniet". Une barque fut mis en réserve dans le cas ou les vaches laissées sur place à l'étable, qui avaient de l'eau jusqu'au niveau des paturons, seraient menacées par la montée des eaux.

Le semestre de l'année 1929 fut une année d'eau. A la fête de St Julien, une accalmie providentielle permit la coupe des blés. Malgré ces jours de liesse, la décision fut prise de rentrer la récolte. Les chariots enfin chargés, le sol détrempé, firent que les roues s'enfoncèrent jusqu'aux moyeux. Il fallut équiper jusqu'à cinq chevaux par attelage pour les dégager des ornières. Ce fut des journées harassantes pour les hommes et les bêtes. Tant pis pour la fête, on était content, le blé était sauvé.

Le bail à terme

En 1929, Léon Bourguin, sentant le poids des ans, ne renouvela pas le bail arrivé à son terme. Pierre, avec l'un de ses frères, acheta alors la ferme dite 'Le château de la Praële" à Warcq. Le père Léon prit chez eux une retraite bien méritée. Il s'éteignit en 1935. Ainsi s'achevaient plus de cinquante ans de présence de la famille Bourguin à la Warenne.

(extrait du Journal de Manchester du 10 juillet 1994)

voir aussi : Un attelage en mauvaise posture

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La Warenne - Carpiaux 1929 à 1960

Raymond Carpiaux (de Givet) dirigeait la ferme avec l'aide de 3 à 4 ouvriers agricoles en tant que régisseur. il inspectait la propriété à cheval et organisait les travaux à venir. Le reste du temps, il circulait en voiture particulière à travers le quartier en plein développement ou se rendait en ville pour se distraire.

Documents de l'Abbé Hubert Froussart de 1962.

1- Faucheuse-lieuse reconvertie "Poly-Farman". 2- Le gerbage se fait encore à la main.

Un violent Orage

Un orage d'une violence inouïe s'abat sur la plaine de la Warenne et le village de Warcq et provoque des dégâts considérables. "L'ardennais" du 8 et du 9 septembre 1952 relate les faits :

"A Warcq, c'est à 15 h 38 que le Centre Départemental de Secours a reçu le premier appel pour l'incendie qui venait de se déclarer près du lavoir situé au centre de Warcq, dans une maison d'habitation appartenant et occupée par monsieur François de la SNCF. Le lieutenant Depoix, arrivé rapidement sur les lieux avec le "premier secours" maîtrisa rapidement le feu qui s'était déclaré dans les combles.

Le plafond de l'étage a été endommagé ainsi que la toiture sur une surface de 40 m2. Une partie de la literie, de la lingerie et des outils ont été également détériorés par le feu.

A la Warenne, le "premier secours" était encore au feu de warcq lorsque la sonnerie du 33.33 se fit entendre de nouveau à 15 h 58 : un second incendie était signalé à la ferme de la Warenne, exploitation située au delà du quartier de Manchester, dans un endroit isolé, dont le seul moyen d'accès est le chemin de terre qui, pendant sa première partie, longe la Meuse dans la boucle de Warcq.[ le gérant, monsieur Carpiaux, était à la chasse dans la région de Givet] Le personnel, en majorité d'ouvriers étrangers, était seul à la ferme ce dimanche au moment de l'orage.

L'un des ouvriers qui avait aperçu une fumée suspecte sortant d'une extrémité de la grange, donna l'alerte, mais entre temps, le feu s'était rapidement propagé à l'intérieur bourré de récoltes et lorsque les pompiers arrivèrent, l'imposant bâtiment de pierre long de 60 mètres sur 10, était transformé en immense brasier dont les flammes avaient déjà attaqué les poutres de la charpente.

Immédiatement, on fit appel au renfort des volontaires et surtout au camion citerne car il n'y avait pas d'eau à la ferme.

Il était matériellement impossible de maîtriser immédiatement l'incendie. Néanmoins, sous les ordres du lieutenant Depoix qui était revenu du feu de Warcq, les pompiers mirent une grosse lance en action tandis qu'un autre fourgon amenait une moto-pompe le long de la Meuse, distante de plusieurs centaines de mètres. Un double établissement de 500 mètres de tuyaux permit bientôt d'alimenter deux autres lances pour attaquer le feu à travers les ouvertures des portes qui s'étaient effondrées.

Pendant ce temps , un détachement de la CRS 23, commandé par le lieutenant Delsort, secondait les pompiers , dégageait le matériel d'un hangar attenant à la grange incendiée et déménageait un imposant tas de paille qui se trouvait à quelques mètres du foyer.

L'incendie se voyait de plusieurs kilomètres à la ronde et le nombre de curieux augmentait d'heure en heure. Des dizaines de voitures encombraient le seul chemin d'accès et cette foule mouvante et indisciplinée compliquait singulièrement la tâche du service d'ordre commandé par le brigadier Grandfils.

À 23 heures, les soldats du feu étaient encore en action et l'on peut prévoir qu'ils vont devoir continuer la lutte toute la nuit. Tout danger d'extension, notamment vers les maisons d'habitation, paraît maintenant écarté mais les centaines de quintaux de récoltes engrangées continuent à brûler. La grange contenait en effet 60 quintaux d'orge, 100 quintaux de paille, la récolte de 7 hectares d'avoine non battue, deux moteurs électriques et divers outils ou matériel agricole.

Les chevaux qui se trouvaient dans une écurie située à une extrémité de la grange ont pu être sauvés.

Le bâtiment n'a plus ni toit, ni portes et ses murs calcinés devront être abattus. Les renseignements recueillis par l'enquête du commissaire Caramiaux qui confirme que cet incendie a été provoqué par la foudre."

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Achat par la ville

Tout en remerciant le maire de Charleville, monsieur Lebon, président de la Commission administrative de l’hôpital Hospice, accordant la priorité au chef-lieu dans la vente de la ferme de la Warenne, le conseil [de Mézières] décide de ne pas engager de dépense (24 millions pour 62 ha) avant une étude de cette importante question par le commissaire de l’expansion et des finances. (L’Ardennais du 31 juillet 1959).

Ferme de la Warenne, promenade de la Warenne, CN n° 15 pour 45a 73ca, acquis de l'hôpital-Hospice de Charleville le 15 décembre 1960, moyennant la somme de 240.000 NF. (L'ensemble de la Ferme de la Warenne est de 66ha, 81a, 89ca).

Sa destination est donc à ce jour changée. Un service d'espace vert, de stockage de matériels et d'une serre se développent tout en louant quelques terres non utilisées à des agriculteurs installés à Warcq.