A la Grappe d'or

Le café « à la grappe d’or »

Jean et Rita Dancerelle de part et d'autre de l'entrée en 1967

Le café « à la grappe d’or » fut créé à l’origine pour assurer une occupation aux épouses des deux premiers propriétaires, sans écarter, sans doute, un placement financier non négligeable. Avec la famille Dancerelle, il deviendra une entreprise aux activités diverses. Il sera alors nécessaire de recruter du personnel affecté à des tâches multiples ou spécifiques.

Les Crémont

A l’angle de la seconde allée (actuelle rue Jules Raulin), et de la rue Robert Bruxelle, quatre chalets

se faisaient face deux à deux. Ces habitations de bois, de belle facture, avaient été financées, disait-on, par des dommages de la guerre 1914-1918 et construites par des prisonniers de guerre allemands dans les années 1920. Paulin Crémont, contremaître chez Forget à Charleville, acheta vers 1935 –36 à monsieur Fatou, coiffeur, une partie de son chalet situé au n° 20 de la rue Robert Bruxelle pour loger sa famille. A l’emplacement du petit potager attenant à l’habitation, il bâtit en dur un débit de boissons dont l’entrée s’ouvrait à l’angle du carrefour, en plein sud. Sur la partie de la seconde allée, il adossa un garage au bâtiment. Le maître des lieux baptisa son commerce « à la grappe d’or ». Trop occupé par son emploi, il laissait à son épouse le soin de gérer cette affaire en lui apportant néanmoins son concours dans les activités ludiques qui rivalisaient, sans toutefois les égaler, avec celles développées au café « Bertrand », l’actuel « Manchester ». A l’âge de la retraite, en 1950, les Crémont vendaient leur bien à monsieur Berdal.

Les Berdal

Michel Berdal, couvreur à Manchester qui avait pris la succession de son père après avoir travaillé

avec lui, se rendait acquéreur du café et des appartements. Il n’apporta aucune modification notable au commerce. Le garage servait de dépôt de matériel professionnel. Comme son prédécesseur, le nouveau cafetier faisait assurer la gestion du bar par son épouse Rosette. Celle-ci, femme de devoir, se tua peu à peu à la tâche. Sa clientèle de proximité, occupait les baraquements alentour. La télévision, cette nouveauté rare dans les foyers, fut installée et fidélisait de nouveaux clients qui venaient en famille. Rosette devait, sans rechigner, supporter les attardés qui n’en finissaient pas d’occuper le comptoir. Sa santé se dégrada. Son mari loua alors le commerce pour un an à Jeannot Copp, dit Nono, et envisagea de vendre.

L’opportunité de Rita

En 1961, Rita Dancerelle occupait depuis 4 ans un emploi de cuisinière aux PTT, place de l’Hôtel de ville à Mézières. Quotidiennement, sauf le dimanche, elle y œuvrait de 8 h à 20 h, entrecoupant son travail de déplacements à pieds de Mézières à Manchester lieu de son domicile, pour préparer ses enfants pour l’école et servir leurs repas, ce qui ajoutait à la pénibilité de son travail. On parlait alors de déplacer l’administration des PTT vers la place du Théâtre à Charleville. Rita jugea la nouvelle distance trop importante pour mener à bien son emploi et sa vie de famille. Une rencontre fortuite avec Michel Berdal qui cherchait à vendre son commerce la laissa perplexe. Elle en parla à Jean, son mari, représentant chez Astra. On pesa le pour et le contre et la décision fut rapidement prise, dans l'enthousiasme général, d'autant plus que les enfants et leur grand-mère logeraient sur place. Elle donna donc sa démission. La maman de Rita, veuve Valli, unanimement connue comme femme de charité , adhérera avec joie au projet et promit son concours désintéressé. Pendant plus de deux ans, avec un dévouement exceptionnel, elle aida sa fille avec autant de compétence que de bonheur avant de disparaître prématurément à 59 ans.

L'entreprise Dancerelle

Madame Valli

Á l'achat, Rita obtint à sa demande, le titre de "café-restaurant".Elle avait vu juste en hypothéquant sur le développement du quartier de Manchester. En effet, les baraquements disparaissaient un à un, laissant la place à la construction de l'extension de l'école Bronnert et par la suite du centre social. Les familles de ces baraquements se logèrent dans les tout nouveaux bâtiments HLM à proximité et les anciens clients gardèrent leurs habitudes. Lesdouze premiers ouvriers de l'entreprise chargée de la réfection de la voirie et des trottoirs seront ses premiers clients pour la restauration. Pendant plus d'un an et demi, ils apprécièrent la cuisine italienne à la saveur sans pareille de la "Mama Valli" et de sa fille Rita. Suivirent les employés des entreprises Vallogia pour l'école Bronnert puis Pilard pour le centre social. Auparavant, le garage avait été transformé en salle à manger. Le tout devenait cohérent. Il fallait cependant garantir l'avenir. Se succédèrent pour cela les vins d'honneur, les banquets, les repas de communion ou de mariage. On y associait la fille, Nicole, nouvellement promue présidente de la jeunesse. On s'inspirait de Berdal avec son téléviseur. Pour l'ambiance, on installait un juke-box qui a fait danser le twist à de petits diables de communiants entravés dans leurs aubes qui, pour les besoin de l'art, étaient relevées à la limite de la décence.

Réunion de la jeunesse de Manchester

Taxi et P.M.U.

Le couple Dancerelle, en chef d'entreprise averti, constatait l'hémorragie du dimanche matin des clients qui jouaient leur tiercé à l'Excelsior de Mézières. Pour les retenir, une solution : installer le P.M.U. à Manchester. Ce fut fait en 1964, avec en plus un emploi à temps partiel. La même année, le Café-restaurant devint le siège de la nouvelle association "Manchester-Sports-Animation" (Courses cyclistes, karting, rencontres de football, voyages pour les personnes âgées). Rita et monsieur Biadatti s'adonnèrent sans compter à ces festivités qu'ils animaient au profit de la population. En 1969, ils créèrent le premier carnaval de Manchester.

Subjugué par ce tourbillon heureux, Jean prêtait souvent son concours à des tâches d'homme à tout faire. En observateur attentif, il remarqua que l'hôpital tout proche était mal desservi en moyens de transport. Les malades ou les familles en visite éprouvaient quelques difficultés pour se rendre à la gare SNCF ou à la gare routière. Germa alors en lui le moyen de suppléer à cette insuffisance : il quitta son emploi et s'établit comme taxi indépendant. Cette activité le rendit parfois complice de malades en long séjour qui, le soir, le coup de blues aidant, passaient une nuit illicite auprès de leur épouse. D'autres venaient quérir un litre ou deux de boissons alcoolisées pour noyer leur solitude ou tout simplement prolongeaient un peu leur soirée en écoutant les airs à la mode diffusés par le juke-box. Parfois, Jean sortait son saxo et ajoutait encore à leur mélancolie. Au cours des banquets, après avoir débarrassé les tables, il donnait la répartie à l'accordéon de son ami Amiot à la grande satisfaction des convives.

L'enseigne

L'enseigne est suspendu au plafond

Au cours d'un voyage en Italie, Jean, plus italien que Rita tant il aimait ce pays et sa langue, tomba en extase devant une grappe de raisin sculptée dans la lave et peinte aussi vraie que nature. Pour lui, c'était l'enseigne qui manquait à leur café. A leur retour, ce magnifique objet d'art fut suspendu au plafond, juste au dessus du comptoir. Il brillait de mille feux grâce à un ami électricien qui avait fabriqué un ingénieux système d'éclairage pour le mettre plus en valeur.

A la vente de l'établissement, la grappe faisait partie du lot mais le nouveau cafetier, qui ne lui avait accordé aucun intérêt particulier, s'empressa de la jeter à la poubelle. Un client témoin d'un tel geste, récupéra l'œuvre, l'emballa dans un journal et la restitua aux anciens propriétaires très touchés par cette marque d'authentique amitié.

La convivialité

Un vin d'honneur avec les notables

Quelques anecdotes illustrent la sympathique que Rita savait faire naître et la convivialité qu'elle s'attachait à entretenir avec ses clients. Un commerçant du quartier avait pris l'habitude d'inviter ses employés à une dégustation de Bénédictine. Les premiers jours de l'ouverture du bar, le comptoir à peine achalandé, celui-ci arriva et passa sa commande. Rita, confuse, dut avouer qu'elle était démunie du fameux breuvage. Quelle ne fut pas sa surprise d'entendre le client intimer l'ordre à l'un de ses commis d'aller quérir une bouteille à son domicile pour l'offrir à la Patronne.

Le retour d'Afrique du Nord des cadres militaires fut l'occasion de diversifier la clientèle en amalgamant des catégories sociales nouvelles. Les militaires s'installèrent peu à peu dans les immeubles des rues Maryse Bastié et Madeleine Sylvain, ainsi que dans les maisons des rues Ribot, Bruxelle et Bronnert. Originaires pour la plupart des régions du nord, ils s'intégrèrent

aisément grâce à leur convivialité intrinsèque. C'est alors que le couscous alterna avec les spécialités italiennes.

Autre marque de la délicate attention de Rita : les bouquets de violettes. Madame Lucienne, une ancienne voisine, avait pris l'habitude d'apporter au café,chaque dimanche matin, un petit bouquet de fleurs de saison cueillies dans la nature. A l'occasion de son 25ème anniversaire de mariage, Rita lui commanda 25 bouquets de violettes qu'elle offrit aux clients pour leurs dames, comme pour s'excuser un peu du temps que les hommes passaient au café...

Tout bien considéré, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, quand en 1973, le malheur frappa la famille, Jean tomba gravement malade. Rita devait faire face à un travail insurmontable. 14 heures de travail par jour l'épuisèrent. Elle se résolut alors à vendre son fonds de commerce et son logement à monsieur Sotty.

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