Gaston Aubert chef d'une entreprise de transport
Une vie de camionneur
Gaston Aubert, qui a longtemps habité à l'angle de la rue Jules Raulin et de la rue Robert Bruxelle, avait eu le privilège d'être l'un des premiers transporteurs de l'île de St Julien car propriétaire d'un camion. A la première guerre mondiale, Gaston Aubert acquit auprès du ministère des Régions Libérées un camion de type Berliet CBA de 5 tonnes de charge utile. Détaillons ensemble cet engin rustique mû par une transmission à chaîne, pourvu de roues à bandages et propulsé par un moteur essence de 6 cylindres. Le frein à main et le levier de vitesse étaient positionnés à l'extérieur de la cabine dépourvue de portes. Les talents de bricoleur de Gaston Aubert lui avaient permis d'adapter sur le long et très lourd châssis une benne et des ridelles amovibles, assurant ainsi une plus grande polyvalence dans le camionnage. Il fallait posséder une force herculéenne pour manipuler l'impressionnant volant de direction. De même, tenter de démarrer le moteur à l'aide de la manivelle était un exercice périlleux : gare au retour de celle-ci qui risquait de vous fouler le poignet ! L'hiver, il était nécessaire, avant le démarrage, de chauffer le carter avec de l'étoupe imbibée d'essence et cela avec mille précautions, car balader la flamme pour diluer l'huile givrée n'était pas sans risque. Les bougies étaient démontées et chauffées sur la cuisinière à bois. Malgré tout cela, l'engin atteignait une vitesse de croisière de 40 à 50 km/h, ce qui, vu l'état des routes de l'époque, était une sorte de record.
Transports en tous genres
Entre les deux guerres, le transport routier à moteur n'était pas encore développé. Le souci principal du camionneur était de prendre les marchés les plus divers. Sur Manchester, c'était facile. Gaston Aubert assurait le transport des matériaux nécessaires à la construction du quartier et les déménagements des nombreuses familles qui prenaient possession de leurs nouveaux foyers. Quelques contrats tacites le liaient à certaines fabriques pour assurer le transport des objets usinés vers la gare et ramener les matières premières indispensables à la réalisation des pièces en question. Ces contrats l'obligeaient parfois à quitter le chef-lieu pour quelques villes environnantes. Dans ce cas, en toute prévoyance, il se chargeait de bidons d'essence supplémentaires car les stations services étaient rares et le camion consommait énormément. En ce temps de mécanisation pratiquement inexistante, Gaston Aubert et ses aides occasionnels utilisaient la force des bras pour le chargement à la pelle des sables et des granulats de toutes sortes. Ces bras-là ne manquaient pas. Après la journée de 9 à 10 heures à l'usine, les ouvriers se consacraient, pour arrondir leurs maigres salaires, à divers travaux des champs, des jardins ou auprès des artisans qui souvent les embauchaient "au noir". Seuls les dimanches restaient libres. Les femmes et les enfants, le matin, emplissaient les églises de Warcq ou de Mézières alors que la majorité des hommes emplissaient leurs verres à l'estaminet tout proche.
L'attraction
Pendant longtemps, ce camion fut l'unique engin lourd à moteur du secteur. C'était une véritable attraction pour les gamins qui le voyaient passer. Les plus courageux le poursuivaient un temps pour mieux défier cette force mécanique au grand dam du chauffeur qui, craignant l'accident, proférait tour à tour menaces et recommandations de prudence. Cela ne décourageait nullement les plus audacieux qui s'efforçaient de battre à la course le monstre suintant, puant l'huile chaude et le carburant insuffisamment consumé, exhibant sa puissance par des bruits insolites, tremblant de toute son importante masse à chaque changement de régime, couvrant la rue et les passants d'un nuage opaque de poussière par temps sec ou projetant des eaux boueuses par temps humide.
Le chef d'entreprise
A la fin des années trente, son CBA quelque peu fatigué, Gaston Aubert songea à le remplacer en achetant aux Domaines un camion américain Packard qui datait lui aussi de la première guerre mondiale. La concurrence dans les transports s'accentuait et des engins plus modernes s'appropriaient les marchés. Fort de ces trois licences de transport, Gaston Aubert profita d'une opportunité pour se faire embaucher comme conducteur émérite auprès des Ponts et Chaussées. Il se détacha alors peu à peu de son entreprise au profit de son fils Robert. En 1940, à cause de la pénurie d'essence, il installa sur ce camion un gazogène de sa fabrication qui fonctionnait au bois et permettait de palier au manque de combustible, sauvant ainsi son activité du déclin total, mais pour un temps seulement.
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