Les bains en Meuse
La mémoire de Maurice Froussard est riche de souvenirs et d'images. Il nous livre, cette fois, des souvenirs d'une époque où la Meuse présentait encore de réels attraits, tout à l'opposé des soucis qu'elle inspire aujourd'hui à ses riverains.
Le bain des carottes
"Près du joli Bois d'amour, aux arbres somptueux ombrageant la piste ovale en ciment où s'affrontaient avant 14, les champions cyclistes régionaux, existaient le Bain des carottes et le Bain des soldats. Le premier devait son appellation cocasse au fait qu'avant la Der des Der (14/18), les jardiniers venaient y laver leurs légumes. Descendant leurs barous (tombereaux) par les chemins de la Courtille et de la Sorille, ils déversaient directement leurs chargements dans le fleuve, la pente étant très douce. Le nettoyage fait, ils rechargeaient, tandis que chevaux et tombereaux trempaient paturons et roues. C'est là que les galopins de 6, 7 ans apprenaient à nager, s'aidant de joncs unis en bottes. D'autres plus âgés, venaient s'y rafraîchir, vêtus de maillots longs n'ayant aucun rapport avec les slips et bikinis actuels, mais qui, trempés et collant aux corps, nous nous permettaient quand même de se "rincer l'œil".
Le bain des soldats
Une centaine de mètres en aval, le Bain des soldats offrait confort relatif et sécurité. C'était un quadrilatère fermé de passerelles en bois parcourues par des surveillants. Une partie servait aux nageurs, peu nombreux. Les autres faisaient trempette dans le reste du plan d’eau avec force cris et farces... Agréable moment de détente. Ils arrivaient par compagnie d'une cinquantaine d'hommes et pour éviter les regards indiscrets, enfilaient de longs caleçons de toile blanche, dissimulant leurs attributs masculins. Cet endroit était strictement réservé aux militaires comme l'indiquaient les pancartes. Vous pensez bien que nous enfreignions sans vergogne cette restriction quitte à nous sauver à l'arrivée d'un détachement. Nous y retrouvions souvent un nommé Gugusse, d'environ 15, 16 ans dont l'évolution mentale n'avait pas suivi le développement physique, en un mot un peu simplet mais très gentil. Il nageait comme un poisson, restant plus d'une minute sous l'eau, il plongeait dans la Meuse pour ramasser quelques piécettes que nous y jetions.
Le Bain des Dalles
Côté Montjoli, sur St Julien, deux autres bains étaient fréquentés. D'abord le petit Bain des Trois Arbres, à la plage sablonneuse, tranquille et sans risque. On y voyait surtout de très jeunes enfants, même des bébés, barbotant dans l'eau douce avec parfois leurs mamans. Mais celles-ci préféraient souvent bavarder en tricotant à l'ombre, détendues. Il est vrai qu'en ce temps, de transistors point ! Non loin, était le Bain des Dalles (certains disaient Dames). Rectangle entouré de joncs, son fond, constitué de dalles grossières et disjointes, était le vestige d'une voie romaine où l'on passait à gué il y a plus de 1000 ans. Rapidement, la profondeur le rendait dangereux pour les non avertis. Mais les plus hardis, franchissant la barrière de joncs, gagnaient l'autre rive, bravant le courant et les herbes traîtresses. Ils se laissaient porter jusqu'au bain de Montjoli utilisé surtout par les carolopolitains. Pour revenir sur St Julien, ils devaient gagner l'onde plus en aval, à cause du courant qu'ils coupaient en oblique. Quelques incidents eurent lieu et même quelques accidents ; mais c'est le tribut à payer à la pratique des sports, quels qu'ils soient. Dans les années 20, faisant le tour de l'île en balade, estimant l'endroit propice, gosses imprudents, nous nous y ébattions, nus comme des vers. Il est vrai que nous savions déjà bien nager. N'empêche que des trous inconnus ou des herbes perfides auraient pu nous jouer de mauvais tours. Il faut croire que la providence épargne les enfants, comme elle protège les ivrognes, dit-on. Maintenant, avec le lac de la Warenne et deux piscines en ville, baignade et natation se font dans des conditions d'hygiène et de sécurité exemplaires. Mais beaucoup d'anciens gardent un bon souvenir de leurs bains de rivière aujourd'hui disparus. "
Le bain des gueulards
Ce que ne développe pas, Maurice, notre ancien, un peu trop âgé pour l’avoir connu dans les années 50 et 60, c’est un autre bain tout aussi populaire et ludique, très fréquenté par les riverains, situé en aval de l'hôpital et des maisons de la Promenade de la Warenne, presque en face d'un ponton installé par un dragueur de rivière de Prix-les Mézières. Ce lieu choisi dans une boucle, avait la particularité de posséder une crique creusée dans la rive élevé et, amassée sur la rive opposée, un énorme banc de sable. Un rapide les séparait, violent et intraitable. La crique, assez profonde, aux eaux calmes, permettait de plonger sans trop de problèmes. Ce qui posait problème, c'était l'indiscipline des prétendants qui ne respectaient pas l'éloignement des prédécesseurs pour laisser du champ libre au plongeon. Rejoindre la rive à la pente abrupte et élevée, était un exercice éprouvant. Un passage y était creusé, trop gravillonneux pour assurer la remontée. Néanmoins cette petite baie était aussi très prisée par les barboteux. Elle possédait un petit lit de sable, à l'abri des vents et inondé de soleil. Sur la berge, une saulaie généreuse l'ombrageait, laissant cependant une clairière ouverte sur le fleuve où pouvaient se réjouir bruyamment les estivants. Tout le monde y trouvait son compte. Le banc de sable de la rive opposée était tout aussi prisé pas des nageurs confirmés, car franchir les rapides demandait une force et une technique éprouvée. Une seule ombre au tableau noircissait cette scénette idyllique, les égouts de l'hôpital se déversaient à quelques deux cents mètres en amont. Personne ne s'en souciait. Ils faisaient le bonheur de quelques pêcheurs qui s'installaient sur l'énorme tuyau en aplomb pour une pêche miraculeuse...
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