La Saint-Eloi
Ce saint, patron des maraîchers par extension, était particulièrement bien fêté à Saint-Julien.
Le Maître en charge, dont le rôle était assumé par roulement, organisait les manifestations. Déjà, la veille, il avait envoyé une servante distribuer un pain-mollet, le "crouton", chez les confrères et amis, contre une modeste somme augmentée d'une pièce pour la porteuse. Elle avait intérêt de ne pas accepter trop souvent "l'cafet", la goutte ou un canon, si elle voulait terminer la tournée sans être trop éméchée.
Le jour-dit, sur une civière de chêne cirée, autour d'une sorte de mât, était montée une pyramide de couronnes de gâteaux mollets. D'autres couronnes étaient placées dans des corbeilles, portées à deux. Le tout était orné de nappes blanches dentelées et de rubans de couleurs vives. Les porteurs arrivaient, on leur offrait le vin blanc ainsi qu'à ceux qui se massait au dehors et qui , déjà, avaient soif. Le cortège se formait, précédé par deux ou trois musiciens aux cuivres brillants, et gagnait l'église, accueilli sous le porche par l'officiant et ses assesseurs. Dans les stalles du choeur, s'asseyaient les personnalités; devant l'autel, étaient posées la civières et les cor-beilles. La cérémonie se déroulait, grandiose, avec de nombreux enfants de choeur bien stylés, accompagnée par des chants et l'orgue; elle était suivie par une assis-tance nombreuse et recueillie.
A la sortie, le cortège se reformait et gagnait le café prévu où, dans la gaieté mon-tante, on mangeait le gâteau tout en buvant du vin blanc. Enfin, on se dispersait dans la bonne humeur avant de se retrouver chez Galleron, au Casino du square, par-faitement équipé pour les banquets. Un repas fraternel se déroulait, on dégustait des mets et des vins de choix, dans une ambiance garantie, nourrie par des chansons et les farces. L'humour particulier des jardiniers, difficile à décrire si ce n'est en collectionnant les épithètes : un peu hâbleur, un peu féroce, un peu caustique, un peu grossier, un peu grivois, s'en donnait à cœur joie. Quand chacun regagnait ses péna-tes, longtemps après, la route s'allongeait souvent de quelques zigzags.
Pour terminer cette agréable journée en beauté, un bal, ouvert à tous, s'offrait. Alors se mêlaient danses anciennes et modernes, jeunes et vieux y allant aussi bien d'un tango que d'une polka, d'une mazurka, d'une java, d'un quadrille, d'un fox-trot exécutés plus gaiement qu'artistiquement. Des intrigues, des idylles se nouaient : les allées et les bancs du square ont entendu plus d'un soupir amoureux, les soirs de Saint-Eloi.
Allez à : Un attelage en mauvaise posture