Café "Le Soleil"
Attablés : les ouvriers plâtriers œuvrant à la construction de l'hôpital.
Debout de gauche à droite : Melle Léone Meillier, Mme Bouhour Maria, Melle Marguerite sa nièce, Mr Louis, son père, Mr Edmond Roth et Georges Bita (maraîchers), Mr X, représentant en vin et spiritueux. (doc : Rocquilly mari de Léone)
L’origine de cette appellation, « Le Soleil », demeure énigmatique, les premiers propriétaires, les époux Herbin, n’ayant laissé que peu de souvenirs. Seul, le décès accidentel de monsieur Herbin est resté dans les mémoires. L’effondrement du balcon en bois de sa propriété l’entraîna dans sa chute et la « patronne » dut ensuite assumer seule la charge du débit de boissons. Quelques années plus tard, elle décida de louer le café.
Gustave Bouhours, originaire de la Sarthe, avait été affecté dans le Génie au cours de la première guerre mondiale qu’il termina dans les Ardennes. En août 1919, il unit sa destinée à celle d’une jeune ardennaise, Maria, qui tenait à l’époque un modeste débit de boissons, rue des Etuves à Mézières.
C’était le grand moment de la construction de l’hôpital et de la partie ancienne du quartier, aussi, Maria n’hésita pas à reprendre la licence de madame Herbin.
Les trois métiers
Le café était un peu excentré par rapport aux divers chantiers des nouvelles constructions. Toutefois les maraîchers, les jardiniers et les ouvriers employés à la construction de l’hôpital le fréquentaient assidûment. C’est probablement ce qui amena Gustave Bouhours à venir s’installer à Manchester. Charpentier de son métier, il travaillait à cette époque à la reconstruction du Chesne. Il dût alors changer d’activité et pendant plusieurs années, il s’employa à l’extraction de sable sur ces nouvelles possessions. Les gravières vite épuisées, il s’adonna ensuite à la culture maraîchère, aidé par un saisonnier. N’ayant rien oublié de son premier métier, il bâtira près du café que tenait son épouse Maria, une baraque pour héberger son cheval, abriter ses outils et protéger son foin. Les adolescents de l’époque se souviennent certainement avec émotion du temps de leurs premières rencontres amoureuses sous l’œil complice du brave cheval.
Rue de warcq : de gauche à droite la maison Moreau, la baraque à Bouhours, ancien café "Le Soleil"derrière le poteau, et enfin le nouveau café réalisé en bois.
En 1938, Gustave Bouhours, plus familièrement surnommé « Tatave », entreprend la réalisation de son rêve : construire sa propre habitation, en bois bien entendu. Ce pavillon de bonne facture à usages multiples est construit à l’angle de la route de Warcq et de la toute nouvelle rue Léon Dehuz. Il portera la même enseigne : « Le Soleil ». L’ancien café sera vendu à monsieur Carré aux fins d’habitations puis racheté plus tard par les époux Romanowsky.
Son épouse assurera la vente de ses légumes en plus du débit de boissons. Un comptoir richement doté d’un canon à bière à pression, orné de faïence et d’une pompe à air de type « Badré-Dewé » faisait la fierté de la maîtresse des lieux.
Tonton
Depuis longtemps, Marguerite, la nièce de Maria, avait élu domicile chez ce couple sans enfant. Elle les secondait précieusement dans les nombreuses tâches, parfois aidée par son cousin Guy, de Mohon. Elle excellait dans la vente à la criée. Poussant une charrette à bras chargée de légumes, elle régnait sans partage sur tout le secteur. Mais l’essentiel de la production était débité sur place, dans le nouveau magasin de Gustave, qu’elle appelait familièrement « Tonton ». C’est sans doute parce qu’elle abusait de cette appellation qu’on lui attribua à elle-même ce sobriquet.
Le sinistre mois de mai 1940 portera son ombre sur cette sympathique famille. Il fallait tout quitter pour rejoindre un lieu sûr. Bien que n’ayant pas de permis de conduire, Tatave avait acquis une voiture d’occasion dont il n’avait pas l’usage. Pour sauver le véhicule, il le prêta à un voisin afin que celui-ci évacue sa famille. Quant à lui, il entassa le maximum de biens, précieux ou utiles, dans un tombereau tiré par le fidèle cheval. Un mois de voyage fut nécessaire à la famille pour revoir le doux bocage sarthois. Ce n’est que 5 ans plus tard que Gustave et Maria, avec le même moyen et le même cheval, reprirent le chemin des Ardennes. La nièce Marguerite n’était pas du voyage : elle s’était mariée au pays.
Le magot
Les Bouhours reprennent leurs activités qui, entre temps, avaient été maintenues par Guy Alexandre, un proche parent de Maria. L’heure de la retraite sonne en 1964 et l’on décide de tout vendre pour rejoindre Marguerite. Maria, en femme avisée et prudente, avait secrètement économisé une petite fortune en espèces et en titres au porteur. Une cuisinière désaffectée faisait office de coffre-fort. Elle confia un jour à un ferrailleur le soin de la débarrasser des outils et autres vieilleries. A la suite d’un malentendu, la cuisinière – qui ne faisait pas partie du lot- fut aussi emportée. Le ferrailleur au moment de procéder à la séparation des métaux, découvrit le magot. Son honnêteté foncière fit qu’il rendit la totalité du bien à Maria qui put alors envisager plus sereinement la retraite du couple. Le cheval, trop âgé, ne fut pas cette fois du voyage. Sous la tutelle d’un fermier, il alla couler des jours heureux dans une pâture bien grasse. Avant son départ pour la Sarthe, Gustave enfourchait chaque jour son vélo pour rendre visite à sa brave bête et, dit-on, essuyer une larme, tant cette séparation le faisait souffrir.
Il n’eut pas le loisir de profiter bien longtemps de sa retraite au pays. En septembre 1965, Marguerite , l’Ardennaise devenue Sarthoise, fermera les yeux de son tonton, le Sarthois qui avait tant aimé l’Ardenne.
Une autre vue du Café "Le Soleil" en 1950
A Manchester, « Le Soleil » sera racheté en tant que débit de boissons et de logement. Jean-Marie Moiny, le nouveau propriétaire, réalisa d’importants travaux de rénovation. Il en profita pour modifier l’enseigne : « Le Soleil » devint « le Ranch ». Et les habitudes avaient changé. Néanmoins un arrêt de bus de la rue Léon Dehuz gardera cette appellation : « Le Soleil » jusqu’à son changement d’emplacement dû à la prolongation de la rue.
1 - La passion de Gustave : Les courses à vélo, on le voit ici à droite.. 2 - Les trois finalistes : Gaston Willaime, Gustave Bouhours et Alexandre Charlemandrier lors du prix cycliste de Charleville en 1925.
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