Guy CANON
(Articles parus dans "La Boucle" sous le n° 46 et 47)
La place de l'hôtel de ville de Mézières est noire de monde, malgré une pluie fine qui ne cesse de tomber. Une foule compacte assiste silencieuse à une cérémonie militaire à l'issue de l'inauguration du Mémorial de BERTHAUCOURT. Deux compagnies du 43° Régiment d'infanterie, rendent les honneurs. Ce régiment issu de la résistance porte fièrement l'écusson "Rhin et Danube", son insigne est le lion des flandres. Il se partage les garnisons de Soissons, Amiens et Mézières. Le général RIVAUT et monsieur ERNST, préfet des Ardennes, procèdent à une remise de décorations aux nombreux récipiendaires, présent parmi eux, Guy Canon. Le Général épingle la croix de guerre à l'ordre du Corps d'Armée sur le veston de jeune homme, tout ému. Le texte de la citation est lu publiquement « Jeune maquisard plein de fougue, a organisé dès 1942 la résistance à l'oppresseur. A participé à de nombreux sabotages et coups de main au cours desquels il fit montre des plus belles qualités de courage et de décision. Le 25 août 1944 a joué un rôle de premier plan dans l'attaque de trente voitures ennemies à Le Fréty." Ce dimanche 1 er septembre 1946 est le jour d'une digne récompense pour les actes de résistance perpétrés quelque deux années plutôt par ce fringant jeune homme de 22 ans.
A Manchester, la salle polyvalente, rue de Warcq, porte son Nom. Les associations du quartier se souviennent du Président de la Société des Loisirs Populaires qui avait œuvré pour rassembler en un Comité Inter-associatif les diverses Associations à caractère social du quartier. Il en sera tout naturellement le Président. C'est à ce titre qu'il est désigné pour accueillir, en juin 1991, le Président de la République lors de sa visite au centre social et dans les différentes rues du quartier de Manchester dont les ravalements de façades ont été entrepris pour rendre les immeubles plus présentables." Il savait dire ce que les gens n'arrivaient pas à formuler... il avait le discours du cœur... il avait l'art de mobiliser... il ne cherchait pas le pouvoir, il était à l'aise aussi bien avec les grands qu'avec les petits... il était libre..." (1)
Guy Canon félicité par Lebon, Député-Maire de Charleville-Mézières
Libre, a été son leitmotiv pour surmonter les épreuves des années de guerre et refuser de se soumettre à l'occupant et lui résister. Gustave Gobert dans son livre " l'Ardenne résistante" mentionne ce cours récit sans entrer dans le détail: " Allez à Brunehamel, un petit village de l'Aisne, à la frontière des Ardennes et qui était le secteur de Signy-l' Abbaye; c'était un des centres les plus actifs du coin. Un jour, la gestapo vient arrêter dix hommes de 50 à 60 ans; trois sont morts... Le lendemain de leur arrestation, ils étaient remplacés par dix jeunes gens qui continuèrent la lutte avec le même acharnement" L'histoire n'a retenu qu'une brève information et pourtant ce petit bourg mérite que l'on si attarde.
Une succession d'arrestations
Brunehamel, petit bourg de 600 âmes, arrosé par la Brune, coincé entre les deux villes des Ardennes et de l'Aisne, Rumigny et Rozoy-sur-Serre et distante de 6 km de la voie ferrée Charleville-Hirson qui passe plus au Nord et à 5 km de la voie Liart-Laon, plus au Sud. Il présente l'avantage d'être un centre rural bien vivant sur le plan commercial et activités artisanales, pourvu également d'une pharmacie et d'un cabinet médical. Cette commune, un peu à l'écart des mouvements de l'occupant, occupe une place importante dans la résistance. Les habitants ignorent ce que fait le voisin, mais participent à différentes actions qui se veulent complémentaires car bien organisées secrètement par des chefs expérimentés et discrets.
La famille Mennesson depuis 1940 se sont mis spontanément à la disposition des prisonniers français détenus dans les Ardennes pour les aider à quitter la zone interdite lors de leur évasion. Par cet acte de dévouement, elle est entrée peu à peu dans la résistance presque sans le savoir, conscient de servir une cause à laquelle elle adhéra. Vient le temps d'un contact pour la réalisation de fausses cartes d'identité, de l'hébergement de jeunes réfractaires au S.T.O. qu'il fallait conduire ensuite dans un lieu sûr. Puis à la fin de février 1944, c'est le tour de juifs d'Anvers évadés du camp de concentration des Mazures dans les Ardennes. Madame Mennesson, placée dans l'alimentation aidait la résistance en honorant les tickets "empruntés" dans les Mairies. Sous la direction d'Emile Fontaine, son chef (abattu le 30 mars 1944), elle fournissait des renseignements, hébergeait des maquisards traqués. Henri Mennesson, sa femme et leur fils Daniel (16 ans) s'associèrent à la recherche des prisonniers de guerre français et alliés, évadés d'Allemagne, leur fournissaient des fausses feuilles de démobilisation. C'est ensuite le tour des aviateurs américains abattus qu'il fallait rapatrier par une filière bien rodée.
Début mars 1944, à l'occasion d'un transfert, une trahison mit fin à l'organisation. Le lendemain, la gestapo de St Quentin vient arrêter les Mennesson ainsi que les deux frères de madame Mennesson et l'Américain cueilli encore à table à midi. Tout le monde est conduit à Hirson, puis le lendemain à St Quentin, sous le regard incrédule de la population qui s'était hasardée à se montrer. Séparés, interrogés et torturés pendant de nombreux jours, les résistants seront condamnés sans avoir lâché un renseignement compromettant. Le couple Mennesson et quatre autres arrêtés, dont Coppoi et Béguin, iront à Laon puis à Paris où ils sont condamner à la déportation. Leur fils Daniel qui a su jouer le rôle d'un idiot est libéré et prend le maquis. Lucien Sauvez, frère de madame Mennesson est fusillé à la prison de St Quentin. Henry Mennesson mourut de misère à Dachau-Allach le 28 janvier 1945, sa femme survit à Mauthausen et est libérée le 22 avril 1945. Elle retrouve Coppoi au bourg à son retour venu pour l'accueillir.(2).
Quelques jours après cette arrestation, un patriote est arrêté et donne les noms de sept de ses camarades lors d'une séance de torture qui n'a pu supporter. Une importante force armée se déploie dans le village et coupe toutes les issues. Elle est accompagné par des uniformes bleu-marine de la Milice. Monsieur Georgler, Maire de Brunehamel, Monsieur Vadez, monsieur Louis Chorlet, monsieur Louis Serre et monsieur Jean Lamy sont arrêtés et condamnés à la déportation. Lamy est le seul survivant. Les recherches se poursuivent à l'attention de monsieur Ernest Favereaux qui a pu leur échapper en se dissimulant dans une cache réaliser par ses soins dans sa maison.
Jeannine Serre (future épouse de Guy Canon) alors âgée de 15 ans évoque cette tragique journée de l'arrestation de son père. « 6 heures du matin, des bruits de véhicules et de précipitation de bottes dans la rue. Mon père à peine levé avait lâché dans un souffle « les v'là ! », Puis nous rassura rapidement. On frappe violemment à la porte et contre les volets qui s'ouvrent par effraction, les vitres se brisent et les boches sont dans la maison. Mon père est entraîné sans ménagement vers un camion non loin de la maison où attendent d'autres personnes. Ma mère, mon petit frère (13 ans) et moi, sous l'injonction d'un soldat, la mitraillette pointée sur nous, nous pousse dans l'angle opposé de la pièce. Le temps nous sembla interminable, la surveillance de l'homme en arme a durée jusqu'à midi. Je pouvais voir à travers la fenêtre, les mouvements des militaires dans la rue, ça gueulait de partout et courait aussi.
"Mon père, quoique discret sur ses activités clandestines, avait laissé planer le doute dans mon esprit. À l'occasion des visites nocturnes de monsieur Vadez, il nous ordonnait : "à prendre de la hauteur" sous entendu: "allez dans votre chambre au 1 er étage". J'avais eu le temps d'entendre l'invitation de Vadez : " c'est l'heure d'aller chercher les fagots" allusion aux parachutages dont tous deux avaient la responsabilité de la récupération , du transport et du camouflage des matériels et armes de guerre."
"Ma mère, en sa qualité d'épicière-mercière, marchande de couronnes mortuaires, et de préposée à la pompe à essence, après ce terrible événement reprit immédiatement du service, cette fois nous étions au courant. Monsieur Favereaux, le rescapé de la dernière arrestation, s'employa à conduire à Hirson ma mère, une matinée par semaine, pour le ravitaillement, à l'aide de notre vieille camionnette. Mon frère Paul et moi portions dans une lessiveuse les vivres, cachés sous une couche de linges, à madame Canon qui répartissait le lot aux maquisards dont son fils guy faisait parti." Cette action value, à madame Serre, la médaille de la Résistance.
Les Canon résistent
Extrait d'un article paru dans "La dépêche de l'Aisne" le 19 mai 1945 :
Les bons Français, monsieur Gaston Canon de Brunehamel. À l'âge de 63 ans, monsieur Gaston Canon, Maréchal-ferrant à Brunehamel, donne encore l'exemple à bien des jeunes.
Ardent patriote, il hait le boche et supporte mal son joug. Son grand âge ne lui permet pas des actions d'éclat, et c'est cependant faire acte de témérité que d'aller deux fois dans la même journée couper les fils téléphoniques qui reliaient le poste de commandement d'Aubanton aux batteries de Parfondeval. Préparer et semer des clous peut sembler bien peu de chose, pourtant ses clous paralysaient toute l'action de la Wehrmacht.
L'avant-veille de la Libération, Monsieur Canon imagina le moyen de crever les pneus de huit citernes qui devaient prendre du ravitaillement à Résigny. Ce geste eu une conséquence grave : les huit citernes durent s'en retourner sans emporter l'essence qu'elles avaient mission de ramener.
Le patriotisme semble être le culte de toute la famille de monsieur Canon, puisque ses deux fils, Guy et René, aux côté de leur camarade Mennesson [Daniel], prirent le maquis; guy l' aîné et Mennesson, poursuivent d'ailleurs la lutte dans les troupes du 67 ° RI.
Cet article ne mentionne pas l'action de madame Canon, qui, comme on l'a vu plus haut, ravitaillait les maquisards.
Un jeune plein de promesses
Grâce à l'aimable participation de monsieur Lallement, président de l'UAFFI, nous pouvons suivre le destin exceptionnel d'un des jeunes gens de Brunehamel qui n'avait pas 16 ans quand la deuxième guerre mondiale éclate.
Guy Canon ne supporte pas l'occupation allemande et l'humiliation du pays. A peine rentré de l'exode, il récupère les armes abandonnées après les brèves combats de 1940, çà et là dans les environs de son village. Il les remet en état, les cache sans trop savoir qu'elle en sera leur utilisation. Ces armes furent mises à la disposition des groupes FFI en 1943, alors qu'ils manquaient de moyens. En 1942, par l'intermédiaire de son cousin "Ovide Borgniet", il adhère spontanément à la Résistance des Ardennes. Il mène alors une vie de réfractaire sans qu'il puisse vivre au sein de sa famille pour ne pas la compromettre. Son père, un ancien combattant de 14/18 est maréchal-ferrant au village lui aussi est un patriote actif. (voir plus haut).
En avril 1944, à la suite des arrestations dans sa commune de résistants pratiquées par la police Allemande, le jeune Guy s'inquiète de savoir ce qu'il se passe et est également arrêté. Il réussit, néanmoins, à s'échapper et regagne le maquis. C'est là avec d'autres jeunes gens, qu'il avait constitué le 1er maquis du secteur de Rumigny dans les Ardennes, baptisé "Maquis baïonnette". Contacté par Georges - Henry Lallement, lui-même poursuivit par la Gestapo, il s'installe sur sa demande dans la forêt de Rumigny à proximité du terrain où a été promis à Lallement un parachutage d'armes et de munitions.
Conscient des difficultés pour ravitailler le groupe de maquisards, Guy se propose d'assumer l'intendance tout en se portant volontaire pour les actes de sabotage et de combat. Tâche ingrate que cette charge de ravitaillement quand la population n'a pas de quoi survivre. Connaissant parfaitement la région et ses habitants, il sait où frapper pour obtenir quelques subsistances. Cela demande de nombreux déplacements en zone d'insécurité, de jour comme de nuit, parfois pour peu de chose. Alors inlassablement il poursuit sa quête jusqu'au résultat probant, prenant sur son temps de repos. Il s'enquiert de l'état d'esprit des villageois, des fermiers et des mouvements de troupe d’occupation qui seront nombreux et agressifs.
Après le débarquement des alliés en Normandie, les Ardennes sont un nœud de points de passages obligés pour les renforts allemands. Outre les voies routières, ce sont surtout les voies ferrées qui sont les plus utilisées. Dans le secteur de Rumigny, La ligne Charleville- Liart assure de fréquents passages de convoi, qu'il faut freiner, voire neutraliser avec de modestes moyens. Toujours volontaire quand l'action appelle des hommes, "PIMPIN", nom de guerre au maquis, se signale par de fréquents sabotages sur les lignes téléphoniques allemandes et sur les voies ferrées.
Récupération d'un uniforme allemand, au bras le brassard de FFI, Guy Canon tient en main une Sten.
Il ne manque pas de sang froid et le prouve à maintes reprises. Le 25 août 1944, placé en sentinelle et armé d'un simple mousqueton, il n'hésite pas à tirer sur une voiture "tous terrains" ennemie, afin de signaler au groupe, l'arrivée d'un convoi. Se trouvant au pied d'un talus, Guy le gravit sous les rafales d'un fusil-mitrailleur allemand. En haut de ce talus, une clôture en fil barbelé, il faut se redresser pour la franchir. C'est à ce moment précis que le fusil-mitrailleur s'enraye et il peut alors rejoindre ses camarades qu'il avait avertis en risquant sa vie. Beaucoup plus tard en septembre, Pimpin participe à l'attaque d'un convoi allemand à "la terre des moines", attaque qui fait faire demi-tour à l'ennemi, le livrant à l'armée américaine qui l'attendait.
Patriote dans l'âme, Guy Canon aurait pu cesser le combat à la libération à l'instar de certains compagnons. La mission pour lui n'est pas terminée, il poursuit l'ennemie en aidant les Américains. Avec eux, il participe à la libération de son village avec enthousiasme, puis à la demande du commandant américain au nettoyage de Rumigny d’une résistance opiniâtre ennemie.
La libération du Département des Ardennes acquise, il s'engage à la caserne Dumerbion à Mézières au 91 ° RI.FFI. pour la durée de la guerre. Puis avec le 67° Régiment d'Infanterie, il se bat sur la côte de l'Atlantique où les Allemands résistent toujours dans des "poches" qu'ils ont fortifiées et qu'ils libéreront trois jours après la victoire du 8 mai 1945 sur l'Allemagne. Le journal « l'Ardennais » du 23 octobre 1944 résume la situation : " L'ennemi se cramponne désespérément aux côtes de la Moselle, 40.000 allemands sont amassés entre Lorient et St-Nazaire. Les Alliés ont bien autre chose à faire que de dépouiller les forêts de France. Ce sont les FFI, qui se chargent de cette tâche ingrate et dangereuse." C'est enfin là qu'il savourera la victoire et sera démobilisé le 12 décembre 1945.
Poche de St Nazaire : Guy Canon (debout à droite). A St Nazaire les Allemands capitulent.
Guy Canon épousera le 30 août 1948 Jeannine Serre, ils se retireront à la rue de Warcq à Manchester tout à côté d'Andréa Serre qui a racheté la maison de Monsieur Fautras, l'ancien employé de l'Octroi de Manchester. En 1970, Guy recevra les insignes de chevalier dans l'Ordre National du Mérite des mains du Député-Maire André Lebon.
Le 4 juin 1994, Guy Canon trouva la mort, tant de fois côtoyée, dans un tragique accident de la route, près de Compiègne, alors qu'il se rendait avec des compagnons ardennais aux journées commémoratives du débarquement en Normandie.
(1) Manchester, Mémoires d'un quartier. Collection « Terres Ardennaises », Décembre 1998.
(0) Ma vie au bagne de H. Mennesson, Imprimerie R. Bruneteaux- 1949.)
Retour à : Les gens d'ici