La libération
Survol de mosquitos (photo du net)
Des mosquitos en piqué
Madame Ponsart mentionne dans son cahier : « Le printemps 44 passa. Nous voici en juin ; les choses changeaient et les Allemands devenaient plus méchants. Tout se raréfiait. On disait que les Américains avaient débarqué en Normandie. On n’osait y croire, il y avait tant de rumeurs et nous n’avions aucune information. Mais si c’était vrai, quel bonheur ! Est-ce que vraiment on allait être débarrassé de ces sales boches ? Néanmoins les événements nous rassuraient. Un mois plutôt déjà les Américains et les Anglais faisaient des incursions et bombardaient ici et là. Les mosquitos venaient en piqué et on devait se planquer dans les champs en cas d’alerte. Ils bombardèrent ainsi avec des forteresses volantes la scierie Notthegen, route de Prix. Couchés à terre, Marc et moi on la sentait bouger. Roger était parti avec les trois autres enfants beaucoup plus loin tremblant de tous leurs membres. Un autre bombardement a démoli la place de l’église à Mézières, le jour de la 1ère communion ; Bombardement loupé, car ils auraient voulu atteindre le dépôt de chemin de fer de Mohon ».
Par ailleurs, ces raids aériens alliés inquiétaient aussi les habitants du Faubourg de Pierre et de la rue St-Louis qui craignaient à tout moment un bombardement de leur quartier. Inquiétudes qui s’avéraient prémonitoires : le quartier fut largement haché menu, en particulier la compagnie de gendarmerie. L’immeuble où logeait Bougeard a été miraculeusement épargné. Les gendarmes ont du remplir leurs offices au 44, rue de Champagne (autrement dit : le bordel) en invitant ces dames à aller exercer leurs charmes au 16 de la Gravière à Charleville. Ils ont néanmoins pris soin d’ôter la lanterne rouge rappelant la destination du bâtiment afin d’éviter toute méprise. Monsieur Bougeard avait opté de loger chez sa sœur, rue Jules Raulin jusqu’à la libération. Un voisin de sa sœur lui a loué une chambre pour poursuivre son métier de tailleur. Il entrait en concurrence directe avec monsieur Tocut qui exerçait dans un baraquement de la rue Lécolier, en face de l’entrée de l’hôpital et plus proche encore avec monsieur Herté de la rue Jules Raulin. Allait-il rencontrer les mêmes difficultés, semblables à celles occasionnées par les deux tailleurs en place avant son installation rue St-Louis ? Ces messieurs avaient fort bien compris qu’un jeune avait aussi sa chance et que le partage du travail en ces temps difficiles était un devoir, surtout que Bougeard amenait sa clientèle de Mézières et il avait eu la délicatesse de faire partager le surcroît de travail.
Madame Ponsart de poursuivre :
« Circuler devenait dangereux, je n’avais plus de pommes de terre, la récolte de monsieur Bouillon était épuisée, plus de train, que faire ? Je pris le taureau par les cornes et je partis un matin l’aube, à pied avec ma remorque en direction de Bourcq. J’arrivai chez mes fermiers à la fin de l’après-midi, exténuée. Ils me donnèrent à manger et un lit sur lequel je m’endormis comme une souche. Cependant, monsieur Bouillon me remplit ma remorque avec une quarantaine de kg de patates, des œufs, du lard, un morceau de cochon, du lait. Trop tard pour reprendre la route de nuit et avec cette fatigue. »
Qu’ils ne tardent pas trop…
« Le lendemain à l’aube, je repris le chemin de la maison sans être en forme malgré la bonne nuit passée chez mes hôtes. Pour aller de Bourcq à Manchester, il faut compter 50 bons km. Mes jambes n’en pouvaient plus, une chaleur insupportable pesait lourd toute l’après-midi. Puis un orage ; mon Dieu, qu’il était le bienvenu ! Je me suis mise à l’abri dans une fontaine d’un village et j’attendis une éclaircie. Cela me reposa tant soit peu avant de reprendre la route. Mes pieds me faisaient si mal que j’ôtai mes sandales et me suis mise à marcher pieds nus dans les flaques d’eau pour les rafraîchir. Après des poses récupératrices, j’arrivai à la maison. Pendant plusieurs jours, je ne pus mettre un pied devant l’autre, les muscles de mes cuisses se refusant à fonctionner. Avec le contenu de ma remorque en provisions, nous pouvions attendre les Américains, à condition, bien sûr, qu’ils ne tardent pas trop. On était partagé entre l’espoir de les voir arriver et la crainte de les voir repoussés. A l’époque, j’étais avec Ginette, Claudine et Jean-Claude, Marc était toujours à Draize. Un matin, un jeune téléphoniste allemand qui démontait les lignes m’assura, quand je lui demandai pourquoi ils s’en allaient tous, que les Américains étaient à Charleville et qu’ils seraient là le lendemain. »
Les chars arrivent
« Laissant les enfants à maman, je filai aussitôt à pied vers Saint-Laurent, espérant les voir ces libérateurs qu’on attendait depuis si longtemps. Je rencontrai tout d’abord au village, René Maréchal, notre voisin, avec fusil et brassard des F.F.I. (*), accompagné par d’autres jeunes Français qui rasaient les murs à la recherche de soldats ennemis, retardataires. On entendait toujours le canon sur Berthaucourt. »
(*) FFI : Forces françaises de l’Intérieur. Nom donné en février 1944 aux Forces militaires françaises issues de l’unification des différents militaires de la Résistance intérieure. Une partie des FFI fut ensuite intégrée en novembre dans la 1ère armée française commandée par de Lattre de Tassigny. (Dictionnaire historique de Dominique Vallaud, éditions Fayard.)
Promenade de Dûlmen, le blindé US est dans la rue d'Alsace. On voit à droite le pont Bayard brisé.
Pierre Boitelet (13 ans à l’époque) courait avec d’autres camarades d’une rue à l’autre pour ne rien rater des scènes de guerre et de l’arrivée des libérateurs. Ils assistèrent impuissants au grenadage par les Allemands des barques rassemblées pour la cause dans la boucle de Meuse entre l’hôpital et la ferme de la Warenne. Ces derniers s’en prirent ensuite aux différents ponts pour retarder l’avance américaine. Les gens de Manchester étaient donc enfermés dans leur île de St-Julien. En se cognant au pont Bayard détruit, les yeux grands ouverts pour ne rien perdre du combat acharné par les derniers résistants ennemis, les jeunes gens virent dans la rue d’Alsace, un char, à croix noire, abandonné par ses occupants. Des US le déchargeaient de son contenu de munitions qu’ils jetèrent à la Meuse. Les Allemands combattaient toujours en tirant des rafales de différents calibres depuis Berthaucourt. Les enfants, par jeu, évitèrent ces tirs en courant d’un obstacle à l’autre… Pendant ce temps, monsieur Bougeard confectionna un drapeau tricolore qu’il afficha à la fenêtre de sa sœur. Ce 4 septembre 44 était une belle journée ensoleillée.
Laissons le soin à madame Ponsart de décrire ses dernières impressions :
« Puis dans la soirée, les chars arrivèrent et s’arrêtèrent sur la place. Quelle euphorie ! Tout le monde faisait fête aux soldats, cela va sans dire. Libérés ! Nous étions libérés ! Nous ne verrions plus ces abominables fritz qui nous avaient tant fait souffrir. Nous allions pouvoir revivre comme avant 1940, du moins, on le croyait. En réalité, il fallut encore plusieurs mois, voire plus d’une année pour que la vie reprenne normalement. Nous n’étions plus envahis, nous étions enfin libres ! ».
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