Les bombardements aériens de mai 1944
Le 7 mai 1944 reste gravé dans la mémoire des Carolomacériens. 151 bombardiers américains reçoivent la mission de détruire les installations ferroviaires de Mohon. En repartant, les dernières escadrilles souhaitent bombarder une ancienne caserne française de Mézières, occupée alors par la Wehrmacht. Les chapelets de bombes ratent leur objectif et viennent s'écraser, notamment, sur le parvis de l'église de Mézières - devenue la basilique Notre-Dame-d'Espérance en 1946 - lors de la sortie de la cérémonie de communion solennelle. L'attaque, qui ne dure pas plus de dix minutes, fait une soixantaine de morts. Selon le rapport de l'US Air Force, les aviateurs ne se sont pas aperçus de leur erreur. ( L’express du 12.06.2008 )
Quatre ans après mai 1940, la ville de Mézières, déjà fortement éprouvée par les bombardements aériens de l'aviation allemande, devait à nouveau subir la même agression en mai 1944, mais cette fois par l'aviation alliée.
Dans le journal des délibérations du 18 juin 1944, le maire, docteur Bridoux, s'exprimait ainsi :
« Afin de porter secours aux habitants sinistrés, le Service des Réfugiés de la Préfecture aidé en cela par le Secours National a procédé d'urgence à l'installation d'un foyer dans le bâtiment scolaire de St-Julien. De son côté et par suite de la suppression du restaurant municipal du Square Bayard, la municipalité a créée une cantine, laquelle installée dans un baraquement inutilisable du quartier de Manchester et tenue par Madame Fourneyron, procède journellement à la préparation et à la distribution de nombreux repas gratuits au bénéfice exclusif des sinistrés totaux ou partiels démunis de ressource.
Bon nombre de nos concitoyens ayant cherché refuge dans le quartier de Manchester, je tiens à rendre hommage à l'esprit de solidarité de certains habitants de ce quartier qui ont spontanément offert le couvert à leurs concitoyens évacués" [...]
Le quartier s'étoffe d'une administration provisoire
Le docteur Bridoux poursuit :
" Les bombardements, les alertes réitérés et l'exode des populations ont rendues nécessaire le transfert des bureaux de la mairie vers un lieu non exposé et à portée des évacués, grâce à la complaisance de l'administration hospitalière, les dits services ont trouvé refuge à l'hôpital et ont fonctionné dès leur arrivée à la grande satisfaction des habitants [...] les bâtiments du Centre Intercommunal de Défense contre l'incendie (les pompiers) ayant soufferts du fait des bombardements, le Centre a été transféré, provisoirement dans les bâtiments de l'école primaire des filles de Manchester [...] Afin de donner satisfaction aux légitimes réclamations de la population, la Direction des postes à bien voulu consentir à l'installation d'un bureau secondaire, lequel a été aménagé dans un local de l'hôpital et fonctionne depuis le 20 juin "[...]
Décentralisation des services publics
Se faisant l'interprète d'un certain nombre de ses collègues, un conseiller municipal exprime:
" L'émotion ressentie par la population en apprenant le départ, du chef lieu du Département (Mézières), vers des Régions situées hors de l'agglomération d'une partie de la Préfecture ainsi que tous les services administratifs publics. Non seulement dit-il, ces services sont trop éloignés du centre pour pouvoir songer à s'y rendre sans perdre un temps précieux, mais ils sont en surplus, tellement dispersés qu'il est matériellement impossible d'y recourir, étant donné, surtout, l'absence totale de tout moyen de locomotion."
Bilan des bombardements aériens à Mézières des journées du 7 au 11 mai 1944 est le suivant :
[Rappelons qu'alors, Mézières ne comprenait pas les quartiers du theux et de Mohon.]
Victimes des bombardements 64;
Blessés hospitalisés 40;
Immeubles détruits 68;
Immeubles inhabitables environ 200;
Ménages sinistrés totaux 166;
Ménages sinistrés partiels 548.
L'erreur tragique du 7 mai 1944
Dès le début du mois de mai 1944 ( un mois avant le débarquement des troupes alliées en Normandie) les bombardements s'intensifient sur les nœuds ferroviaires de toute la moitié nord de la France. Leur but est d'enrayer les transport allemands d'hommes, de matériel et de munitions vers les côtes normandes et bretonnes.
De tous les aérodromes anglais, décollent, jour et nuit, des escadrilles de bombardiers lourds et de chasseurs à destination des usines, dépôts et des ponts d'Allemagne et de France. Ces avions se retrouvent dans le ciel, formant une véritable armada aérienne qui, par groupes d'une vingtaine, passent durant des heures, emplissant tout le ciel d'un ronronnement sourd et continu, interrompu de temps en temps par le sifflement aigu d'un avion de chasse qui plonge entre les escadrilles de quadrimoteurs.
Depuis la débâcle de 1940, des soldats français de toutes les armes ont rejoint le général de Gaulle en Angleterre, formant les Forces Françaises Libres. Entre autres des aviateurs ont été regroupés, ont suivi un entraînement spécial pour former des escadrons "travaillant" avec la Royal Air Force. C'est ainsi que l'adjudant aviateur mécanicien puis navigateur, Ernest SCHATZ, quitte le Sénégal tombé sous administration vichyssoise pro-allemande et rejoint Londres.
Généralement, les aviateurs français sont affectés à l'accomplissement de raids au-dessus de la France, mais lors des "BRIEFING", chacun d'eux peut refuser de participer à une mission pour un motif valable, par exemple, lorsque des membres de la famille habite dans la région visée.
Le 7 mai 1944, très tôt le matin, comme tous les jours, a lieu un "briefing" dans un bâtiment d'un aérodrome de la côte Est de l'Angleterre. Au cours de la présentation du plan de la mission du jour, l'adjudant SCHATZ apprend que le but du raid est un bombardement sur la région de Charleville-Mézières. Sa sœur étant propriétaire d'un petit magasin situé à Mohon, tout près de cette ville, il demande à ne pas exercer son rôle de navigateur-leader ce jour-là, ce qui lui est accordé, et il est remplacé par un collègue. Les paramètres de cap, de direction, d'altitude, les repères au sol sont calculés, désignés, tracés sur la carte, de façon à faciliter aux leaders, par l'intermédiaire de leurs appareils de visée, l'endroit où déclencher les lâchées de bombes de manière à obtenir une précision optimale sur les points d'impact. Parvenu au-dessus du secteur, le navigateur-leader indique aux différents bombardiers de son escadrille le moment précis du largage des bombes.
En ce qui concerne cette mission, l'altitude est de 8.000 mètres et le point de visée au sol, compte tenu de la parabole de la trajectoire de chute, est l'église de Charleville, permettant d'atteindre sur l'axe prévu, successivement la gare, les dépôts et ateliers S.N.C.F. de Charleville, Mohon, Villers-Semeuse, le croisement des lignes de Paris, Calais-Bâle et les ponts...
Le remplaçant de l'adjudant SCHATZ ne connaît pas cette agglomération et confond l'église de Charleville et la basilique de Mézières, cette dernière étant beaucoup plus visible vue du ciel, plus haute et bâtie sur un tertre plus élevé en altitude, bien qu'elle n'ait qu'une flèche et non pas deux clochers comme l'église. Bien sûr, SCHATZ, natif de cette ville, n'aurait pas commis cette confusion, cause de tous les méfaits qui vont se produire.
Cette erreur fausse, en effet, les calculs de visée calculés en Angleterre et dont les points d'impact au sol avec leurs distances respectives. En traçant une ligne droite partant de la Basilique et aboutissant aux derniers points de chute des dernières bombes larguées ce jour-là, on peut s'apercevoir qu'une parallèle, démarrant de la gare de Charleville surplombe les objectifs prévus lors du briefing.
Le 7 mai 1944, un dimanche, se trouvait être le jour de la "première communion" à Mézières, et les premières bombes tombèrent à l'heure de la sortie de la messe causant la mort de plus de cinquante civils, en blessant de nombreux autres malheureux.
Je dois ces précisions à la mémoire de Monsieur SCHATZ lui-même, qui m'a confié qu'il regrettait et regretterait toute sa vie son désistement, le seul de sa carrière, précisément ce jour fatidique du 7 mai 1944.
Jean-Pol Cordier, Président de la S.E.A.
(Article paru dans la revue littéraire et d'actualités n°8 "Au chant de la grive" de 1999).
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Suite : Témoignage ; les tombes bouleversées