Les premiers habitants du quartier
Roger Bertrand, né en 1911, résidait alors chez ses parents - Léon et Elvire - dans le canton de Château-Porcien. À l'issue de l'attaque française contre les troupes allemandes en 1917 à proximité de leur région, la famille Bertrand se réfugie sur ordre à Mézières toujours occupée par les Allemands. Elle sera hébergée quelques temps dans la Basilique et vivra en promiscuité avec d'autres malheureux. La ville leur propose un logement, rue Emile Zola, à l'octroi de Mohon. Au retour des évacués dès novembre 1918, les anciens locataires reprennent possession de leur ancien logement obligeant les Bertrand à déménager rue du Faubourg de Pierre. Cet appartement est en bien mauvais état suite aux bombardements causés par les Allemands dans la nuit du 10 au 11 novembre 1918. Ils se sont acharner sans raison sur la ville quelques heures avant l'Armistice. Les Bertrand connaîtront une situation plus que précaire à l'instar de nombreux réfugiés de retour qui reprendront leurs logements abîmés pour la plupart par ces destructions gratuites. Les sinistrés vivent dans des taudis dans des situations d'hygiènes déplorables. Alors on se résigne dans l'attente de la construction provisoire promise par le conseil municipal des 300 baraquements et autres réalisations en maçonnerie.
Il faut attendre septembre 1920 pour les Bertrant prennent possession de la nouvelle habitation en dur sise au coin d'un rue encore sans nom (Actuellement rue Rogissart et l’av. Pasteur). Cette maison est en cours de finition. Les fenêtres manquent et on s'éclaire à la lampe à pétrole. Que cela ne tienne, tout le monde est à la même enseigne et apprécie d'avoir enfin un toit, même si c'est à l'étroit pour une grande famille. On y accède par des bastaings car les marches manquent. La rue est un véritable bourbier par temps de pluie ou un nid à poussières par temps sec. Octobre arrive avec le froid et rien n'est fini, le chauffage fait encore défaut, alors on se blottit autour de l'unique cuisinière à bois qui sert principalement à la préparation des repas.
Un immense chantier
Les trois nouvelles rues s'ornent peu à peu de maisons en maçonnerie, adossées deux à deux en mitoyenneté; 36 immeubles comportant 76 logements, dont 68 de 4 pièces et 8 de 3 pièces. Elles sont comprises dans le quadrilatère formé des rues actuelles, Henri Bronnert, Jules Raulin et Rogissard, limité à l'Est par la rue Pasteur et à l'Ouest par la rue Robert Bruxelle. La construction débute en 1920 et la totalité est livrée au plus tard en 1923.
L'une des trois rues des 36 bâtiments en dur en 2008, dans son prolongement des baraquements ont vu le jour, remplacés en 1955 par les trois bloc HLM visibles sur la photo.
Pendant plus de deux ans, ce périmètre est un vaste chantier. Des tas de briques, de parpaings, un enchevêtrement de planches ou bastaings nécessaires aux divers échafaudages, des monticules de sables, de grèves etc... s'amoncellent devant les fondations et mangent ce qui va devenir la chaussée. Ce fatras a sa cohérence et toutes choses ont leur utilité. Les corps de métiers se succèdent avec plus au moins de rapidité en fonctions de la compétence de l'entreprise. Le recrutement se fait localement, beaucoup apprendront le métier sur le tas. Les murs dressés de divers matériaux s'harmonisent sous une couche d'enduits qui les rend semblables, ce qui ne manque pas d'allure. Chacun s'emploie à lui donner une touche personnelle en respectant l'aspect initial. On ne va pas au-delà par manque de finances et on apprécie surtout l'indépendance et le plaisir de jardiner à demeure.
Des crédits sont affectés à cet effet par le ministère des Régions libérées et non par les dons de la ville de Manchester, marraine de Mézières, comme la rumeur laisse entendre à tord, en effet, car le 1er versement des dons est effectué le 19 septembre 1922 alors qu'à cette date, 54 logements étaient déjà totalement construits à Manchester et pour beaucoup, habités. Le bénéfice des dons de la ville de Manchester en question assureront le fonctionnement de l'hôpital-hospice après sa construction et la réalisation des groupes de maisons en dur construites dans les années 1930 (rue Ribot, avenue de Manchester et Boulevard Bronnert Prolongé).
La loi "Loucheur" (1)
1 LOUCHEUR louis, homme politique français, Ministre du travail et de la prévoyance sociale (1926 à 1930), il fit voter, en 1928 la loi ci-dessus. La loi « Loucheur » demeure la formule la plus économique pour l’accession à la propriété. La Société anonyme de crédit immobilier des Ardennes existe depuis le 2 septembre 1912. Cette société a été créée pour distribuer des prêts à la construction instituée le 10 avril 1908 par la loi « RIBOT»2. Mais c’est surtout après la loi « Loucheur » de 1928 que cette société développe son activité.
2 RIBOT Alexandre, il fut quatre fois président du Conseil entre 1892 et 1917.
Les 36 immeubles en dur des rues d’alors : H. Bronnert, J. Raulin et A. France (Rogissard), grâce à la loi "Loucheur" de 1930, permettant aux locataires qui le souhaitent d'en devenir propriétaires, seront mis en vente. Antérieurement, le 22 mars 1924, la ville de Mézières qui s’en était rendu propriétaire, moyennant le prix d'acquisition de 888.000 francs disposait d’un parc immobilier ( 310 maisons constituées des baraquements et immeubles en dur) elle en assurait la gestion. Cependant elle doit faire face à de nombreuses dépenses (construction du nouvel hôtel de ville, hôtel des Postes et du Trésor, groupe scolaire de Manchester) elle envisage donc de vendre les 36 immeubles en dur comportant 76 logements en question. L'estimation se chiffre ainsi : à 30.000 francs pour un logement de 4 pièces, terrain compris et à 22.500 francs le logement de 3 pièces. Il est demandé aux acquéreurs un paiement comptant de 12.000 francs pour un 4 pièces et de 9.000 francs pour un 3 pièces, ce qui soulève une protestation de la part des plus démunis qui doivent libérer leur logement malgré la proposition faite aux occupants-acquéreurs de choisir leurs modes de paiement. Ce n’est pas forcément un renoncement consenti de la part de ces derniers, la modicité des salaires ne permet pas de formuler d’autres options. Ils quitteront le logement en souhaitant ardemment être d’heureux bénéficiaires d’une location d’un baraquement avec jardinet, au loyer plus modéré, ce qui adoucirait quelque peu leur amertume, Mais voilà, les demandes sont légion à l’égard des vacances.
fait suite : Baraquements