Antoinette Ponsard

Antoinette Ponsard narre sa drôle de guerre

La guerre est déclarée

« 3 septembre 1939. Je venais d’avoir 23 ans et j’attendais la naissance du 4ème du nom pour la fin du mois. L’annonce de la déclaration de guerre avec l’Allemagne m’avait plongée dans une terreur indicible, on m’avait tant parlé de la guerre 14-18 et de toutes les horreurs de l’occupation que je cherchais continuellement dans ma tête des solutions pour éviter ce cauchemar qui ne pouvait que se produire tôt ou tard, les Ardennes étant de tous temps, hélas, le passage rêvé pour l’envahisseur. Or, les premiers jours qui suivirent la déclaration, rien ne se produisit et mon angoisse diminua. Je résolus néanmoins de me rendre à la Trésorerie générale (j’étais en congé de couches) espérant que monsieur Deschamps, fondé de pouvoir, me reprendrait dès que possible, me garantissant éventuellement une évacuation avec tout le personnel. Il me reçut fort aimablement.

- Monsieur Deschamps, je voudrais reprendre le travail tout de suite. Il me répondit gentiment avec un sourire en examinant mon embonpoint : - Mais mon petit, il vous faut d’abord accoucher. Je vois, d’après votre état que ce doit être imminent ?

- Oui, Monsieur, c’est pour la fin du mois. - Bien, alors, dès que vous serez remise, vous viendrez me voir. Presque tous mes employés masculins ont rejoint l’armée, donc, je vous reprendrai, c’est promis. Je repartis un peu rassurée.

Ma belle-mère qui était toute seule à Gernelle, était venue habiter avec nous dès la déclaration de guerre. D’ailleurs, il faudrait qu’elle s’occupe des trois gosses quand j’accoucherai. Il y avait Ginette, 6 ans, Marc, 5 ans, Claudine, 16 mois. Roger [son mari] avait été rappelé comme réserviste, d’abord au Merbion [91° RI à Mézières], puis du côté de Nantes. Il était parti la mort dans l’âme, car il n’était pas militariste pour deux sous, moi non plus d’ailleurs. Jean-Claude m’arriva le 21 septembre. Aussitôt après l’envoi du bulletin de naissance à l’autorité militaire, Roger fut démobilisé. Il rentra donc à la maison et reprit son travail au dépôt de Mohon, tout heureux de ne plus être soldat. Moi, lors de l’accouchement, et toujours hantée par une évacuation possible, je demandai à Suzanne Gallet, ma sage-femme (nous avions été au collège ensemble) si je pouvais me lever rapidement - à cette époque les accouchées devaient rester au lit 9 jours – Oui, me dit-elle, tu peux, mais n’exagère pas, une paire d’heures par jour pour commencer, faire ta toilette et manger. Après quelques jours, tu pourras reprendre tes habitudes. Je fus bientôt sur pied et ma première sortie fut pour la Trésorerie. Le fondé de pouvoir me reprit de suite et le 9 octobre, j’étais au boulot.

Nous habitions en haut de la rue Bourbon et la Trésorerie était à côté de la passerelle qui va de la Place d’Alsace au square Bayard. Je faisais donc le trajet 4 fois par jour, de chez moi à la Trésorerie, mon petit breton marron, garni d’un ruban jaune sur la tête, et toujours en courant, car je nourrissais Jean-Claude au sein 4 fois par jour, ma belle-mère lui donnait le biberon entre-temps. Roger lui, faisait son trajet à vélo jusqu’au dépôt. La vie continuait donc comme si ce n’était pas la guerre. On n’avait d’ailleurs pas

beaucoup de nouvelles du front, qui était là-bas, au-delà de la ligne Maginot à la frontière d’Alsace-Lorraine. On travaillait, les gosses allaient à l’école, bref, tout était calme.

La rue Robert Bruxelle aboutissant dans la plaine de la Warenne, la maison d'Antoinette est celle à droite de l'image derrière les cent baraquements.

Le 24 décembre, nous déménagions. J’avais obtenu une petite maison (24, rue Robert Bruxelle, au n° 32 actuellement) par l’office HBM qui se composait de 4 pièces et d’un water, super luxe pour nous qui n’en n’avions jamais eu auparavant, et d’un jardinet. Nous sommes arrivés là le soir de Noël par un froid de canard, la maison n’avait évidemment pas de chauffage. Mais, bien heureux d’être là. Et la vie s’écoulait à Manchester tranquille. On aurait juré qu’il ne se passerait rien et que la guerre allait s’enliser et se terminer sans éclats et sans dégâts. Hélas, nous ne perdions rien pour attendre ! En avril, si j’ai bonne mémoire, mon frère Maurice, âgé à l’époque de 33 ans, mobilisé lui aussi comme réserviste au Merbion, vint à la maison pour me dire au revoir. Il partait pour on ne sait où dans l’après-midi même. Etant au travail, je ne le vis pas, mais à midi, ma belle-mère me raconta sa visite, et comme une folle je courus à la gare où un train devait paraît-il emporter tous ces hommes pour une destination inconnue. À la gare, il y avait effervescence. Quand j’y arrivai, le train était bourré de soldats qui causaient par les fenêtres avec leurs femmes, leurs parents, leurs enfants. Moi, je courais tout le long de la voie, répétant sans cesse, le nom de mon frère. Enfin, il descendit, me prit dans ses bras et me serra comme s’il ne devait jamais me revoir. Moi, je pleurais à gros sanglots, lui aussi, sans dire un mot. Il faut dire que nous nous aimions beaucoup Maurice et moi : j’étais la dernière enfant de la famille, il m’avait bien gâtée. Tous les soldats, nous voyant, crurent sans doute que j’étais sa femme et nous sifflèrent gentiment. Le train démarra et Maurice y remonta précipitamment, me laissant sur le quai avec mes larmes. Quel déchirement ! Où me l’emmenait-on mon pauvre grand frère ? Au front ? À la mort ? Qui sait ! Est-ce que je ne le reverrai jamais ? Oui je devais le revoir, mais 5 ans plus tard avec tous les prisonniers, à cette heure, je ne le savais pas.

À présent que la caserne s’était vidée de ses soldats, on commença à avoir sérieusement peur. Quelquefois, on entendait au loin, très loin, vers l’Est, des roulements de tonnerre. Il fallut bien se rendre à l’évidence, c’était le canon, alors la guerre était toujours là. Très patriote à l’époque, je me persuadais que les boches ne passeraient pas la Meuse. Hélas, non seulement, ils passèrent la Meuse, mais aussi la Seine, la Loire et envahirent toute notre pauvre France. Quelle déception, quel désespoir et aussi quel gâchis ! Or la vie continuait, sensiblement la même. On ne savait que penser, mais on essayait de se persuader que tout cela allait se terminer en beauté par un traité quelconque.

Le 12 mai, ce fut la catastrophe. C’était un dimanche, il faisait un soleil radieux, un ciel lumineux, une vraie journée de printemps ou plutôt d’été, car dès le matin, il faisait chaud. Je m’étais levée vers 7 heures et venais de faire le café pour le petit déjeuner quand j’entendis du remue-ménage dans la rue. Je sortis et vis un attroupement près du poteau électrique qui se trouvait à dix mètres de là.

- Monsieur, qu’est-ce qui se passe ?

Je m’approchais, la mort dans l’âme, et là, atterrée, je lus l’affiche, sans doute posée à l’aube de ce jour maudit, par la municipalité. Ordre avait été donné à la population de quitter immédiatement le département et de rejoindre la Vendée, département d’accueil.

Mai 1940