La paroisse et les desservants
Sur le plan religieux, le quartier de Manchester fut rattaché à Mézières de 1920 à 1938. Monsieur l’abbé Lavoine, curé de Montcy, fut le dernier vicaire en date chargé de Manchester. Les fidèles se rendaient à l’église Notre-Dame (Basilique), à Mézières, pour les baptêmes, les catéchismes, la messe du dimanche, etc…
En 1938 monsieur l’Abbé Roger GILLET, nouveau curé de Warcq, fut nommé desservant de la paroisse de Manchester, à la demande de monsieur le Chanoine BREMONT, archiprêtre de Mézières.
Le baraquement et son annexe qui le prolonge sert de presbytère et de salle de réunion et accessoirement de cinéma. (Ici, une équipe de minimes de basket pose sur le terrain au bord de la route de Warcq.)
Dès juillet 1938, monsieur l’Abbé GILLET vint habiter près du pont de Warcq, dans un baraquement. Il fit construire immédiatement une salle paroissiale attenante au nouveau presbytère qui servira d’église provisoire et de salle de catéchisme.
Cet emplacement restait malgré tout loin du centre. Aussi, la construction d’une chapelle sur un terrain acheté à l’intersection de la route de Warcq et la rue Robert Bruxelle fut rapidement décidée. (terrain acheté à Henry Juvigny)
Commencé en mai 1939, le gros-œuvre de la nouvelle église « Saint Jean Bosco » sera terminé en septembre 1939 juste avant la dernière guerre. Selon madame Hénon le toit sera monté en mai 1940, antérieurement on y ajouta à l’infrastructure une travée supplémentaire grâce aux dons d’un industriel de Revin.
L’église fut inaugurée et bénie par l’archevêque de Reims, Monseigneur Louis MARMOTTIN, le 20 septembre 1942 et la paroisse « St Jean Bosco » officiellement érigée le 22 février 1943, date à laquelle on circonscrivit la limite paroissiale à la rue de la Haillette et au pont de Warcq. Cette paroisse obtint le privilège de paroisse inamovible, privilège accordé à un petit nombre de paroisse du diocèse, ce qui donne une stabilité plus grande à la paroisse et à son curé.
Monsieur le maire de Mézières donne lecture au Conseil de la lettre émanant de monsieur l’abbé Gillet, Curé du quartier de Manchester.
« J’ai l’honneur de vous faire connaître que l’église de Manchester pour la construction de laquelle la Ville de Mézières vota à deux reprises une subvention de 1.000 fr sera bénite le dimanche 20 septembre 1942 à dix heures du matin.
Monsieur l’archevêque procédera en personne à la cérémonie, et je voudrais me permettre monsieur le maire de vous inviter ainsi que ces messieurs du Conseil. La bienveillance même avec laquelle vous vous êtes penchés sur notre cas à l’heure où nous sollicitions votre générosité m’autorise aujourd’hui à vous faire partager notre joie. »
La nouvelle église n’a, en vérité, que les proportions d’une chapelle, à la différence de celle de la Houillère terminée quelques années plus tôt. Il ne pourrait en être autrement, car elle a été réalisée surtout avec les moyens du bord qui étaient limités. Cette nouvelle paroisse est désormais à peu près livrée à elle-même. Les bambins de l’époque racontent avec fierté qu’ils ont aussi participé à la construction de cette église en donnant un coup de main aux habitants-constructeurs-bénévoles..
L’Abbé Gillet est né à sedan, le 20 septembre 1900. Ordonné prêtre le 6 juin 1925. Il est nommé aussitôt à Ste Geneviève. Il y restera 10 ans.
En 1935 , il est nommé curé de Fraillicourt, puis de Fagnon . En 1938 il est curé de Warcq et de Manchester.
Un prête qui l’a bien connu a confié quelques souvenirs à l’Archevêque Ménager chargé de son parcours à l’occasion de ses obsèques en 1985.
« Dans les années 45, l’abbé Gillet était à Manchester, quartier pauvre de Mézières. Il avait 45 ans, la force de l’âge. C’est lui qui a construit dans ce coin déshérité l’église St Jean Bosco et ses locaux. Il quêtait partout pour financer ces travaux. Il vivait en plein quartier populaire, très proche des gens. C’était l’époque où l’on pensait qu’en construisant une église, les gens du quartier retrouveraient la route de la pratique religieuse. Les perspectives d’annonce missionnaire de l’Evangile en pleine vie n’avaient pas encore fait leur chemin. Quoi qu'il en soit, cette œuvre demeure et l’église de Manchester aura accueilli bien du monde ».
L'Abbé Gillet donnant la communion
Le travail d’évangélisation s’effectuait dans un quartier encore peu garni. Il y avait les trois rues en dur et les trois allées avec la rue Lécolier en bois. Il y avait aussi la commune de Warcq dont il avait la charge, guère plus riche que le nouveau quartier de Manchester. Autrement dit ce n’est pas sur ces terrains-là qu’il devait chercher les fonds pour la réalisation de son œuvre. D’autant que les Warcquins voyaient d’un mauvais œil ces voisins venus d’ailleurs dont seule la Meuse les séparait comme une frontière. Cela fut le mérite de son sacerdoce d’avoir créé l’édifice avec le résultat que l’on connaît. L’église sans cloches pour l’appel des fidèles, il les suppléa par une sirène double, qui au moyen d’un tourne disque diffusait le son des cloches dans ses différences sonorités en fonction des cérémonies. Au début c’était une imitation remarquable, puis au fur et à mesure de l’emploi du disque, cela faisait jaser. Qu’importe ! la nef était comble de paroissiens quel que fut le degré de la foi.
Le jeune Boitelet, qui préparait sa communion, se souvient le l’abbé Gillet comme d’un homme assez froid et rigide mais ouvert pour s’investir à la formation des jeunes. Il avait créé le patronage qui, tous les jeudis, occupait la jeunesse en des jeux de foot et de basket, (Un club existait alors baptisé : « l’Athlétic-Club de Warcq et de Manchester » mais aussi en des marches-découvertes :
« Nous sommes allés, filles et garçons, à Moncornet-en-Ardennes, aller et retour à pied, dans la même journée. Ce fut éreintant, mais ô combien instructif, car il ne manquait pas de nous distraire en chemin en nous faisant découvrir la beauté des sites traversés, la dureté des travaux des champs, la misère des besogneux dans leur village. Les mille et une vies de la faune dans les halliers, etc…Nous allons parfois voir une séance de cinéma jusqu’à La Neuville-les-This, dans une grange, que nous partagions avec les jeunes de la paroisse d’accueil. Nous avions aussi nos séances projetées, fort enviées par les plus anciens qui avaient quitté l’institution. Vint le grand jour de la communion. On nous rassembla dans l’avenue Pasteur , les communiants d’abord et les familles ensuite. Puis, curé en tête, le défilé prit forme et les chants s’entonnèrent. A pas lents, le cortège entama la route de Warcq jusqu’au parvis de la petite église qui avait du mal à contenir tout ce beau monde endimanché. C’était un grand jour où nous étions des petits saints, vénérés de tous et comblés de cadeaux. Un grand repas avait l’avantage de réunir toute la famille. Le petit costume acheté pour la circonstance servira encore longtemps les dimanches et jour de fête jusqu’à tant que les manches laissent apparaître les petits avant-bras dénudés ou encore les chaussettes en tire-bouchon. Le plus jeune frère, qui n’avait pas encore fait sa profession de foi, héritait du costume».
Un anonyme à peine plus âgé, témoigne sur ses souvenirs à propos de l’abbé Gillet :
« Ce n’était pas un tendre, mais comment lui en vouloir, quand une bande de jeunes investissaient l’église encore en chantier en la prenant comme terrain de jeux. Le curé apparaissait subitement et distribuait à tout va des paires de gifles à tuer un bœuf. Après tout c’était son œuvre et il avait assez peiné pour cela. Fallait voir s’activer à la recherche de dons et de s’investir auprès de la population peu coopérative au début. Mais il y avait des gosses à sauver de l’ignorance et à leur inculquer une morale, ne serait-ce que religieuse. Il savait qu’en attirant les enfants à lui, il verrait venir timidement les mères presque à l’insu des pères très réfractaires, plutôt communisants. J’ai fait ma communion comme tout le monde malgré l’interdit du père, ma mère c’était beaucoup battue pour cela. Alors par dépit, il laissait faire tout en maugréant sur la réputation qu’elle lui causait.
L'abbé Gillet et les enfants Leclère
Avec les grandes personnes, l’abbé avait une attitude très courtoise, très décalée pour le quartier. C’était à grands coups de chapeau qu’il les saluait à s’en tordre le bras. On le voyait partout pour marquer sa présence. Sa soutane noire, à une rangée de boutons incalculables, tranchait sur les blouses bigarrées de la jeunesse et des ménagères. Les hommes riaient sous cape car ils le craignaient. L’invective restait entre eux. A part quelques hardis, pour ne pas dire inconscients, qui osaient persifler. Il leur faisait face et leur accordait son plus beau sourire.
-T’as vu, j’l’a eu el curé ! C’était dit comme une victoire à son entourage qui jugeait la situation tout autrement et n’osait le lui dire. Car une grande gueule, n’a pas forcément d’oreilles ».
Et d’ajouter cette autre anecdote :
« La distance du presbytère (rue de Warcq, Ets Jacquot) et des deux églises (Warcq et Manchester), dont il avait la charge, ainsi que la tournée des paroissiens, l’avaient décidé à acquérir un vélomoteur (chose rare à l’époque). La scène ne manquait pas de grandeur. Homme de belle prestance, d’allure altière, la soutane au vent flottant comme un drapeau, il saluait chapeau bas tous les paroissiens rencontrés. Comment faisait-il pour ne pas chuter ou perdre son couvre chef au large bord par la vitesse du cyclomoteur ? En tout cas, il était dur à la tâche, car le travail d’évangélisation d’un quartier populaire lui demandait beaucoup de temps et d’abnégation. Il y avait les rétifs, comme mon père, qui ne voulait pas entendre parler de curé. J’ai été baptisé et j’ai fait la solennel contre son gré grâce à l’acharnement de ma mère qui disait que les gosses n’ont pas à suivre le mauvais exemple. Si tôt la communion faite, nous nous sommes empressés de suivre l’exemple.
Après la communion, mon père reprit la situation en main. Plus question de fréquenter le curé, il appuya ses propos en regardant sa femme comme pour lui signifier qu’il en était de même pour elle. Elle concluait d’un haussement des épaules. Ce qu’il ne savait pas c’est qu’il privait son fils des manifestations le plus souvent gratuites qu’offrait le prêtre à toute la jeunesse. Il me créa de ce fait un isolement pesant, mais son honneur était sauf. »
Bulletin paroissial
En 1948 monsieur l’abbé Gillet créa le bulletin Paroissial « LES DEUX RIVES ». Dans sa présentation il s’exprime ainsi :« C’est sous ce titre que sera diffusé désormais l’imprimé qui tint lieu jusqu’alors de Bulletin paroissial.
Les deux rives dont il s’agit sont évidemment celles de la Meuse où, sur l’autre, s’étend MANCHESTER, sur l’autre, WARCQ. C’est donc tout à fait « couleur locale ».
Le dessin de la couverture fut réalisé par un des meilleurs « crayons » du Bd. Bronnert qui compte, chacun le sait, plus d’un artiste. [Jacky Mennesson]
Le bon accueil ménagé à nos précédentes et modestes feuilles volantes est toute la raison de ce pas en avant à la fois dans la présentation et la diffusion.
Et si « Les deux Rives » font, un jour, quelque bien, elles auront atteint leur but ».
C’est un modeste bulletin de deux feuilles 21X27 pliées en deux est imprimé par P. Anciaux à Charleville. Le premier numéro est daté de novembre 1948.
Un an plus tard son successeur, l’abbé Favréaux, dans un supplément d’Avril 1950, s’exprimait alors :
« Il y a un an, paraissait, sous cette forme nouvelle, [2 feuilles 42X27 pliées en deux] avec l’arrivée de votre nouveau curé, le journal paroissial LES DEUX RIVES.
Pour qu’il puisse apporter dans tous les foyers sans exception, chrétiens ou non, les échos de la vie paroissiale, et serve de contact entre les paroissiens et leur curé, ce journal a été distribué partout gratuitement. Les dames qui le portent à domicile avaient la consigne de ne jamais accepter la moindre offrande pour le journal.
Il semblait préférable de demander l’abonnement (facultatif d’ailleurs pour ceux qui ne peuvent le payer) une fois l’année écoulée.
De partout, on nous dit que le journal plait, et les quelques rares critiques, parfois très violentes, prouvent que certains articles portent.
Les frais d’impression sont, on peut le supposer, fort élevés, surtout pour certains numéros particulièrement soignés, comme celui de la colonie.
La comptabilité serait à jour si la plupart des familles qui sont heureuses de lire LES DEUX RIVES versaient le prix de revient exact de tous les numéros parus ;soit 120 francs pour l’année écoulée. Certains donneront moins, même beaucoup moins ; certains donneront plus, même beaucoup plus. Cela compensera.
Vous pourrez remettre votre abonnement aux dames qui vous porteront le prochain numéro de Mai.
Pour les 650 abonnés extérieurs, nous glissons une formule de chèque, indistinctement à tous. Ceux qui ont déjà versé leur abonnement ou qui reçoivent LES DEUX RIVES au titre de l’amitié, voudront bien nous en excuser.
Et à tous, nous disons merci !
G.FAVREAUX,
Pont de Warcq, Mézières
CCP Châlons 60-83 »
En 1949, monsieur l’Abbé GILLET, nommé curé de Vireux-Molhain, est remplacé à Warcq et Manchester par l’Abbé FAVREAUX. Entre-temps, le Chanoine CHRISTIN assure l’intérim pour que le service ne soit pas interrompu. Le quartier est en train de franchir une nouvelle étape avec la construction d’immeuble HLM. Le chanoine, bien connu des Macériens, mérite que l’on si arrête un peu, même s’il ne fut pas desservant de la paroisse des Deux Rives. Aumônier de l’hôpital civil et militaire dès 1922 à la mort de l’abbé Breïer il apporta une aide précieuse à la paroisse de Mézières et se fit aimer par sa simplicité et son dévouement auprès des âmes qui souffrent. Le 22 septembre 1900, un jeune séminariste de 23 ans, d’originaire sedanaise, recevait l’ordination sacerdotale. Il fut nommé vicaire à Saint-Jacques, paroisse importante de Reims, au centre de la cité, puis à la petite cure de Chesnay dans la Marne. Sa santé rétablie, il fut nommé, en 1912, aumônier des Religieuses de l’Espérance, qui dirigeaient alors, une pension de famille pour dames âgées, rue Colette à Mézières. Il assuma la direction d’un cercle militaire pour les soldats de la garnison en leur apportant : cigarettes et beignets. « Quoi d’étonnant qu’il ait été la coqueluche du régiment. »
« La guerre de 1914 aviva un instant sa flamme guerrière et il songea à mettre sac à dos pour suivre ses soldats. Mais ses supérieurs ecclésiastiques lui firent comprendre que son premier devoir était de ne pas priver de sa présence la paroisse dont un vicaire était mobilisé. Pourtant sa charité bousculait souvent les barrières imposées par la prudence, surtout quand il s’agissait d’aider des prisonniers français à rejoindre leur famille par dessus les tranchées : après la victoire de la Marne, il fut arrêté à Stenay par les Allemands et emmené en captivité à Ingolstadt. Il y demeura jusqu’en janvier 1916. De retour à Mézières, il reprit sa place aux côté du vénérable Archiprêtre, monsieur le Chanoine Lejay. Il se remit avec une ardeur accrue à cet apostolat paroissial par la bonté qui l’a rendu si populaire. »
Des Macériens témoignèrent des scènes audacieuses de leur abbé tenant tête aux officiers allemands dont ses arguments les marquaient fortement. Eux, les occupants pourtant peu amènes et peu souples à la controverse cédèrent à contrecœur à ses suppliques. Il n’en tirait nulle vanité, mais seulement la satisfaction d’avoir rendu un dû à ses paroissiens.
L’abbé Gillet après avoir été curé d’Attigny, de Ste Jeanne d’Arc de Reims, Chanoine honoraire, il est enfin curé de Fond de Givonne en 1966. il devra y finir son ministère après 18 ans de service généreux et inlassable selon l’Archevêque J.Menager lors ses obsèques en 1985. Et de se souvenir des visites qu’il lui a rendues à Fond de Givonne : « Il vivait dans la plus grande simplicité et pauvreté évangélique. Il ne voulait pas encore quitter sa paroisse tant il tenait aux catéchisme des petits enfants.[…] La bonté du chanoine GILLET était légendaire. Il aimait éveiller à la foi l’âme des tout-petits. Il se réjouissait de leur candeur et de leur ferveur. Il était toujours en soutane et traversait à bicyclette la ville de Sedan. Sa figure légendaire bravait le cours du temps. Sa gentillesse, sa modestie, sa simplicité, sa pauvreté même étaient signes de l’accueil et de la bonté de Dieu. Il voulait être disponible à tous. Certains jeunes en ont abusé en cambriolant son presbytère et en le frappant. Agressé sauvagement une nuit de samedi à dimanche, il officiait le lendemain matin, un bandeau sur la tête, avec ferveur et dignité. Il pardonnait toujours et il refusa de porter plainte contre ses voleurs… »