Témoignages sur la tragédie du 7 mai 1944
1- le parvis de la Basilique. 2- L'école de filles. 3- Quai de la Tour du Roy, Promenade des remparts et les maisons jouxtant les écoles. Au fond à gauche on aperçoit le toit du lycée Monge intact.
Mai 1944. Le débarquement se prépare, non seulement en Angleterre mais aussi en France, où les alliés s'efforce d'affaiblir, avec des résultats inégaux, les capacités de riposte des forces allemandes. Mézières allait, une nouvelle fois, payer un lourd tribut.
Un bombardement aérien anglo-américain mal ajusté atteint la Place de la Basilique à Mézières et occasionne un effroyable carnage parmi les paroissiens qui se trouvaient sur le parvis de l'église ou sur la place, à la fin de la cérémonie religieuse destinée aux communiants. Ce bombardement fut le premier d'une longue série qui durera jusqu'au 11 mai. Ces raids, qui n'avaient d'autres buts que d'affaiblir ou de neutraliser les forces allemandes présentes dans le département, feront 64 victimes civiles et 40 blessés hospitalisés, détruiront dans la partie centrale de Mézières, 68 logements et en rendront 200 autres inhabitables. L'école primaire de filles de la place de la Basilique a totalement disparue, c'est la troisième fois que cela se produit pour elle ( Décembre 1970, novembre 1918).
L'aide aux sinistrés
Très vite, un service aux réfugiés a été mis sur pied, avec le concours du Secours National, dans un baraquement scolaire de St Julien. La municipalité a créé une cantine provisoire, gérée par les soins de madame Tourneyron, dans un baraquement inutilisé du quartier de Manchester. elle procéda journellement à la préparation et à la distribution de nombreux repas au bénéfice exclusif des sinistrés totaux ou partiels démunis de ressources. Parmi les 166 ménages sinistrés totaux et les 548 sinistrés partiels, un bon nombre se sont réfugiés à Manchester. Pour leur esprit de solidarité, le docteur Bridoux, maire, a rendu un hommage aux habitants qui ont spontanément offert le couvert à leurs concitoyens évacués. Les logements disponibles ont été réquisitionnés pour reloger ces malheureux. Les villes environnantes ont aussi prêté leur concours. Une partie des services de la ville ainsi qu'un Bureau postal secondaire ont trouvé refuge dans l'hôpital pour être au plus près de la population évacuée. L'école primaire de filles, Boulevard Bronnert a accueilli le Centre Intercommunal de Défense contre l'Incendie car une grande partie de ses bâtiments avait souffert du bombardement.
Un témoin raconte
Marie-Amélie, alias Lili, dès la sortie de la Basilique, s'installe dans le cabriolet conduit par son beau-père pour se rendre à Bois Fortant, lieu du banquet donné en l'honneur de sa fille communiante. Dans la voiture attelée, Lili retrouve sa belle-sœur, Germaine Maillot et son jeune beau-frère âgé de 15 ans. Son mari, Ernest Klein, son frère, Gaston Maillot, époux de Germaine, accompagnés d'un ami commun, Serge, ont préféré gagner le lieu du banquet à pied, par la rue Monge, afin de profiter pleinement de cette belle matinée ensoleillée.
La voiture s'ébranle, quittant la place de la Basilique et s'apprête à négocier un virage à gauche pour emprunter la rue des Remparts. Soudain, une succession de fracas assourdissants éclate, accompagnée d'un violent déplacement d'air qui propulse la voiture vers le petit pont de St Julien. Le cheval, pris de panique, fonce droit devant lui dans l'avenue de St Julien. Lili, instinctivement, jette un regard rapide par la lunette arrière de la bâche. Elle voit un immense nuage opaque, mélange de poussières et de fumées. Toute son attention se fixe ensuite sur le danger présent. Il faut la force conjuguée des deux hommes pour maîtriser le cheval. Machinalement, ils gagent la rue Lécolier à Manchester où résident les parents de Lili. La rue est pleine de monde, gens incrédules et inquiets quant à ces bombardements aériens qui se déroulent si près d'eux. Monsieur Klein se leste de ses passagers pour prendre le chemin inverse, espérant retrouver les trois hommes restés sur place.
Dramatique nouvelle
Seul son fils Ernest revint avec lui. Encore sous le choc, pressé de questions par toute la famille, le mari de Lili narra succinctement le drame qu'il venait de vivre. Les trois hommes n'avaient par eu le temps de quitter le parvis de la Basilique. Ils étaient au cœur du bombardement. Gaston Maillot, projeté à quelques mètres par le souffle d'une explosion était mort sur place, un éclat dans l'aine, l'artère fémorale ouverte. Serge, de St Julien, blessé à la jambe, avait été transporté à dos d'homme par Ernest à son domicile proche. Ernest, quant à lui, devait probablement son salut à l'un des contreforts de l'église servant de bouclier aux innombrables projections de toutes sortes.
c'était la confusion la plus totale, blessés et valides errant en tous sens, complètement assourdis et hébétés. Les bâtiments de part et d'autre de la place étaient en partie détruits et en flammes. L'air irrespirable était chargé d'une forte odeur de poudre et de fumée. Les secours arrivèrent très vite, y compris les soldats allemands logeant dans le lycée Monge qui prêtèrent leur concours et évacuèrent les victimes vers l'hôpital de Manchester.
Lili n'avait pas seulement perdu son frère dans cette triste journée. Madame Von Hatten, son ancienne institutrice, avait trouvé la mort sous les décombres de son pavillon, à proximité de la caserne des pompiers, elle-même partiellement détruite. L'école primaire de filles de la Place de la Basilique où elle professait avait totalement disparu sous les coups des bombes. Le docteur Rossignol ainsi que sa famille figurait également parmi les victimes du raid meurtrier. Quelques jours plus tôt, lors d'une consultation dans la famille Maillot, il s'inquiétait de la tournure de cette guerre qu'il pressentait mauvaise.
Coïncidence
Ernest, Gaston, Serge, trois homme dont le destin présente un tragique point commun : aucun des trois n'a fêté son trentième anniversaire. Gaston comme on l'a vu, a été victime du bombardement du 7 mai 1944. Serge, remis de sa blessure de cette même journée, engagé volontaire, a trouvé la mort au champ d'honneur, fin 1944, dans la bataille pour la libération de l'Alsace. Enfin Ernest, le miraculé, devait décédé des suites d'une longue maladie professionnelle en 1948, laissant une bien jeune veuve sans enfant avec des tas de souvenirs tragiques.
Les chiffres et les indications concernant l'aide aux sinistrés sont extraits du journal des délibérations du conseil municipal de Mézières du 23 juin 1944.
Les documents photographiques ont été fournis par madame Marie-Amélie Klein.
Un autre témoin raconte
Mademoiselle Joëlle Guidicelli, âgée de 13 ans à l'époque des faits, se souvient de cette tragique journée. elle venait de recevoir la communion ainsi que sa sœur Thérèse et son frère Joël, respectivement âgés de 14 et 12 ans. " Nous résidions alors rue Clément-Bayard à St- Julien... Ce jour-là devait être une grande fête... Trois des dix enfants que nous étions célébrions notre communion solennelle... Mon père, un ancien combattant de 14-18, gazé à Verdun, et ma mère s'étaient promis d'en faire une journée exceptionnelle en se sacrifiant au maximum pour organiser, un repas à la hauteur de l'événement. C'était sans compter sur la sévérité du destin et de son acharnement... Après la cérémonie nous stationnions sur la place de l'église (La Basilique) par petits groupes dans l'attente d'une séparation. Notre père donna le signal du départ pour rejoindre la maison. Nous avons dû rester assez longtemps réunis car des témoins ont affirmé avoir vu le docteur Rossignol et ses deux fils, renouvelants, qui sont apparus avant le drame. C'est là que le bombardement nous a surpris. Dans cet effroyable vacarme, tout devient confus, le temps s'arrête et la mémoire défaille. Je devais probablement errer dans cet endroit apocalyptique, complètement éperdue et désemparée, quand soudain une main me happa fermement le bras et me fit franchir le petit pont de St-Julien précipitamment, puis à la hauteur de la guérite militaire campée devant l'école Chaudron, (lycée Monge) je vis enfin mon ravisseur, un soldat allemand me projeter dans un trou protégé des coups et s'affaler sur moi pour me couvrir de son corps. Je lui dois peut-être la vie ?... Il m'a tirée d'une situation paradoxale dans laquelle l'allié devient l'ennemi et l'ennemi devient l'allié.
Que sont devenus les autres personnes de la place ainsi que ma famille pendant cette dramatique affaire ? je ne sais même plus comment je suis rentrée chez moi. Je n'étais pas au bout de mes surprises...Je me souviens que nous étions tous réunis devant la maison en train de nous lamenter sur le repas qui pendant notre absence avait disparu... Et je revois encore la robe blanche de Thérèse toute maculée de sang sans qu'elle ait reçu une blessure apparente... J'ai encore en mémoire les paroles de mon père : Quelques jours avant le drame, attentif aux messages diffusés à plusieurs reprises par la T.S.F., il avait déduit de cette phrase : " Mon Charles allume ta pipe !", qu'il s'agissait de la destruction possible des gares de Charleville, Mohon, et de Lumes, alors qu'il ne cessait de répéter après l'événement que les alliés s'étaient trompés de cibles. Cette destruction se révéla exacte car lors de la libération de Charleville et de Mézières en septembre 1944, au hasard d'un entretien avec un soldat américain d'origine italienne, celui-ci avait confessé avoir été témoin de cette bavure. En effet, son état de navigant dans l'US Air Force l'avait conduit à voir la scène des communiants agglutinés sur une place d'église et d'apercevoir auparavant les chapelets de bombes se balancer vers ce lieu."
D'autres témoignent en usant des abris à chaque alerte
À l’école des garçons de St-Julien, entre les 7 et 13 mai 1944, Pierre Boitelet a gardé en mémoire les nombreuses alertes et évacuations vers les abris sous la direction des maîtres : « L’organisation était parfaite, à la militaire, dans l’ordre et la discipline…Nous avions en poches, à manger sur ordre, 4 biscuits vitaminés par personne, dans le cas où les bombardements dureraient et notre inséparable masque à gaz qui nous battait les jambes…L’alerte était donné par la sirène installée sur le château d’eau…Nos abris étaient des tranchées couvertes qui devaient contenir la totalité des 5 classes d’alors… »
Les locataires des maisons en dur restent dans leur cave ou pour beaucoup s'éloignent des habitations pour la campagne. Cela a été fréquemment le cas à l'occasion des violents bombardements de mai 1944 ou chaque famille opte pour cette dernière solution comme en témoignent mademoiselle Patuel et madame Maétini, préférant la plaine de la Varenne pour la première et les carrières du « trou Moreau » (rue Scamaroni) pour la seconde. Madame Hénon ayant éprouvé les deux solutions, elle évoque d'avoir été surpris en plein raid aérien et d'avoir entendu un intense mitraillage sur le quartier du côté de la rue Jules Raulin. Une des maisons en porte encore les stigmates. À la libération de la ville; elle alla déposer un bouquet de fleurs à la Vierge noire, installée provisoirement dans une niche du Bois d'Amour, en signe de reconnaissance pour l'avoir protégée de toutes ces épreuves. Quant à Roger Bertrand, il se souvient de cette année-là qui n'était pas dépourvue de risques. Travaillant la terre de son jardin, du côté des carrières, accompagné de son fils âgé de dix ans, ils voient à l'horizon un avion fondre sur eux en lâchant forces rafales de mitrailleuses. « Juste le temps de se jeter au sol dans un réflexe commun, les balles labouraient le sol à peine à cinq mètres devant nous. »
Monsieur Masclet, mutilé de la guerre 14/18, résident de la rue A. France (Rogissart) a eu l'idée de pratiquer une ouverture dans le mur mitoyen séparant les deux caves pour que les familles Mazzolini et Masclet puissent se réfugier dans la cave épargnée dans le cas malheureux d'une destruction de l'une ou l'autre de leur maison.
Mai 1944 par Danielle Patuel
"Le soleil était radieux, le ciel limpide. On aurait cru qu'il s'était lavé des dernières pluies printanières pour se faire complice, en 7 ce mai 1944, des avions qui, brusquement, avaient semé l'horreur et la mort sur la Place de la Basilique de Mézières. La radio avait dû couvrir les mugissements de la sirène car c'est la vibration des vitres qui nous a fait quitter la maison de la rue Ribot où nous habitions, pour gagner le bord de Meuse, vers le chemin de la ferme de la Warenne. Nous n'étions pas seuls et, comme la plupart de ceux qui nous avaient précédés, nous nous sommes couchés sur l'herbe tendre. Mais le coup était porté. On n'entendait plus que le roulement lointain des avions. Les uns après les autres, nous relevions la tête. Le calme était revenu. Seule, au sud-est, vers la ville, une nuée sombre trahissait la zone touchée.
Tandis qu'instinctivement, nous nous remettions sur nos pieds, je vis, débonnaire et visiblement intrigué par le comportement des peureux qui l'entouraient, un brave homme qui nous observait. Il était debout, légèrement voûté, chauve, barbu, le nez chevauché d'une paire de lunettes. Je reconnus un retraité de notre quartier. Il était immobile, subjugué et muet. Sa main gauche crispée en forme de cuvette, pouce et index de sa main droite solidement serrés sur un précieux petit objet qu'il avait garde de ne point lâcher, il semait des petits pois.
Beaucoup ont souri, se sont regardé, sans commentaires. Lui, le moment de curiosité passé, se remettait à sa tâche, estimant avec sagesse que le temps perdu ne se rattrape jamais."