Cinéma des loisirs populaires
Le bulletin paroissial "Les deux rives" de mars 1954 publie le programme des films proposé au public de Manchester: " ( en soirée à 21 heures). Samedi 6 et dimanche 7 mars : Les vertes vallées, études psychologique d'après le roman de Cronin; Samedi 13 et dimanche 14 : Nous irons à Paris, comédie musicale de J. Boyer avec Ray Ventura et son orchestre; Samedi 20 et dimanche 21 : Treize à la douzaine, comédie; Samedi 27 et dimanche 28 : Dieu a besoin des hommes, drame de l'Ile de Sein, avec Pierre Frenay et madeleine Robinson; Samedi 3 et dimanche 4 avril : on aime qu'une fois, drame". Il ne fait pas mention de la séance de dimanche après-midi réservée aux enfants avec un programme qui leur ait propre. Une réclame plus ancienne apporte la preuve de l'activité du cinéma de Manchester : " dimanche 5 février 1950, un grand film parlant "Dom Bosco" sera projeté à la salle paroissiale à Manchester en matinée à 16 h 30 et en soirée à 20 h 30."
Le quartier de Manchester se devait de posséder une salle de loisirs, ce fut fait grâce sur l’initiative de l’abbé Favréau et de l’Association des loisirs populaires sous la direction du premier président, monsieur Gire. Cette salle, aujourd’hui salle Guy Canon, entièrement construite par les bénévoles de l’Association, donnait satisfaction aux diverses destinations. Cependant il y manquait une salle de projection, réclamée par une majorité d'adhérents qui souhaitaient ne plus se rendre à Mézières, trop éloigné à leur goût. Pourtant le 6 novembre 1952, "l'Alhambra" fit peau neuve, construite en 1918, elle n'avait pas vu de réfection depuis son incendie de 1925 et permettait des séances en soirée du samedi au mercredi de chaque semaine et avec deux matinées le dimanche. Les cinéphiles les plus argentés n'hésitaient pas de s'y rendre, voire aussi, aller dans d’autres salles comme "l'Omnia" ou "L'Artistic" à Charleville ou encore pour les forcenés de la marche à pied à "L'Eden" de Mohon.
Les futurs membres du comité se concertent car il faudra rentabiliser l'affaire qui s’annonce, après étude, exorbitante sur le plan investissement. Finalement, on se jette à l'eau en créant une association pour son exploitation. Monsieur Gire en est le président, monsieur Chaussard, assure le secrétariat et la direction du cinéma avec madame Brunel, monsieur Hénin s'emploie à la projection, tandis que son épouse vend la confiserie aidée de ses deux filles, la comptabilité, monsieur Jean Bourlon, en fait son affaire. Un autre opérateur doit soulager le projectionniste, monsieur Vermorel le supplée. L'abbé Favréau est membre de droit. L'équipe est satisfaite, elle a enfin sa salle de projection. Fini le temps où l'on se déplaçait à l'Alhambra ou encore de temps à autre, aux séances projetées par l'abbé Gillet dans la salle du presbytère, rue de Warcq. Ces séances étaient notamment réservées aux jeunes catéchumènes.
Tout va pour le mieux jusqu'à la venue d'un nouveau prêtre en la personne de l'abbé Philipponat. Un différent entre l'ecclésiastique et le président à propos de la création d'une salle paroissiale, dite salle de caté, alors que la salle de cinéma n'était pas encore payée, fit que le bureau démissionna en bloc. Un nouveau bureau est créée composé de monsieur Piret (président), monsieur Jean Bourlon (vice-président), Jean Goffinet (secrétaire), G. Levrier (trésorier) et les membres suivants :Pierre Henry, Michel Sauvage, Lebrun, etc… On s'emploie à former des nouveaux opérateurs : Gaston Levrier, Jean Audegond, Bernard et Claude Arnould , Roger Delobelle, et le jeune Gérard Boucher, tout juste 15 ans; des caissières : Bernadette Henry, Lucette Bourdon, devenue madame Audegond, mademoiselle Boucher. Le tableau de service désigne le responsable des trois séances hebdomadaires, un adulte aidé par une équipe 7 à 8 personnes. L'association est structurée légalement selon les nouveaux statuts déposés en préfecture.
Le cinéma, un succès bien mérité
Malgré une mécanique bien rodée, l'association s'active à rentabiliser au plus vite son entreprise. Chacun s'y applique en payant de sa personne, bénévolement. Jeanjean s'est proposé à la surveillance des séances destinées aux enfants, placé sous la responsabilité de mademoiselle Monique Liégeois (devenue madame Delobelle). Le cœur sur la main, il lui arrivait fréquemment de payer les places des enfants présents à l'entrée dont une punition parentale les privait de ciné. Certains en abusaient, se réservant le prix de la séance à l'achat de confiseries. Le dimanches après midi se furent des séances spéciales réservées aux enfants d’octobre à mars avec films adaptés. Chaque semaine, Loulou Sérantin se rendait en vélo à Charleville, muni d'un bon de perception, pour acheter les confiseries et les cacahuètes en vrac. Madame Laplace engrangeait le tout dans des petits sachets destinés à la vente pendant l'entracte. Madame Dancerelle, plus connue sous le nom de Rita, propriétaire de "la Grappe d'or"quittait la salle avant la fin du film pour ouvrir son débit de boissons aux spectateurs assoiffés par deux heures de privation. Les langues, enfin libres, se déliaient et les commentaires allaient bon train, on faisait son cinéma et l'on s'empressait de raconter la fin du film à la patronne, chacun à sa manière, en y mettant toute sa sensibilité à force de gestes et sans cesse contredit par les autres.
Des malhonnêtes, ils y en eurent, du vandalisme aussi. Un samedi après-midi, l'équipe de service se met en place pour organiser la projection à l'heure prévue. Qu'elle ne fut pas leur surprise de constater les dégâts causés par les déprédations ! L'inventaire fut fait, les gendarmes et un huissier sollicités. L'écran lacéré, les haut-parleurs détériorés, ainsi que le lecteur de son de l'appareil de projection 16 m/m, le congélateur forcé et toute la confiserie répandue dans la salle, piètre spectacle auquel il fallait faire face pour que la séance prévue ait lieu. Heureusement que les pellicules furent en sûreté au domicile de Jean Bourlon. Celui-ci réagit immédiatement pour que la projection se fasse. On tend un drap en guise de toile, on emprunte un appareil portable à l'hôpital de Manchester pour trois semaines, c’est le temps nécessaire à la réparation. Des bénévoles prévenus s'activent au nettoyage de la salle. Tout est enfin prêt à l'heure de la séance. Ouf, l’honneur est sauf !
Les deux voyous, auteurs de la dégradation, ont été pourtant surpris par Roger Delobelle et Yves Hénaut dit "Popeye" qui, au cours de l'empoignade, reçu un coup de baïonnette au bras. Les deux jeunes gens, résidents du quartier, épris de boisson, réussissaient à fuir. Après le vol d'un camion à Montcy-St-Pierre, ils projettent de poursuivent leur frasque en Belgique. Arrêtés à sedan, ils devront répondre de leurs actes et faire payer par leur famille la facture des dégâts. Dans l'attente d'une décision de justice pour le remboursement des frais, l'Association organise une large souscription dans le quartier afin d'assurer sa continuité.
Les salles paroissiales
Le Comité reporte les problèmes de la salle paroissiale en des temps meilleurs quand les finances seront assainies et avec des fonds émanant de la paroisse. Les bénéfices des activités (cinéma, kermesses, activités diocésaines, etc...) permettent de projeter la construction à brève échéance mais à la condition que cette salle paroissiale se sépare de la salle des loisirs tout en demeurant sous son administration. Le bureau s'emploie à rechercher des fonds. Une idée germe dans l'esprit de l'abbé Philipponat, il sollicite un ami commun de Jean Goffinet, l'abbé Aimé Duval, fort connu pour ses succès à la radio par laquelle il interprète ses compositions. Grâce à la bienveillance du 1 er ajdoint au maire, monsieur Houdet, la salle Dubois-Crancé est prêtée pour la circonstance. 1200 entrées payantes... du jamais vu pour les Ardennes à cette époque.
Lors de ses concerts au théâtre de Charleville, l'abbé Duval, qui a été un temps prêtre auxiliaire à la paroisse de Manchester, offre en reconnaissance un récital au plus démunis du quartier, en la salle de cinéma, pour une somme modique. Les bénéfices vont à l'Association. On y démonte l'écran pour gagner en place, tant il y a foule.
Quant enfin les finances ont été suffisantes, Michel Sauvage, a été désigné par l’Association pour assumer le rôle de maître d’œuvre auprès des entreprises afin de réaliser les trois salles paroissiales. Il remplacera également Jean Bourlon, démissionnaire, appelé à d’autres charges.
En 1965, la télévision, peu à peu, s'installe dans les foyers et modifie les habitudes. La fréquentation de la salle n'est plus rentable ; il faut se rendre à l'évidence et faire cesser l'activité. Douze ans de règne en maître absolu cela compte dans la vie des spectateurs qui ont apprécié les services rendus par tous ces dévoués bénévoles qui n'ont reçu en échange qu'un satisfecit général. Les enfants notamment ont bénéficié d'un rituel à l'occasion de Noël, une projection gratuite, une brioche et une orange que l'on distribuait à la sortie, conduits par les grands pour éviter la resquille. On en parle encore dans les chaumières.
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