Du sang dans la neige
D'après le carnet de route de maurice Froussart alors mobilisé dès septembre 1939.
Maurice Froussart debout 2ème à partir de la droite.
Les événements relatés sont authentiques et le récit est extrait de mon carnet de route. Ils ont eu lieu pendant la "drôle de guerre" pourtant pas toujours drôle pour les soldats engagés devant Forbach, en cet hiver 1939-1940. Jugez plutôt.
Notre petit groupe de fantassins avait profité de la nuit pour occuper le Point d'appui : une maison à 100 mètres du village et à environ 500 mètres de l'ennemi. Pour y arriver nous dûmes franchir, en silence et sans lumière, des arbres abattus et des trous d'obus.
Les consignes furent passées par les partants, bien contents d'être relevés. Avant l'aube, les mitrailleuses, flanquant un autre Point d'Appui situé à la corne d'un bois, sont installés dans des trous peu profonds. Ne dépassent que les canons, toiles de tentes et filets de camouflage dissimulant hommes et matériel. Et commence le supplice! Ils ne pourront regagner la maison que la nuit tombée. Or il fait moins 20° et pas question de bouger. Le chef de pièce, le tireur et le chargeur se serrent entre eux sous leurs couvertures. Mais lentement le froid terrible les pénètre jusqu'aux os; et cela dure longtemps, longtemps, avec le risque d'un coup de main allemand. Quand on va les chercher, à la nuit tombée, ils sont engourdis, glacées et ne pourraient, seuls, rejoindre leurs camarades. On les frictionne pour les requinquer et ils avalent une bonne bistoule. Alors leurs trous sont occupés par des guetteurs-grenadiers qui eux seront remplacés toutes les deux heures, grâce à l'obscurité.
Dans la maison, pas de feu, pas de lumière, pas de bruits, pas de pinard qui est gelé, hâtif repas froids arrosés d'eau prodiguée par un robinet, heureusement bien protégé. Nuit calme, seulement quelques tirs lointains. Une fine neige tombe et couvre le sol comme un linceul, rendant plus sinistre encore un paysage dévasté. Nous avons trop froid pour pouvoir dormir et nous sommes tendus et anxieux; non sans raison, car voilà de la visite !...
De l'intérieur, un guetteur prévient soudain : "Il y en a qui coupe nos barbelés!" Tout le monde gagne son poste. Nous voyons une vingtaine d'ennemis monter tranquillement sur une crète à 50 mètres où ils s'arrêtent pour discuter. Trois demeurent là et les autres s'avancent vers la maison et les trous de guetteurs-grenadiers. Ceux-ci, respectent les ordres, ne se sont pas encore manifestés. Jugeant le moment opportun, l'adjudant commandant le Point d'appui, fait balancer des grenades, imité par les guetteurs de l'extérieur. Mitraillettes contre mousquetons accroissent le vacarme auquel s'ajoutent des cris, des hurlements, des gémissements. La bagarre ne dure que quelques minutes. L'ennemi surpris et désemparé, se replie en emportant morts et blessés. Sa défaite aurait été plus grande si nos mitrailleuses étaient entrées en action; surtout à leur arrivée quand ils se profilaient sur la crête; mais interdiction formelle d'ouvrir le feu; seulement en cas d'attaque générale. Chez nous, Français, pas de victime, mais beaucoup d'émotion, bien justifiée.
Au jour naissant, une patrouille sort avec précaution protégée par les gars à leur poste de combat. Neuf fusils, cinq baïonnettes, quatre grenades à manche; un peu plus loin, trois casques, d'autres grenades et des équipements ensanglantés. Toujours est-il que, malgré le prix payé, les boches savent que la maison du nord du village est occupée et défendue. Mais eux aussi ont du trouver cette nuit là que la "drôle de guerre" ne l'était pas pour tous.