L’habitat
Maurice Froussart nous livre une description précise de son habitat sis dans le Faubourg au 14, av. de St Julien où il résidait alors avec ses parents, maraîchers.
St-Julien : La maison des Henry Froussart, parents de Maurice. L'immeuble à gauche à disparu, remplacé par le magasin "Carrefour"
« En 1918, le faubourg de St-Julien était comme en 1914, défraîchi tout de même par un certain manque d’entretien compréhensible. Je prends plaisir à vous dresser le plan de notre maison familiale de jardiniers. Il correspond, à quelques détails près, à l’habitat de cette catégorie de travailleurs de la terre.
Bordant l’avenue, pas encore bitumée, et séparée d’elle par un large trottoir pavé devant le logis et l’écurie, la façade était de pierres apparentes et les toits d’ardoise bleutée. La conception des bâtiments correspondait bien à son utilisation axée, au départ, sur la culture et l’élevage. Le confort était réduit aux branchements d’eau à l’écurie et de gaz dans trois pièces.
La salle de devant, d’une vingtaine de m2, assez basse, laissait voir deux grosses poutres de chêne, reliées par de chevrons de même essence ; entre eux du torchis jaunâtre et enfumé. Le sol était de carreaux lisses d’un rouge sombre. Les murs, également de torchis, étaient recouverts d’un papier fleuri, sauf à leur base revêtue d’un lambris en chêne foncé, finement ouvragé. Un large buffet ardennais, une garde-robe avec son grand miroir coulissant, une table rectangulaire épaisse, une autre ronde à demi pliée, quelques chaises rustiques paillées, un placard dans le coin près de l’unique fenêtre garnissaient cette pièce principale. Notre meuble préféré était la vétuste horloge de bois clair, finement rainurée de bouquets de bleuets et d’épis de blé peints, largement fendue verticalement, ce qui nous permettaient de voir scintiller le gros balancier en cuivre jaune. Le cadran était divisé en chiffres romains ; le mécanisme à engrenage, par ses cordelettes et ses poids de fonte, était remonté deux ou trois fois par semaine. La massive cuisinière noire trônait devant la cheminée, avec son réservoir sur le côté droit, son petit robinet muni d’un récipient récoltant quelques gouttes.
La cuisine, derrière, ressemblait plutôt à une souillarde. Si la porte vers la salle était belle et peinte de brun clair, celle qui donnait sur la cour était de planches disjointes, ne s’ouvrant de l’intérieur que par un énorme verrou . L’autre, donnant sur l’écurie, ne valait pas mieux et laissait filtrer les odeurs des chevaux et des lapins. Nous n’en étions pas incommodés, pas plus que des centaines de mouches ronronnantes souvent prises au piège de rouleaux de papier gluant, pendus au plafond et des gobe-mouches répugnants disposés ça et là. Les murs également de torchis, étaient blanchis à la chaux comme le plafond. De grosses dalles de pierre donnaient un sol inégal : on butait dans ses aspérités et on se tordait les chevilles dans ses creux.
Un gros saloir en forme de tronc de cône, cerclé de fer et fermé d’un couvercle de bois, était placé, majestueux, sous l’escalier qui raide et étroit, conduisait en haut. C'est par lui que nous montions, sur notre dos, les sachées d'oignons d'hiver rouges ou jaunes dont nous comblions le grenier, pourtant vaste, sur 20 cm d'épaisseur, soit 12 à 15 tonnes d'oignons. Nous passions forcément par la pièce au-dessus de la cuisine, où dans un recoin nous rangions le blé de semence, et qui nous servait de chambre. Une garde-robe, un lit de coin et une table de nuit, tous trois en chêne la meublaient chichement. Le plancher était fait de grosses planches rugueuses et le jour venait d'une fenêtre sans volet, sur la cour.
L'écurie donnait sur l'avenue par une porte en deux parties : le haut restait ouvert jusqu'à la nuit alors que le bas s'opposait à l'entrée des chiens divaguant dans le faubourg. Une fenêtre fixe, en partie vitrée, l'éclairait également.A droite de l'entrée, on trouvait deux stalles pour les chevaux, ensuite un grand coffre à avoine et des cabanes à lapins qui couraient tout le long du mur. Derrière les chevaux, sur des supports de bois, les harnachements : colliers, brides, têtières, avant-traits, dossières, culières, etc.
De l'écurie, descendons à la cave. La porte du tambour était basse et fermée par un crochet. Il fallait donc se plier pour atteindre la première marche de pierre. La seconde avait une hauteur double des autres, il était bon de s'en souvenir pour éviter une dégringolade sur le palier deux mètres plus bas, ce qui arriva plusieurs fois.
A ce palier, on tournait à gauche pour arriver un mètre au-dessous sur un sol de terre battue. Dans cette belle cave voûtée de deux mètres de haut en son milieu et de 18 m2 de surface, éclairée par un soupirail fermé d'une grille, s'entassaient des pommes de terre, souvent retournées à la large fourche aux dents serrés pour éviter une germination prématurée. Les pommes de terre étaient plus faciles à descendre qu'à remonter, sac par sac, par l'escalier et sa sacrée marche. dans un coin de cette cave, sur de grosses pierres formant un banc, se juchaient une ou deux caques de bière basse, fûts d'une cinquantaine de litres que descendait le brasseur en tablier de cuir. Nous allions chercher cette boisson dans des cruches et ce service était à la charge des enfants. La bière n'était pas méchante et sur la fin du tonneau devenait un peu aigre et se couvrait de "fleurettes" blanches. On la filtrait dans un linge et on la buvait : elle n'en était que plus rafraîchissante.
La grange , plus récente que le reste, eût été parfaite si le maître d'oeuvre avait eu un peu d'imagination ! Il aurait dû prévoir une large ouverture dans le mur mitoyen de l'écurie. Ainsi aurions-nous pu décharger les charrettes de foin plus aisément dans le fenil, même par la pluie. Faute de quoi, l'étroite fenêtre sur la rue était utilisée seulement par temps favorable. sur le tiers de sa largeur, elle était très bien pavée et c'est là que se garaient les deux tombereaux (barous) et la voiture légère à deux roues remplacée ensuite par les quatre roues. Les deux tiers de la surface restante recevaient les céréales, souvent jusqu'au bord du toit, et les brabants, houes, herses, tarates et autres outils ainsi que les légumes prêts à la vente.
Quatre mètres au-dessus du pavé et sur la même surface, le "caraudis", solide plancher, étaient soutenu par des chevrons de chêne reliés à la poutre maîtresse qui tenait le toit. On y rangeait aussi les céréales et, après battage, les sacs de blé tarés à cent kilos. Y monter, avec les dits sacs sur les épaules, était pénible, mais nous mettions une pointe d'orgueil à le dissimuler.
Une porte faisait communiquer dans le fond de l'écurie et grange. Une autre à deux battants, mais pas assez large pour le passage d'un tombereau (autre lacune), menait au jardin.
Après la grange s'étalait la cour à fumier; une vieille porte branlante à claire-voie interdisait la sortie de la volaille sur l'avenue. Par temps de fortes pluies, du purin noire traversait le trottoir jusqu'à la rigole menant à l'égout. Personne ne s'en plaignait, pas plus que les tombereaux, charrettes et voitures garés sur le trottoir, parfois même la nuit, tant cela était commun à Saint-Julien.
Derrière cette cour, empiétant sur le jardin, se trouvaient le poulailler et, derrière la grange, "l'hangar" comme nous disions, ouvert sur trois côtés, abritant l'arracheuse mécanique de pommes de terre, d'autres objets et sacs de soies de porc, excellent engrais venant d'Amérique que mon père faisait venir de je ne sais plus quel port breton, par wagons entiers et qui étaient répartis entre jardiniers, dans la plus parfaite équité.
Enfin, voici le logis de Baptiste, le "ran" en patois. Il s'agit du cochon éternel, acheté gros comme un bébé frais et rose, soigné comme un coq en pâte et sacrifié quand il atteignait les 200 ou 250 livres. Sa maisonnette courte et étroite, comportait, en plus de la porte percée d'un losange, un volet horizontal. Il était relevé, le temps de déverser dans l'auge de pierre bleue la ration, augmentée en proportion du développement du sujet. En plus de l'eau de vaisselle grasse, enrichie des restes d'aliments, Baptiste recevait un mélange chaud de son et de patates écrasées au pilon de bois dans une grosse marmite de fonte : la caboulée dans laquelle, gourmands, nous puisions quelques légumes cuits.
Pour être complet, je me dois d'aborder un sujet peu agréable, concernant une servitude à laquelle chacun doit se soumettre, rois ou bergères. Il s'agit du petit réduit à la porte percée en forme de cœur, dont la forme retournée, est assez suggestive. l'intérieur était démontable, permettant de retirer la lessiveuse quand elle était pleine, où les asticots s'agitaient malgré le grésil souvent déversé. Son dessus, masqué par de la paille, elle était transporté, lourde, à l'aide de crochets, en passant par l'avenue, et son contenu était enfoui dans le fumier.
(extrait de la revue "Terres ardennaises" n°33 de décembre 1990)
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