l'île de St Julien

L’île de Saint-Julien

La tradition des maraîchers du faubourg de St-Julien réserva cette appellation exclusivement à la partie habitée (section comprise depuis le ponton enjambant le canal d’amenée alimentant la Macérienne et la rue de la Haillette.) Au-delà et jusqu’au pont de Warcq, les rives de la Meuse comprises, l’appellation se différencia en « île de St-Julien ». Avant la première guerre mondiale et de mémoires d’hommes, cette île se composait principalement de pâtures et de terres maraîchères partagées entre la ferme de la Warenne et les nombreux maraîchers de St–Julien.

L’histoire de la boucle de Meuse macérienne est volontairement étudiée à partir du XX ° siècle. Le passé lointain a largement été conté dans le numéro hors série de la Revue « Terres Ardennaises » de décembre 1998 et a pour titre : MANCHESTER – Mémoires d’un quartier. Nous nous contenteront de reprendre les articles des témoins ayant vécus cette période ou l’ayant reprise d’après les écrits d’un ancien parus dans "Terres Ardennaises".


Maurice Froussart nous a livré quelques souvenirs d' enfance dans l'île de St Julien où il est né en 1911 de parents maraîchers.

Maurice Froussart, âgé de 6 ans, en compagnie de son frère aîné Pierre et de ses parents.


Au temps des marronniers

« L’île de Saint-Julien est en partie sablonneuse et aurait été traversée, il y a des millénaires, par un vaste fleuve, le Tern. Un des lieux-dits où nous cultivions s’appelait le Tarn, ce qui confirmerait cette assertion. Des carrières ont été ouvertes, la plus récente devenant la baignade de la Warenne après son raccordement avec la Meuse. Certains de nos cousins, exploitant une sablière juste sur le Tarn, y trouvèrent des fossiles préhistoriques et même une défense de mammouth.

C’était vers 1925, 1930. Qui se souvient encore de la route de Warcq, étroite, faite de cailloux gris bleu et bordée de superbes marronniers ? La circulation y était facile, principalement hippomobile avec seulement quelques camions transportant sable et graviers extraits des carrières et destinés à la réparation des dégâts causés par la première guerre mondiale. Des cantonniers l’entretenaient, morcelant les gros cailloux entassés de loin en loin. Ils se servaient d’une massette à manche court et devaient respecter certains formats. Un responsable contrôlait leur travail à l’aide d’un anneau calibré. Des lunettes semblables à celles des meuleurs garantissaient les yeux d’éclats dangereux.

Depuis le cimetière, les arbres ombrageaient la route. Derrière ces marronniers, s’ouvrait un large fossé destiné à l’assainissement où l’eau s’infiltrait dans le sol. Il était entretenu et surveillé de près pour éviter que les jardiniers ne l’abîment avec leurs attelages, brabants, extirpateurs et herses…Je me souviens d’un monsieur Barbier, chargé en autre de ce travail, et dont d’aucuns, rares aujourd’hui, se rappelleront l’aspect bonhomme mais déterminé. Près des arbres, tel un long serpent, ondulait un sentier pratique où passaient piétons et vélos, délaissant la voie caillouteuse et cahotante. Les marronniers furent finalement abattus [1947] à la hache par des bûcherons et donnés par la ville à ceux qui acceptaient de les débarrasser. Il fallait faire bien des efforts pour scier et fendre ce bois difficile mais qui tenait le feu aussi bien que le chêne ou le châtaignier.

Le pays des bourriques

"Les utilisateurs assidus de la route étaient forcément, vu leur nombre, les jardiniers, menant charrettes, tombereaux, voitures à deux ou quatre roues pour transporter personnes, céréales, fumier, foin, légumes de toutes sortes et aussi brabants, faucheuses, rouleaux, râteaux, bref tout l’attirail de leur métier. Les chevaux connaissaient les terres de leurs maîtres et si on les laissait faire, s’arrêtait d’eux-mêmes devant l’arbre leur servant d’attache. Ils démontraient ainsi une certaine forme d’intelligence, mais l’injonction d’un « Hue, pétit », il repartaient jusqu’au prochain arrêt présumé. Braves bêtes tant regrettés ! la dernière s’appelait Mouche et ses patrons Marie et Georges…

Des chemins de terre desservaient les champs : Petit Paquis, Tortue-Roye, Napoléon, Savigny-Pré, chemin du Bac, Petite Couture. [La ferme de la Warenne qui occupe la partie sud de l’île était desservie par le chemin qui longe la Meuse que l’on appelle communément : Promenade de la Warenne. Les Bourquin, gérants, utilisaient également la rue de la Haillette, qui reliait la Promenade de la Warenne à la route de Warcq et accessoirement cette dernière pour gagner les terres occupées de nos jour par le Centre de réadaptation Fonctionnelle. Une autre ferme, de moindre importance, occupait les terres au nord de l’île, derrière le cimetière.]

On y poussait la brouette après 1914-18. Mais avant la guerre, c’étaient des ânes, bâtés de sortes de cacolets, qui collectaient les légumes dont l’abondance couvrait la moitié du marché de la Place Ducale, trois fois par semaine. En ce temps, malicieusement les gens disaient, mêlant exprès les jardiniers et leurs ânes fidèles : « Saint-Julien, pays des bourriques ». lire aussi : Les transports

Les jardiniers de l’île de St-Julien

Avant son départ pour Vrigne–au–Bois [juillet 1997], l’abbé Hubert Froussart, officiant à Manchester, a confié quelques éléments de l’importante étude généalogique qu’il a réalisée sur sa famille. Il s’est plongé avec un plaisir évident dans les « papiers de famille » et les registres qui lui ont permis de remonter près de 400 ans en arrière.

Dérogeant à la règle de ne pas remonter le temps antérieurement au XX°siècle, ce témoignage apporte un éclairage sur l’origine de l’implantation des résidants du Faubourg. Laissons-lui conter le fruit de ses recherches. « Les Froussart, les Dauchy, les Hulot et autres Rousseau, Warin et Juvigny, depuis quand sont-ils à cultiver l’île de ST-Julien ? Pour ce qui concerne les Froussart, l’ancêtre commun s’appelait Dumay FROUSSART. Il était né à Lumes en 1643, l’année même où le roi Louis XIV accédait au trône. On trouve trace de son père Martin et aussi d’un Nicolas en 1601, au temps du roi Henry IV. C’étaient des laboureurs.

En 1675, Dumay épouse Jeanne Dôchy, originaire elle aussi de Lumes où son père Laurent était manouvrier. Le nom des Hulot apparaît au même moment. Au début du XVII° siècle, on trouve d’autres Froussart à Mézières (Isdelette, Nicolas, Pierre). Ils devaient être d’un autre groupe social, puisque l’on note des relations avec un échevin de la ville, un chapelain de la collégiale Saint Pierre et même avec Charles de Gonzague. Mais on ne peut établir aucun lien probant avec le laboureur de Lumes, sinon le nom ou des origines encore plus anciennes. La mémoire commune dit qu’ils seraient les descendants des réfugiés liégeois, arrivés un siècle plus tôt, après la mise à sac de la ville de Liège par Charles le Téméraire, en 1468. Philippe de Commynes, chroniqueur de Louis XI, rapporte dans ses mémoires que « ces misérables gens fuyaient par le pays d’Ardenne avec femmes et enfants… autres fuyaient à Mézières sur Meuse, qui est au royaume ». Mais arrêtons là avant de nous envoler dans de l’imaginaire.

Dumay s’est marié deux fois et eut 13 enfants. Son fils François, marié aussi deux fois, en eut 13 également. Le petit-fils Thomas s’est marié trois fois et eut 17 enfants (50 petit-enfants, en ne comptant que la descendance des garçons). Son frère Raymond en eut 7…Descendance impressionnante, mais n’était-ce pas à l’époque le nombre nécessaire à la survie du groupe ? Mortalité des enfants durant leur première année, décès des femmes en couches, famines ou épidémies capable de décimer une famille entière en quelques semaines : les temps étaient bien durs et peu accédaient au mariage. Un ou deux enfants seulement faisaient souche à leur tour !

Les deux branches connues des Froussart descendent l’une, de Thomas et l’autre, de Raymond cités plus haut. Ainsi ma grand-mère, une demoiselle Mathilde Froussart descendait en ligne direct de Raymond et son mari, Ėmile Froussart, descendait lui de l’autre branche, celle de Thomas. C’est même en feuilletant, dans le secrétaire de la maison, les actes notariés des achats de terres, que j’étais tombé sur un arbre généalogique de 1897, où la grand-mère devait établir pour son mariage qu’il n’y avait pas de lien proche avec son futur époux. Le seul lien qu’elle connaissait remontait à Marie-Claude, la fille de l’arrière grand’tante de la grand-mère qui était mariée avec le grand-père de mon grand-père.. Elle ajoutait, non sans malice, qu’entre les quarante-quatre cousins de Marie-Claude et le même nombre de cousins du père André, elle ne pouvait pas tout connaître…

Mon père m’avait dit alors : ‘Tu t’intéresses donc à ces choses-là, Je peux t’en raconter, parce que mon grand-père Jules, un grand bavard, m’en a citées qui remontent avant Napoléon et même du temps des rois ».

Les Romains à Manchester

Par l'Abbé Hubert Froussart

Voici comment le Grand B..., celui qui était plus malin que père et mère et qui avait tout vu, en fit la découverte.

Le Grand B... avait commencé à défricher une terre en jachères depuis longtemps (c'était bien avant celles causées par la GATT).

Un jour la charrue reste ahotée par une plaque d'ardoise. Le lendemain, nouvelle plaque : le Grand B... passe sa journée à dégager la plaque et surtout à commenter sa découverte auprès des maraîchers des champs voisins.

"Puisque j'te dis que je suis le premier à labourer. Personne n'a labouré avant moi !"

Comme il n'y avait pas la télé mais que l'on aimait bien se distraire, des farceurs patentés cherchèrent comment lui jouer un tour, histoire d'en rire. Et chacun d'y aller de son commentaire : "T'as raison, ça doit remonter à loin, ça irait bien aux Romains. Et puis, le gué des Romains est là, tout près, à St Hilaire." Un autre était plus affirmatif : "C'est un Romain qui est enterré là !"

A force de se dire que c'était un Romain et que les Romains devaient avoir de l'or, le Grand B... se mit à chercher l'or des Romains, la nuit avec sa lanterne, le jour avec sa fourche... " Je ne suis pas fou, puisque j'te dis que j'ai vu que ça brillait", s'en allait-il. S'il avait vu que ça brillait il fallait que ça brille. Et l'un de ressortir du bahut une médaille de 'Exposition Universelle, l'autre une breloque d'un comice agricole et d'aller les répandre sur le champ.

Il parait qu'il en aurait trouvé plusieurs et aurait conclu : "C'est bien plus vieux que cela, puisque j'te dis que c'est des Romains qui passaient par là".

Vous pouvez toujours prendre votre lanterne pour vérifier vous-même et aller chercher l'or des Romains, mais vous pouvez aussi passer par le tout nouveau Musée de l'Ardenne pour admirer les découvertes que firent les archéologues.

Les maraîchers farceurs.

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