les tombes bouleversées

Les tombes bouleversées

Après quatre ans de guerre, l’espoir renaît, mais tout danger n’est pas écarté pour autant. Les civils sont souvent les victimes des bombardements comme a rappelé la tragédie du 7 mai 1944 sur la Place de la Basilique. Le 8 août, la ville de Villers-Semeuse est à nouveau bombardé, le 11, c’est la gare de Belval-Sury, le 15, c’est à nouveau les trois villes qui sont sous les bombes des Anglo-américains. Un autre bombardement a lieu, en particulier dans la soirée du lundi 28 août 1944, à Saint-Julien, bouleversant le cimetière.

Cette soirée, belle et chaude, semble prometteuse d’espérance, les cœurs des citadins soupirent d’impatience et se désespèrent de la lenteur des forces alliées pour les libérer de l’oppresseur. Les trois jours de la fête des maraîchers n’ont pas eu lieu. Les Allemands sont encore là, fortement armés et bien organisés comme le démontre la constitution d’un important convoi qui stationne ce jour-là dans la rue du Bois d’amour. La défaite qu’ils sentent proche est inéluctable, les rend nerveux et parfois agressifs. La population craint que l’histoire se répète comme à Mézières, dans la nuit du 10 au 11 novembre 1918. Les militaires allemands n’ont pas acceptés l’Armistice et détruisent la ville, par leur puissante artillerie, occupée uniquement par des civils,. C’est un acte purement gratuit à l’image de leur barbarie.

Au n° 8 de la rue de Warcq, Jean-François Froussart, tout en respectant les consignes de camouflage des lumières imposées entre le crépuscule et l’aube, écarte les lourds rideaux. Par la fenêtre entrebâillée, il hume l’air encore chaud qui exhale tant d’odeurs subtilement mêlées. Il fait presque nuit et le ciel se charge d’avions. Les sirènes hurlent le début de l’alerte et chacun s’empresse de rejoindre l’abri. Jean-françois comme à son habitude traîne un peu les pieds pour profiter plus longuement du spectacle. Des vagues et des vagues de bombardiers alliés couvrent le ciel. La terre tremble par le vrombissement continu des milliers de moteurs surpuissants. Le calme revient peu à peu après leur passage et avant la venue de nouvelles vagues. Madame Maurice Froussart, sa voisine, est là également à tarder sa rentrée tant la nuit est belle.

Soudain, le jeune Jean-François aperçoit un avion isolé, volant très bas dans le sens Nord-Sud, qui fait rugir ses moteurs pour reprendre de l’altitude déchirant ainsi la sérénité de l’instant. Un parachute se balance doucement en éclairant la zone, il fait clair comme en plein jour. Un éclairement fulgurant illumine tout le cimetière suivit d’une explosion assourdissante qui ébranle l’atmosphère par son onde de choc. Jean-François est projeté au sol par l’effet de souffle et voit l’étonnement de son oncle à la fenêtre dans ce bref moment. Un panache de fumée monte très vite dans le ciel en s’estompant soudainement ; l’air empeste une âcre et piquante odeur. Le jeune garçon demeure interdit, cette scène furtive et insolite la surpris, lui annihilant tout réflexe de protection.

C’est fini, un silence presque oppressant règne. Les oreilles bourdonnent. Seuls ses sens ont mémorisé ce spectacle inaccoutumé. Il réalise, impuissant, que tout peut arriver en ces derniers jours de guerre. Mourir avant de connaître les liesses de la libération si proche lui laisse une impression frustrante. Elle sera effective les jours suivants cet incident.

Questions sans réponse

Est-ce la Résistance ardennaise, qui porte fréquemment des coups à l’ennemi nuisant ainsi à leur organisation, qui aurait prévenu Londres de cette aubaine? L’a-t-elle informé de la constitution de ce convoi allemands afin de le démanteler? Est-ce le fait d’une surveillance aérienne de la Royal Air Force dont le hasard l’a guidé vers cette proie facile, lâchant trop tôt sa bombe rédemptrice. Nul ne le sait! Le « Petit Ardennais », journal des Ardennes, naturellement prolixe sur ces affaires de mitraillages et de bombardements Anglo-américains, s’est tu le mercredi 30 août 1944 avec le n° 19.906. Après 62 ans d’existence, il donne la place à un nouveau quotidien qui diffusera seulement le 11 septembre 1944, sous le titre de « l’ Ardennais », son premier numéro. La nouvelle direction a repris les bâtiments techniques de l’ancien journal qui ont été partiellement détruits lors d’un bombardement. L’épuration a commencé.

Le lendemain de l’intervention destructrice, les hypothèses vont bon train. Michel Bertrand, plus jeune que Jean-François montre, à qui veut l’entendre, les impacts des éclats sur la façade du café le « Petit-Borgniet ». Pierre Boitelet, lui, constate qu’une plaque d’égout s’est brisé et que les riverains ont eu chauds, car des éclats ont touché aussi la maison des Isoard.

Les jours suivants, quelques badauds visitent le cimetière et remarquent le bouleversement occasionné par l’explosion de la bombe, l’enchevêtrement des pierres tombales fracassées.

Les morts partiellement exhumés ont sauvé les vivants en succombant une deuxième fois.

la Libération