BERCK

La cité des jeunes ardennais

Le temps des curés

Au commencement : BERCK-VILLE

« Les vacances sont longues ! Un très petit nombre d’enfants privilégiés peuvent passer des vacances à la mer ou à la montagne ; mais faute de ressources, la plupart des familles ne peuvent y songer. D’autres part, un bon nombre d’enfants se ressentent du régime de dures restrictions dans lesquelles nous vivons.

Quelle joie si l’on pouvait s’échapper deux ou trois semaines au loin, sur une plage, et vivre là-bas dans le calme, au grand air, avec une nourriture saine et abondante !

Nous avons pensé que ce rêve devenir une réalité. »

Comment est née cette idée ?

« Depuis 1941, les enfants de chœur de Mareuil-sur-Ay (Marne) faisaient chaque année un voyage avec la tirelire dans laquelle ils accumulaient précieusement leurs petits gains et la collecte des œufs de Pâques.

C’est ainsi qu’en 1941, ils passèrent une journée à Reims ; En 1942, deux jours à Paris. Puis ce fut, en 1943, un camp de cinq jours à Mont-Notre-Dame ; En 1945, un camp de dix jours à l’abbaye d’Igny ; En 1946, trois à Paris.

Cette année, nous pensions les emmener trois ou quatre jours à la mer.

Mais…La SNCF. n’accorde des réductions importantes que pour les voyages de moins de deux jours ou de plus de huit jours.

Mais…Les gens de Berck ont été unanimes à déclarer que c’était dommage de venir pour si peu de temps, et que douze ou quatorze jours ne seraient pas de trop !

Mais…Les fillettes, jalouses, ont menacé de faire grève ( !) si on ne leur accordait pas la même faveur d’un séjour à la mer. Pouvait-on faire cette inégalité parmi nos enfants, alors que l’on déclare partout que la femme est l’égale de l’homme ? Et puis n’auraient-elles pas été capables de descendre dans la rue avec des pancartes (c’est maintenant très à la mode !).

« A travail (scolaire) égal,Vacances à Berck égales ! »

Mais…Si toutes les fillettes peuvent venir à la mer, sans aucune distinction politiques ou religieuse, on devait en faire autant pour les garçons, et ne pas choisir seulement le groupe des Clercs.

Mais …pour recevoir de l’Etat une aide sérieuse, il fallait organiser non pas un camp de douze jours, mais une véritable Colonie de trois semaines.

Décidément quant on a mis le pied dans l’engrenage, où s’arrête –t-on ??? »

Voilà donc une profession de foi révélée, par la voie d’un bulletin paroissial, aux diocésains par le prêtre Favréaux, jeune curé de Mareuil (Paroisse St-Hilaire). Avait-il conscience que cet engagement l'entraînerait vers une belle aventure très enviée par d’autres partenaires sociaux-éducatifs et surtout très appréciée des jeunes bénéficiaires. Comme on le verra plus loin, les louables intentions ne suffisent pas à la réalisation d’une œuvre, qui à cette époque était insurmontable, il faudra une formidable énergie pour renouveler les opérations qui se suivront d’année en année avec la même détermination et efficacité. Il a su taire ses soucis et ne montrer que tout est possible. Pour une œuvre déception un homme hors pair était indispensable.

Portrait d’un homme d’exception

(sources : le mensuel paroissial « Les deux Rives » de mai 1949.)

Né à Ormes (à 5 km de Reims), le 9 février 1913, dernier de cinq enfants. Evacués en Seine-et-Marne à la deuxième bataille de la Marne en mai 1918.- Elève à l’école laïque d’Ormes jusqu‘en 1925.- Entré au petit séminaire de Reims le 4 octobre 1926, pour y faire les sept années d’études secondaires jusqu’en 1933. Puis cinq années de Grand Séminaire, coupées par un an de Régiment. Soldat d’octobre 1935 à septembre 1936 (avec sursis d’études), comme 2ème classe, au 507e Régiment de Chars à Metz. Mobilisé quatre jours fin septembre 1938.

Ordonné prêtre par le Cardinal Suhard, le 29 juin 1939. Nommé Vicaire de Charleville, mais jamais installé, à cause de son départ à la guerre, le 24 août 1939.

Radio-téléphoniste au 19 ° Bataillon du 507e Régiment de Chars (modèle D2, 24 tonnes), de septembre 1939 à avril 1940, à Sarreinberg, près de Bitche ; Puis, après un faux départ en Norvège, en pleine bataille, sur l’Aisne, de Liesse à Montcornet jusqu’au 20 mai ; à Amiens jusqu’au 28 mai et sur la ligne défensive de la Somme à la Dordogne, jusqu’au 25 juin.

Nommé provisoirement à Mareuil-sur-Ay, le 8 septembre 1940, dans un provisoire qui dura…presque 9 ans !

Cela n’explique pas tout le personnage, ce qui suit est une révélation qui est la clé de sa résolution avec sans doute l’expérience des moments difficiles de la guerre dont il tira tout le bénéfice d’une organisation militaire vouée à la concrétisation.

« J’ai eu un malheur dans ma vie. Disait-il à monsieur Cardin, fondateur de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, lors d’une rencontre. A ma dernière année de philosophie, à peine huit jours avant la distribution des prix, un télégramme m’annonça que mon père était très malade : « Venez vite ». et j’accourus.

Je trouvai mon père sur le lit de malade. Il me regarda et il me sourit, et alors, m’inclinant vers lui, il me donna sa dernière bénédiction, mon pauvre père ruiné par le travail, tué par son fils.

Et après lui avoir fermé les yeux, je fis le serment, sur sa dépouille mortelle, de me tuer pour le salut de la classe ouvrière. » et de poursuivre comme pour se justifier :

« Je suis un enfant de la classe ouvrière et normalement parlant, j’aurais dû, à 12, 13 ou 14 ans, prendre ma gamelle et des tartines pour aller au travail…Si j’ai pu devenir prêtre de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est grâce à mes parents.

Mon père était un pauvre ouvrier. Il ne savait pas lire, il ne savait pas écrire, à 11 ans, il avait dû aller travailler, il avait trimé pour élever ses enfants dont il était fier, avec maman.

Je me rappelle encore quand j’avais l’âge de 13 ans, un soir, alors que mes frères et sœurs étaient au lit, couchés déjà, moi, comme le Petit Chaperon rouge, je suis descendu jusque dans la cuisine et j’ai dit à mon père qui était en train de fumer sa pipe et à ma mère qui reprisait ses bas :

- Oh ! Dis, père, est-ce que je pourrais continuer à étudier ?

- Mais, mon enfant, à votre âge, j’étais déjà au travail ; je deviens vieux et mes forces s’épuisent.

Pour le décider alors, j’osai lui dire :

- Je crois que le bon Dieu m’appelle ; je voudrais devenir prêtre.

Mon père, qui était cependant un homme impassible, devint blanc et de grosses larmes coulèrent sur ses joues fatiguées par la journée de travail et les mains de ma mère, dont les ongles usés par tant d’années de travail, se mirent à trembler.

Mon père dit : « Eh bien femme ! Nous avons beaucoup travaillé, pour avoir l’honneur d’avoir un fils prêtre, nous allons travailler davantage ! »

Et ils ont travaillé davantage. »

Première entreprise

« C’est ainsi que sont organisées les deux colonies de vacances de 1947 :

La première pour les garçons : du 19 juillet au 9 août.

La seconde pour les fillettes : du 11 au 30 août.

La direction est assurée :

Pour les CŒURS VAILLANTS : par monsieur le curé Favréaux, assisté de deux Grands Séminaristes, moniteurs diplômés d’Etat, et six jeunes gens.

Pour les AMES VAILLANTES : Madame Petit, institutrice libre de Mareuil ; madame Guillaume, institutrice communale de Tauxières, et six jeunes filles.

L’organisation est prévue jusque dans les moindres détails :

Répartis en deux groupes de 40 : Légion RHIN et DANUBE pour les 12 à 14 ans ; Légion CHAMPAGNE, pour les 8 à 11 ans. Les enfants sont groupés en équipe de 6 ou 7 où ils s’apprennent à vivre en communauté, sous la direction d’un petit chef d’équipe élu par eux.

Les fonctions sont réparties entre diverses responsables, nommés « ministres » : Les abbés et les jeunes gens se partagent les divers ministères : Ministre de l’Intérieur (propreté et discipline) ; Ministre des Affaires Etrangères (rapports avec les gens de l’extérieur, correspondance…) ; Ministre des Sports et Loisirs ; Ministre de la Santé publique ; Ministre des Transports ; Ministre de la Marine ; Ministre des Cultes ; Intendance Générale.

Devant les difficultés à trouver un ministre du Ravitaillement et un Ministre des Finances (c’est partout pareil !) monsieur le curé en prend lui-même la responsabilité.

Le règlement prévoit :

Onze heures de sommeil et une courte sieste. Des repas copieux, de l’éducation physique chaque matin. Une éducation virile à la vie en communauté. »

Monsieur le ministre du ravitaillement et des Finances ne manquait pas de rappeler que des dons sont nécessaires à la bonne marche d’une pareille entreprise. Les diocésains furent sollicités aux cours de kermesses dont le but avoué était d’arrondir les maigres ressources cumulées alors.

« Et déjà des DONS AFFLUENT en faveur de nos deux colonies :

-D’une personne de Mareuil : 1500 francs pour nous offrir la colonie à une fillette. -De deux anciens du 19 ème Bataillon du 507e Régiment de Chars : 500 francs, 1000 francs. Tiens !… Tiens !… si les anciens des chars s’y mettent.. pour aider les « enfants de leur ancien Aumônier !!!». - De Pierre l’Ermite : « je vous envoie par chèque postal un petit quelque chose « pour la colonie ». Lit-on dans l’un des bulletins.

Mareuil – Berck en voiture !…

Monsieur le Curé-directeur dépeint l’atmosphère du voyage extraordinaire de Mareuil à Berck :

« Depuis des semaines, on en parle…Les enfants comptaient les jours. – Coups de téléphone, lettres, visites, supplications : « Prenez mon garçon, la mer lui ferait tant de bien !… » Finalement, monsieur le curé se laissait toucher, et ajoutait de nouveaux noms à une liste déjà trop chargée. On pensait être 80 ; et c’est 95 garçons de 8 à 14 ans qui se retrouvaient ce samedi matin 19 juillet, à la gare d’Epernay.

Première étape : Mareuil – Epernay.

Dès le matin, le pays est en effervescence. Les gamins piaffaient d’impatience, le cœur de mamans bat plus vite que d’habitude. Que se passe-t-il ?… C’est le départ. Vite, on boucle le sac : fermons la valise ! Dépêchons-nous, on va être en retard ! »

Devant le presbytère, le camion rutilant neuf attend déjà. Quelques bonnes volonté entassent les ballots au fond du camion. Dernière précaution : on fait l’appel. Chose curieuse : pas de retardataires.

Puis c’est l’assaut du camion qui semble devenu une boite à sardine. Le carburateur gicle, les yeux aussi, et dans un vrombissement de moteur, le convoi s’ébranle. Bérets et mouchoirs s’agitent tandis que les chants fusent.

Epernay-gare : Tout le monde descend. LOUVOIS, AUXIERES ? AY, EPERNAY ? REIMS regagnent le gros de la troupe. On enregistre les bagages non sans difficulté. Le sucre s’obstine à ne pas vouloir partir ; il faudra avoir recours à une bâche obligeamment prêtée pour l’expédier enfin.

Deuxième étape : Epernay-Paris.

Voyage classique jalonné par les bérets envolés.

Troisième étape : Paris-est –Paris-Nord.

Etape la plus courte et la plus mouvementée. Il faut transporter une tonne et demie de ballots, sans compter les enfants ( !), leurs bagages et la précieuse « boisson de Mareuil». C’est là que les premières poignets de valises lâchèrent, et que les premières bouteilles furent lâchées.

Quatrième étape : Paris – Rang du Fliers.

Voyage sans histoire. Seuls, quelques maux de cœur encombrent le plancher, renouvelant l’atmosphère du compartiment.

Rang-du-Fliers : on dégringole du wagon dans l’enthousiasme. Un bruit inconnu ressemblant à un sifflement attire notre attention ; nous faisons connaissance avec le tortillard qui doit nous mener à destination. Le moins qu’on puisse en dire, c’est qu’il est inénarrable. Cahin-caha, pestant, soufflant, il nous conduit on ne sait où.

Enfin, nous arrivons à Berck-Ville. On dit bonjour au pays, puis on va prendre possession du Camp. »

La vie s’organise

Après quelques jours de durs labeurs, le Camp de la Colonie baptisé « Notre-Dame-du-Gruguet » prend enfin son aspect de vie organisée. Le curé-directeur a su lui donner une âme avec une pointe de savoir-faire, empruntée à l’Armée. Petits et grands n’ont pas failli et le jeudi 24 juillet 1947 est jour de fête de la jeunesse, c’est le début de la colonie qui commence par une inauguration officielle du Camp.

Une cérémonie importante : la remise des foulards à chacun des colons, émus par tant de solennité, se déroule par groupes et équipes rassemblés en carré autour du mat des couleurs.

Quelques points forts d’une journées type

- 7 h 45 : Lever, petit-déjeuner.

- 8 h 15 : Rassemblement et départ à l’église pour la prière, au retour : lever des couleurs.

- 9 h 30 – 10 h 00 : diverses activités selon les groupes et équipes, (sports, éducation virile à la vie communautaire, travaux d’intérêts généraux, courrier etc..).

- 12 h 00 : Repas en plein air (quand il fait beau) suivit de la corvée de nettoyage et d’une sieste obligatoire.

- 15 h 00 : Départ pour la plage, baignade et goûter sur place, retour en fin de journée en chantant.

- 19 h 30 : repas du soir, nettoyage du réfectoire. Chant et veillée.

- 21 h 30 – 10 h 00 : Coucher et extinction des feux.

Le salut des Cœurs-vaillants

Une organisation sans faille

Outre les moniteurs et monitrices qui ont œuvré sans compter afin d’assurer la bonne tenue du camp dans tous ses aspects et la surveillance des plages, il y a des obscures dont on ne parle peu et qui sans eux il manquerait forcement l’essentiel : la nourriture. Roger et madame Grange, avec des moyens de fortune, ont résolu magnifiquement un problème compliqué : nourrir pendant six semaines plus de 100 bouches affamées quotidiennement. Madame Petit, en bonne mère de famille assurait également les soins des innombrables petits bobos.

Se cantonner dans un pré ou courir la plage pendant trois semaines sans avoir la curiosité de découvrir les environs eut été inconvenants. Une grande promenade fut organiser à Boulogne ce qui a nécessité un lever à 4 h 30 pour un départ prévu à 5 h 00 précises. Une visite de Notre-Dame de Boulogne, un arrêt à la colonne de la Grande Armée, une visite du port et de ses paquebots amarrés, quelques heures sur la plage et une invasion des remparts et de la citadelle furent le programme d’une journée bien chargée.

Et puis occulter la journée sensationnelle et attendue de tous « Quand le peuple est souverain » sera un irréparable dommage à la mémoire des colons qui ont vécu une expérience de vie démocratique. En effet, les dirigeants redeviennent colons ; 8 colons de 13 ans dirigent à leur tour.

Le programme concocté par ces révolutionnaire est digne d’être remémoré : Dès le matin, c’est la révolution, les barricades sont dressées ; des tentatives de renversement du gouvernement sont tentées. Le soir on réclame un dictateur. Finalement, tout rentre dans l’ordre car ce n’est pas si facile que cela de commander et d’organiser, malgré la bonne volonté de l’ensemble qui jouait le jeu. Le moment tant attendu fut certainement la mise à table avec les enfants des anciens dirigeants et des nettoyages et corvée que ceux-ci ont du faire sans rechigner.

Et pour conclure, cette fête de la Colonie qui annonçait la fin du séjour proche mais qu’on voulait la vivre comme pour toujours à cause de ces jours heureux passés en communion avec ses affres inévitables quand le souvenir des parents vous taraude l’esprit bien vite effacé par les joies de la collectivité, du bon air et de la bonne nourriture.

Questions plus terre à terre

Le curé-directeur, monsieur Favréaux a su en fin de stage rappeler aux parents des jeunes colons qu’à nouveau il fallait se battre pour que la colonie demeure. Il ne savait pas encore quoi demain sera fait, ni le lieu de la prochaine colonie, si colonie il y a !…En bon gestionnaire il a dressé le bilan de sa première grande mission et c’est à son honneur.

Pour simplifier ces dépenses sont les suivantes :

- Billets de chemins de fer : 106.371 fr.

- Frais généraux d’installation et de fonctionnement : 141.075 fr.

- Dépenses pour la nourriture : 313.035 fr.

- Dépenses diverses (guignol, ballons, promenades, cirque etc…) : 22.183 fr.

- TOTAL des dépenses : 583.183 fr.

Les recettes sont ainsi détaillées dans sa note d’information :

- Donné par la caisse des enfants de chœurs, les deux kermesses, les dons divers, les ventes etc. : 105.130 fr.

- Donné par les familles : 291.100 fr.

- Divers : 8.980 fr.

- Caisses d’allocations familiales : 55.060 fr.

- TOTAL des recettes : 460.270 fr.

Le budget sera équilibré si l’Etat consent à participer pour une somme d’une centaine de mille francs …le fera-t-il ?

Quelques scènes à Berck (juillet 1947) avec les enfants du canton d’Ay (Marne)

Les peluches

Au rabe de soupe

Où installera-t-on tout ce matériel l'année prochaine...?