La drôle de guerre
La drôle de guerre, c'est la période de la deuxième guerre mondiale (septembre 1939 à mai 1940) durant laquelle les armées françaises et allemandes restèrent face à face entre Rhin et Moselle, sans rien tenter ou si peu ! Ce fut par cette « inactivité » que les Français qualifièrent cette période de « drôle de guerre » et les Allemands de « komische krieg ». Maurice Froussart a relaté cette « inactivité » en tant que mobilisé devant Forbach dans son article intitulé « Du sang dans la neige ». Il serait intéressant de connaître le point de vue d’un civil ayant subi cet épisode historique ; madame Antoinette Ponsard a justement relatée ces faits dans un recueil destiné à ses enfants et qui a paru dans « La Boucle » en mars 2003.
Les abris
Pendant la période comprise entre septembre 1939 et mai 1940, plus connue sous le nom de la « drôle de guerre », les Ardennais voient se transformer leur quotidien par l'arrivée massive de militaires s'organisant dans la « zone armée ». Cette situation engendre des mesures de défense passive qui contraignent les habitudes de la population et les restreignent dans le ravitaillement et la circulation. Néanmoins la vie continue en se souciant du quotidien et en circulant librement dans sa commune de résidence ou les communes limitrophes. Les résidants du quartier de Manchester n'échappent pas aux règles imposées par les nouvelles mesures et s'y plient plus ou moins.
Roger Bertrand, témoin de cette période, raconte : "Chargé de famille, je suis démobilisé en novembre 1939 du 148 ème Régiment d'Infanterie, stationné à Evigny. Je rejoins ma nouvelle affectation à la Fonderie Clément-Bayard en qualité d'affecté spécial. En outre, je suis désigné chef d'îlot, responsable du bd Bronnert sous les ordres du Capitaine Schatz, lui-même, responsable de la défense passive du quartier. Ma mission est d'assurer un service de protection à la population devant les menaces de bombardements aériens. Une sirène actionnée électriquement, plantée sur le château d'eau de Manchester [actuellement démolie] avertit les habitants du début et de la fin de l'alerte. Mon rôle est de vérifier que les résidents exécutent les consignes en rejoignant les abris prévus à cet effet. Je recevais aussi d'autres consignes à mettre en application par le biais de messages de l'état-major installé à la Préfecture, comme : conseiller aux résidants de nettoyer les greniers et combles de toutes matières susceptibles de prendre feu, d’orner les carreaux de bandes en papier à installer en croisillon, afin qu‘à la moindre déflagration, ils ne tombent pas. On rappelait aux gens de tirer les épais rideaux, le soir pour qu’aucun rai de lumière ne filtre. "
Septembre 1939 - Roger Bertrand (en capote) en cantonnement à Evigny
Georges Nonnon, en qualité d'agent de liaison, alimentait en messages les différents chefs d'îlot. Ses moyens se limitaient à un vélo et un brassard de fonction à l'instar des chefs d'îlots qui portaient un brassard blanc comme seule marque d'autorité. « Nous éprouvions les pires difficultés pour faire appliquer les consignes, poursuit Bertrand, car les gens ne croyaient plus à cette guerre déclarée depuis le 1er septembre, d’ailleurs en février 40, le préfet se voulait rassurant en invitant la population à cultiver leur jardin. Des fausses alertes étaient organisées et on profitait de ces moments pour prodiguer des conseils aux habitants, d'ailleurs ces conseils étaient aussi diffusés par voie de presse. Elles n’étaient pas toutes fausses, en mars les activités aériennes étaient signalées dans tout le département. On avait distribué gratuitement des masques à gaz pour les enfants de moins de 18 ans avec obligation de les porter sur soi en permanence. C'était comique à les voir aller à l'école avec cette musette kaki en bandoulière qui battait les jambes des plus petits. Et puis les jours s’étiraient sans affaires sérieuses. À compter du 10 avril, ça bougeait au Danemark et en Norvège, on y envoya des soldats français. Les visages étaient soucieux. »
Les aménagements
Aussitôt la déclaration de guerre, Robert Voisin voit se réaliser des tranchées recouvertes de branchages pour assurer le camouflage. Elles sont agencées hâtivement au bout des allées des 100 baraquements par la population requise par la mairie en cette circonstance. Elles sont situées à chacune des extrémités des trois rues parallèles (Raulin, Rogissart, Hanot) et approximativement sur la future rue L. Dehuz. Elles seront peu à peu aménagées en abri pour recevoir les habitants dans des conditions de sécurité appropriées. On y accède par un couloir en ligne brisée pour éviter les effets de souffle d'une éventuelle explosion de bombe. Le jeune Nicaise se rappelle que l'un des abris était en béton, muni d'une cheminée d'aération et de sièges en maçonnerie. En cas d'alerte les résidants des trois Allées devaient se munir de couverture et occupaient l'abri désigné jusqu'à la fin de l'alerte. Un abri, plus conséquent, est aménagé rue Lécollier (en face de l'ancienne entrée de l'hôpital). Madame Klein le trouvait sinistre et jurait de ne jamais l’emprunter. L'école de garçons à St-Julien a aussi le sien d'où quelques exercices pratiqués préventivement par le directeur, aident les élèves à s'organiser sans panique et à installer leur masque à gaz efficacement. Les plus petits se plaignent que leur masque ne soit pas à leur mesure. Plus tard, en 1944, après les bombardements alliés du 7 mai 44, détruisant la caserne des pompiers, ceux-ci s'installent dans l'école du bd Bronnert et creusent un abri au milieu de la cour, qu’ils partagent avec les élèves. À l’école des garçons de St-Julien, entre les 7 et 13 mai 1944, Pierre Boitelet a gardé en mémoire les nombreuses alertes et évacuations vers les abris sous la direction des maîtres : « L’organisation était parfaite, à la militaire, dans l’ordre et la discipline…Nous avions en poche, à manger sur ordre, 4 biscuits vitaminés par personne, dans le cas où les bombardements dureraient et notre inséparable masque à gaz qui nous battait les jambes… L’alerte était donnée par la sirène installée sur le château d’eau… Nos abris étaient des tranchées couvertes qui devaient contenir la totalité des 5 classes d’alors… »
Les locataires des maisons en dur restent dans leur cave ou pour beaucoup s'éloignent des habitations pour la campagne. Cela a été fréquemment le cas à l'occasion des violents bombardements de mai 1944 ou chaque famille opte pour cette dernière solution comme en témoignent mademoiselle Patuel et madame Maétini, préférant la plaine de la Varenne pour la première et les carrières du « trou Moreau » (rue Scamaroni) pour la seconde. Madame Hénon ayant éprouvé les deux solutions, évoque avoir été surprise en plein raid aérien et avoir entendu un intense mitraillage sur le quartier du côté de la rue Jules Raulin. Une des maisons en porte encore les stigmates. À la libération de la ville, elle alla déposer un bouquet de fleurs à la Vierge noire, installée provisoirement dans une niche du Bois d'Amour, en signe de reconnaissance pour l'avoir protégée durant toutes ces épreuves. Quant à Roger Bertrand, il se souvient de cette année-là qui n'était pas dépourvue de risques. Travaillant la terre de son jardin, du côté des carrières, accompagné de son fils âgé de dix ans, ils virent à l'horizon un avion fondre sur eux en lâchant force rafales de mitrailleuses. « Juste le temps de se jeter au sol dans un réflexe commun, les balles labouraient le sol à peine à cinq mètres devant nous. »
Monsieur Masclet, mutilé de la guerre 14/18, résident de la rue A. France (Rogissart) a eu l'idée de pratiquer une ouverture dans le mur mitoyen séparant deux caves pour que les familles Mazzolini et Masclet puissent se réfugier dans la cave épargnée dans le cas malheureux d'une destruction de l'une ou l'autre de leur maison.
Après la guerre, ces abris laissés à l'abandon se sont couverts de végétation, formant des bosses informes. Le temps a eu raison de ces constructions disgracieuses. Entre deux abris un baraquement sert de salle d'entraînement à la boxe. Cet endroit a été longtemps un magnifique terrain de jeux utilisé par les gosses du quartier qui se combattaient d'un monticule à l'autre. "Les ceux du haut contre les ceux du bas du quartier" comme précise avec une pointe de regret Jacky Menneson. Plus tard, les besoins en terrain pour la construction firent que l'on rasât définitivement les ouvrages et effaçât du même coup les stigmates des années noires.