Anne Martin-Fugier a consacrée une étude aux Salons de la IIIe République (Ed. Perrin 2003, réédité dans la collection de poche Tempus en 2009). Elle cite Le Journal des Goncourt qui raconte une visite d'Edmond au château de Guermantes le 7 septembre 1873.
Trois femmes reçoivent Edmond de Goncourt, ou devrais-je dire trois générations de femmes d'une même famille dont la conversation intéresse au plus haut point l'écrivain, non par sa teneur mais par ce qu'elle révèle de la personnalité de ses hôtesses.
Eulalie de Chastenet de Puységur (1804-1889) a près de 70 ans, fille du marquis de Tholozan, elle partage la propriété du château de Guermantes avec son frère Edmond, célibataire. Trois ans plus tôt, au lendemain de Sedan, ils y ont reçu le futur empereur d'Allemagne, Guillaume 1er encore roi de Prusse. Pour l'heure, la vieille dame est allongée sur une chaise longue, toute dolente d'une piqûre de guêpe.
"Il m'échappe un mot méchant", dit Goncourt – il en écrit aussi – " un mot qui fait comprendre à ces dames qu'elles ont un partner. A ce moment, c'est un curieux spectacle que l'épanouissement de ces mondaines ennuyées et sans pâture d'esprit, que l'éveil qui se fait dans leurs figures, qui semblaient tout à l'heure sommeillantes, que l'affectuosité dont elles se prennent tout à coup pour nous. Jamais je n'ai vu une transfiguration pareille à celle qui a eu lieu chez la vieille Puységur. La guêpe est oubliée ; et comme un beau diable, elle s'agite et se remue, toute jubilante, sur sa chaise longue."
La maîtresse de maison a la méchanceté d'une grande dame : "L'exécution, chez elle, est faite moins avec des mots spirituels qu'avec des sous-entendus, des appuiements sur les choses, des soulignements de sourires, des riens perfides, tout l'arsenal du plus exquis et du plus meurtrier esprit français »
Veuve depuis longtemps, Madame de Puységur n'a qu'une fille : Julie (1830-1913), quadragénaire, elle s'est mariée à Guermantes en 1849 avec le baron de Lareinty alors officier d'ordonnance du général Changarnier. En 1873 il est conseiller général de Blain et sera élu à Port-Saint-Père l'année suivante avant de devenir président du conseil général et sénateur de Loire-Inférieure. Madame de Lareinty n'a pas la finesse de sa mère : "Elle éreinte les gens avec des paroles cruelles, des méchancetés de journaliste ou de foyer de théâtre, de la raillerie toute moderne, de la blague presque."
Née à Guermantes comme sa mère et son frère aîné Jules, futur député de Saint-Nazaire, Guillemette Baillardel de Lareinty n'a pas vingt ans, elle est mariée à un officier de marine, le comte Gabriel de Pâris de la Brosse. Concluant son portrait de famille, Edmond de Goncourt n'est pas tendre pour la petite-fille dont la naïveté apparente se révèle redoutablement perverse :
"Ce sont à tout moment, des interrogations, des demandes d'explications, des airs de ne pas comprendre, une sollicitation continue, près de la méchanceté de sa grand-mère, près de la méchanceté de sa mère, à se faire plus claire, plus accusée, plus mordante, plus assassine."