Chante, loup ! le nom du village

Chante, loup ! Le nom du village par Jean-Pierre NICOL

Quel drôle de nom ! Avez-vous jamais entendu chanter un loup ? Le loup hurle, il ne chante pas. Mais pour dire le lieu, pour repérer l'endroit, pour distinguer un groupe de maisons des groupes voisins, ce nom curieux a été attribué. Signifie-t-il que, par extraordinaire, un loup y aurait poussé la chansonnette, entonné quelqu'air de bel canto, psalmodié une cantilène ou les exploits épiques et lyriques d'un héros local, tel le barde Assurancetourix ? Bien qu'un conteur nous ait narré une histoire compliquée où le loup, enfermé dans l'église, s'inventa une vocation de chantre, et quoique, en d'autres lieux, un conte semblable nous ait été servi, le fait paraît peu vraisemblable. En France, en Catalogne, plusieurs endroits sont ainsi nommés, laissant l'auditeur perplexe. Il faut bien justifier pareille incongruité. Le chant du loup rappelle-t-il que ce carnassier a habité le bois de Chigny ?

Sans doute non. Le loup a hanté les campagnes et les contes cruels que l'on racontait aux petits-enfants. L'animal fait peur, encore aujourd'hui. Or, il est associé à plusieurs noms de lieux. Même si l'animal a réellement vécu à proximité, donne-t-on le nom d'un dangereux ennemi au lieu où l'on vit ? Les qualités vocales du loup, en dépit d'une plaisante histoire, ne permettent pas de démasquer l'origine du toponyme. Les érudits viennent trop souvent casser les facéties de l'imaginaire. Toutefois, nous, enfants trop vite grandis, préférerons toujours les curiosités anecdotiques aux considérations savantes !

Un nom commun

Le nom est fréquent dans nos campagnes et même dans les pays de langue romane. En Catalogne, dans les Albères proches de la frontière française, se trouve un Cantallops, traduction catalane du nom. Plus d'une cinquantaine de lieudits (communes, hameaux ou fermes) portent ce nom. Le nom peut aussi s'écrire Chanteleu ou Canteleu, sachant que le patois préfère souvent leu à loup. Tous ne sont pas constitués en commune. En Ile-de-France, une autre commune est appelée Chanteloup : Chanteloup-les-Vignes, département des Yvelines. En Essonne près de Châtres – l'actuelle Arpajon, nom substitué au XVIIIe siècle – est situé un Chanteloup où fut fondé un couvent de moniales par Jeanne de Navarre sous l'invocation de saint Eutrope. Ce qui explique qu'un érudit l'ait confondu avec le village près de Lagny[1]. En Seine-et-Marne, plusieurs lieudits sont nommés Chanteloup[a] : une ferme près de Moissy, à Jablines (détruite), un lieudit à Esmans, à Fleury-en-Bière, à Montgé-en-Goële, et un ancien fief à Villegruis-Beauchery (en 1272).

Le loup partout présent ?

L'animal le plus cité du folklore européen, incontestablement, c'est le loup. Les contes où il apparaît, suscitent l'épouvante. Pour les enfants, il est associé à la nuit, aux peurs, aux angoisses. Monstre cruel, animal farouche, féroce, doué de force, capable d'échapper aux plus fins chasseurs, il est à la fois redouté et méprisé. S'il est chassé, il n'est pas un gibier : animal au sang noir, il porte la maladie, il échauffe les esprits, dénature qui le consomme. Le loup symbolise à satiété les craintes d'hommes vivant dans l'insécurité et pour qui la sombre forêt, représente le monde mystérieux et dangereux de l'ensauvagement, l'inconnu menaçant, la peur quotidienne. Il a envahi l'imaginaire des hommes soumis aux incertitudes, au point de s'ancrer dans les esprits plus que dans le paysage. Car le nom ne doit pas être confondu avec ce qu'il nomme : si le nom fut logé en maints endroits, il n'est pas avéré que la bête y logeât.

Le chien est dit le meilleur ami de l'homme, ou bien le cheval, mais le pire ennemi de l'homme reste le loup. Encore de nos jours, l'introduction du loup dans des espaces naturels soulève de véhémentes protestations. Et la chasse au loup, réglementée, est toujours placée sous l'autorité de l'État. Depuis l'Antiquité, le loup est traqué. Un auteur a pu parler d'une chasse de deux mille ans[b].

Le loup a-t-il habité le bois de Chigny ? Il est permis d'en douter, même si la forêt a été plus étendue jadis (voir plus loin). Ce bois se trouve au contact immédiat de Lagny et de trois autres villages. Le bois était parcouru et restait intimement lié à l'activité humaine. Le lieudit La Charbonnière entre Montévrain et Serris rappelle que le charbon de bois y fut produit. En fait, ce bois est implanté dans un espace intermédiaire entre la forêt de Ferrières et la vallée de la Marne, d'où le loup était pourchassé. S'il est certain que la forêt de Ferrières a hébergé l'animal, sa présence aux abords de Chanteloup n'est guère attestée, sauf sur le blason de la commune. Dormez tranquilles, petits-enfants, seul le marchand de sable passe ici.

Dans le répertoire des saints, plusieurs portent le nom de Loup et protègent de ses méfaits. La plupart des personnages ainsi désignés ont exercé une fonction épiscopale, les bergers de leurs peuples en vertu de la métaphore apostolique. Loup de Troyes est le premier connu, il fut évêque et mourut en 478, puis, selon l'ordre chronologique, Loup de Bayeux (Ve siècle); Loup de Soissons († vers 540), Loup de Lyon († 542), Loup de Chalon-sur-Saône († 610), Loup de Sens († 623), Loup de Limoges († 632 ou 637), Loup d'Angers (VIIe siècle). Ajoutons quelques autres personnages saints dont le nom voisine celui de Loup : saint Lubin, évêque de Chartres entre 544 et 557, saint Lupicin, saint Louvent, saint Leufroy, saint Lupulus. La forme germanique (W)ulf se reconnaît chez saint Oulph, saint Ulphe, ermite du diocèse d'Amiens, saint Ulfrid, saint Ulphace, et aussi en saint Walfroy († 595), nommé aussi Wolf ou Vulfe, stylite puis ermite en imitation de saint Martin dans les Ardennes. Dans les pays de langue d'oc, saint Loubès et saint Loubert appartiennent au groupe louvier. Enfin, saint Blaise vient s'agréger à cette liste : en langues celtiques ce mot désigne le loup, et ce saint (qui fut berger en Asie mineure) protège les troupeaux.

La retraite en forêt, pour une période plus ou moins longue, apparente le saint au lycanthrope, l'homme-loup, le loup-garou. Homère met en scène un être de cette espèce au chant X de l'Iliade : l'épisode de Dolon qui fournit l'argument d'une tragédie d'Euripide Rhésus. On y trouve la trace d'une légende support de rituels antérieurs. Plusieurs aspects du caractère sacré du loup se notent dans des rites soit de fondation de ville (Lycaon, hospitalité, légende de fondation de Rome) soit de groupements initiatiques où le nouveau loup est sacralisé, quitte ses vêtements et reste plusieurs années dans les bois, retranché de la société humaine. Le comportement des loups-garous peut être rapproché des rites de chasse depuis les chamans jusqu'aux mythes de Dionysos et de Wotan. Aussi bien la mythologie grecque que les Luperci de Soracte en Italie, les guerriers-loups de Germanie ou les loups-garous du légendaire français séjournent de 6 à 9 ans dans la forêt avant de retrouver forme humaine. L'ensauvagement constitue un trait constant. La forêt fournit le gîte et le couvert aux loups et aux hommes devenus loups. Dernier point, et non le moindre; le folklore européen raffole du loup, jusqu'à en avoir fait un personnage de la littérature (Roman de Renart, Marie de France, Fables).

Le loup en toponymie

Plusieurs endroits se nomment Chanteloup. Le nom du loup est inclus dans d'autres toponymes : il faut ajouter les Canteloube, Cantaloup, Penteloup, Usseloup, Pisseloup, Retourneloup, Gardeloup, Gratteloup ; et aussi les dolmens ou les pierres dressées qui font référence au loup un peu partout en France.

Je me permets de citer aussi un article que j'ai écrit récemment[c] : En toponymie, le mot loup ou leu est souvent attaché à des mégalithes, ainsi que le remarquait déjà Louis Graves au XIXe siècle. […] Mais à partir de cette observation, le nom de certains lieudits s'éclaire. Retourneloup peut désigner une borne à la jonction de deux voies comme à Esternay (Marne) RN4 Paris-Vitry-le-François et RN 34 Paris-Lagny-Coulommiers. Ainsi trouve-t-on une Pierre Louve dans le Gâtinais. À Moret-sur-Loing, il existe un Pont Loup, sans doute au voisinage d'une pierre qui signalait un passage à gué. Peut-on interpréter Pierre-à-Lu (Mehun-sur-Yèvre) comme Pierre à leu ou Pierre à Lug ? Dans le cadre de cette conjecture, l'association de sainte Austreberthe (la sainte qui dompta un loup vorace) à un mégalithe dans la commune qui a pris son nom, est mieux justifiée. Près de Neuvy Deux-Sèvres, la Merveille de la Garelière (une merveille désigne des pierres assemblées) repose sur deux points d'appui, mais oscille [ce] qui lui a fait donner le nom de "Grotte de l'Hermite" ou "Grotte aux Loups” : nous retrouvons l'association de l'ermite et du loup ! L'association dolmen-nom du loup est fréquente. ”

La légende du loup qui chante.

Un tel nom de village évoque bien sûr les histoires de loups qu'on racontait aux enfants jadis. Un loup est mieux reçu s'il chante plutôt que s'il hurle, à la nuit tombante… Le merveilleux s'insinue avec le toponyme, ce qu'on appelle habituellement une étymologie populaire. Donc, les conteurs vont broder sur le thème du "loup qui chante". Mais ce conte a des racines profondes.

La légende

Elle est ainsi racontée par Georges Husson, en 1877[2] Elle a été maintes fois reprise et citée[d] :

“Mon père n'était pas encore né, mon grand-père non plus. L'église que voici n'était qu'une petite chapelle où un prêtre retiré du monde disait la messe tous les jours. Ce prêtre était-il jeune, était-il vieux ? Il y a si longtemps de cela que le père de mon grand-père, de qui je tiens l'histoire... n'en savait rien. Tout ce que je puis vous dire, c'est que le digne homme avait avec lui une chèvre extraordinaire qui parlait comme vous et moi, qui chantait mieux que le père Ambroise lequel est pourtant le premier chantre de la paroisse. On croit que ce prêtre avait été marié jadis à une toute jeune fille du grand monde, coquette et frivole, et que Dieu, mécontent de la conduite de cette femme, avait fait passer son âme dans le corps d'une chèvre et, par le même miracle, avait permis que la chèvre parlât comme parlait la femme. C'est à la suite de cet événement terrible que le prêtre était venu implorer, mais en vain, la miséricorde de Dieu pour sa femme dans ce pays qui n'était alors qu'un vaste désert. Voilà du moins ce que j'ai entendu dire.

Or, un soir, la chèvre qui aimait à courir et à bondir en toute liberté, s'était un peu éloignée de la chapelle et, arrivée sur la lisière du bois de Chigny, s'était trouvée face à face avec un loup... comme qui dirait moi avec vous (sic). Sans perdre de temps, la malheureuse s'était enfuie jusqu'au moulin que fait tourner le Gondoire et le loup s'était mis à sa poursuite. De là, elle s'était dirigée sur la chapelle de son maître et, se voyant sur le point d'être atteinte par la bête fauve, elle était entrée dans le sanctuaire, toujours suivie. Dans ce lieu dont elle connaissait tous les coins, il lui fut facile de dépister le loup, et, profitant du moment où ce dernier, dépaysé, s'était égaré dans la sacristie, elle sortit à la hâte, et, refermant la porte derrière elle, dit de sa voix la plus forte : "Chante! loup!"

Et elle retourna dans la chaumière de son maître, à qui elle conta son aventure. Le cri de la chèvre: Chante! loup! a traversé les âges, jeune homme, et quand plus tard des maisons se sont groupées autour de la chapelle, on a appelé le village qu'elles ont formé: Chanteloup. Et voilà la très véridique et très remarquable histoire de Chanteloup ! ". Le berger avait fini.

Je remis une seconde pièce blanche dans la main du conteur, ce qui lui fournit l'occasion de me faire une nouvelle révérence, et, heureux de savoir pourquoi et comment Chanteloup était Chanteloup, je repris le chemin de Lagny, non sans regarder, en entrant dans le bois de Chigny, si le vilain loup n'était pas encore là à attendre l'arrivée d'une nouvelle chèvre !

P.S. : J'avais oublié de demander au berger ce qu'était devenu le loup après que la chèvre l'eut enfermé dans la chapelle. A mon second voyage à Chanteloup, m'étais-je dit, je réparerai cette omission. Mais, hélas! quand je retournai dans le pays, j'appris que mon pauvre vieux conteur était passé de vie à trépas... et personne ne put me renseigner ! Le berger avait emporté sa légende avec lui dans la tombe !...

Un air connu

À ceux qui tiendraient cette histoire pour véridique ou vraisemblable, il convient de dire que plusieurs autres lieux nommés Chanteloup, connaissent de semblables contes. Pierre Glaizal a rassemblé plusieurs versions[e]. J'y ai ajouté un commentaire[f]. “Cette narration «rationalise» en chante, loup ! l’appellation du petit village, sans doute à partir du schéma ardennais (nombre d’Ardennais sont venus en Brie fin XVIIIe début XIXe siècle). Il est en effet aussi rare d’entendre un loup chanter qu’une pie ou une raine : l’un hurle, l’autre jacasse, la dernière coasse. Il faut bien justifier un nom aussi bizarrement significatif ! La légende du loup qui chante est mentionnée dans un livre où sont recueillies les étymologies cocasses ou facétieuses de noms de villes et villages. Mais, pour éclairer ce type d'étymologie, l'auteur s’appuie sur un sens du mot chanter (crier, hurler) qu’aucun dictionnaire ne connaît[g]. Ni le Godefroy, ni le Greimas, ni le Trésor de la Langue Française, ni le Robert ne mentionnent cette acception du verbe. Il semble bien que le «parler populaire» [sic] ne soit qu’une approximation d’érudit.”

Pierre Glaizal le rapporte. Souvent présentés comme des anecdotes réelles, ces contes ont en commun de nombreux traits. Le thème est attesté dans l'Antiquité : Ésope rapporte (fable 222) Le loup et un jeune agneau réfugié dans un temple. Il apparaît, bien des siècles après, dans des recueils de contes flamands, germaniques ou français. Ce conte est bâti sur une trame assez simple. Le loup veut manger la chèvre, celle-ci l'entraîne dans une chapelle et l'y enferme, le loup est finalement capturé ou tué. Cette trame est reprise avec des variantes en 43 endroits. Dans une majorité de cas, le lieu du conte se trouve dans une zone "frontalière", à la limite des territoires des anciens peuples gaulois. À propos d'une version recueillie à Courtaoult que le Répertoire archéologique du département de l'Aube situe à la jonction des cités gallo-romaines des Sénons [Sens], des Lingons [Langres] et des Tricasses [Troyes]. “Mieux : l'espace boisé séparant Courtaoult d'Ervy-le-Châtel se nomme la Guérande, toponyme d'origine gauloise signifiant «la rive», la frontière. Cette étonnante situation en frontière gauloise me semble un élément capital. C'est aussi le cas de Chanteloup-en-Brie, situé en limite des évêchés de Meaux et de Paris.”

Le loup marque en quelque sorte le territoire. Il borne une ligne qui sépare une région d'une autre. Ce constat renvoie aussi à l'association loup – pierre levée dont la marque sur le terrain permet de cadastrer le canton et de borner. La pierre conserve éternellement la mémoire du point où se rencontrent (ou bien s'affrontent) deux communautés humaines. Au passage, notons que les pierres tombales remplissent le même rôle : séparer les morts des vivants et garder la mémoire des défunts. Ainsi les mégalithes qu'on distingue dans le paysage, ont été bien souvent été maintenus parce qu'ils servaient de point de repère. Chanteloup est sis dans la zone où Parisii et Meldi se joignaient, les évêchés ayant maintenu les antiques divisions entre civitates.

Si le loup ne chante pas

Si le loup ne chante pas, le nom signifie sans doute autre chose. D'autant que l'orthographe – au rebours de ce qui se dit – n'est pas une science exacte. Et, pour les noms propres, mon instituteur répétait qu'il n'y avait pas d'orthographe. D'ailleurs, au cours des siècles, les graphies associées au nom du village ont varié. Dans un même document, en l'occurrence le registre tenu par le curé Le More, le rédacteur l'écrit de huit façons différentes.

Le champ de loup ou le champ de l'eau ?

Plusieurs étymologies – ou, plus exactement, plusieurs justifications ou explications – ont été données à ce nom. Toutes, mise à part l'anecdotique vocalise de la bête féroce, s'appuient sur la configuration du lieu et gardent une part de bon sens. Chacune a servi, à un moment ou à un autre, à comprendre comment s'est installé ce village. Un toponyme, un nom de lieudit, fournit au passant un point de repère : autant le relier à un aspect du terroir ou à l'une de ses caractéristiques.

La figure de mots sous-jacente accepte de séparer le chant et le loup dont le rapprochement semble, de toute façon aussi incongru que la rencontre d'un parapluie et d'une orange sur une table d'opération. Le nom de Chanteloup, avant le XIXe siècle est instable : les documents médiévaux essaient divers noms Cantu Lupi (cloche de l'église XIIIe siècle) Campi Luppi (1270 Cartulaire de Notre-Dame de Paris) Canto Lupi (1318) qui témoignent d'une certaine méconnaissance du latin et d'une transposition maladroite d'un nom français en latin macaronique[3]. Le terrier de l'abbaye de Lagny, dressé en 1583 nomme le village Chantelou ou même Chantellou, sans le p final. Sur la carte de la Généralité de Paris dressée par Damien de Templeux en 1666, le village est nommé Canleu[4], ce qui se conforme aux patois de la France du nord où le loup et appelé leu.

Comme je l'ai dit plus haut, le curé Le More écrit le nom du village de plusieurs façons, signe que l'orthographe et la toponymie ne font pas toujours bon ménage. Champdeloü, Champdeloüe, Champdeleu, Chantelou, Chanteloux, Chantloü, Chanteloup ou Champdeleau. Cette graphie, qu'il est le seul à proposer (même si elle reprise dans la monographie de l'instituteur Féret), est livrée l'occasion de la reconnaissance des limites du village[h]. Il expose son explication personnelle : partout l'eau affleure ou jaillit du sol en sources. Et de lire la plupart des lieudits du terroir comme noms de source ou déformation d'anciens noms liés à l'eau. J'y reviens plus loin. Il suppose donc que, dans les temps anciens, le nom latin du village devait s'écrire campus aquæ, c'est-à-dire champ de l'eau. Rien ne l'atteste, mais l'observation du terrain est juste. Entre forêt de Ferrières et Marne, l'eau est partout présente.

Les saints patrons des églises sont tous plus ou moins liés à l’eau : Geneviève à Jossigny, Anne à Conches, Fursy à Lagny, Thibault à Saint-Thibault-des-Vignes accomplissent des miracles liés à l'eau ; le nom de Geneviève, parfois appelée Guenièvre emprunterait au gaulois son sens de Blanche Eau[5]. Anne permet de sanctifier un lieu, sans doute jadis, nommé ana ou ane[i]. Fursy fait jaillir l'eau de la fontaine près du chevet de l'église Saint-Pierre[6] en plantant son bâton dans le sol. Même type de "miracle" à Saint-Thibault-des-Vignes : un moine (un fou ou un simple selon d'autres) voit apparaître en songe le saint qui lui indique où planter un bâton pour faire sourdre l'eau. La butte où est installée l’église de Bussy-Saint-Martin domine la confluence de la Gondoire et du ru de la Broce ; les rapports de saint Georges et de l’eau sont connus. L’église de Chanteloup est officiellement dédiée au saint Sauveur, mais le saint patron de la commune est Eutrope, dont l’eau guérit les estropiés selon la tradition locale. Le nom de Montévrain, tout comme celui de Coutevroult inclut un des mots qui désignent l'eau èvre sans que l'on puisse savoir exactement s'il s'agit d'un nom de personne Evrain ou Vrain[7], ou un appellatif du terrain où affleurent les eaux.

L'analyse de structures découvertes lors des fouilles archéologiques menées à Jossigny apporte un renfort inattendu. L'article qui expose les résultats et propose des hypothèses d'interprétation, recense une même disposition à un autre endroit, situé dans la ville nouvelle de Melun-Sénart, nommé Chanteloup. Il y a été trouvé des réseaux de fossés gallo-romains sur plusieurs dizaines d’hectares. Des zones d’habitat et/ou d’activités ont également été décelées. Pour les deux sites étudiés, ces éléments paraissent constituer de forts indices de la présence d’un réseau de drainage agricole. Outre la fonction de drain, ces fossés entourent des parcelles. La clôture des champs a longtemps marqué le paysage agraire.

Le champ clos.

L'abbé Lebeuf[j], dans sa notice sur Chanteloup en Brie, met en garde le lecteur de ne pas confondre le chant de Chanteloup avec celui des oiseaux. Selon lui, il s'agit d'une mauvaise écriture pour champ. Soucieux d'exactitude historique, il débusque l'erreur de localisation commise par un de ses prédécesseurs ; il ajoute ceci “[…] ce que je dis ci pour empêcher qu'on ne croie que nos Rois aient jamais habité à Chantelou près Lagny ainsi qu'il est marqué dans le nouveau Glossaire de Du Cange, au mot Palatium, pendant que c'est à Chanteloup-lèz-Châtres qu'ils ont été.” C'est-à-dire, au Chanteloup d'Arpajon, sur la route de Beauce et d'Orléanais. M. Eberhart suggère que le nom phonétise l'aloue, ancien nom de l'alouette dont le chant serait plus naturel en ce lieu[k].

Il me paraît plus conséquent de comprendre ce toponyme comme un terroir (ensemble de terres cultivées ou exploitées), *canto, marqué par des pierres (bornes dressées), leu ou loup. Le mot *canto, vraisemblablement d’origine gauloise[l], produit le mot canton qui, avant d’être une division institutionnelle du territoire français, fut (et parfois reste) la désignation d’un ensemble de terres. Autre nom dérivé, le chantier qui désigne aussi bien le champtier (ensemble de champs) que la portion de rivage (une bordure, un liseré) où étaient entreposés les matériaux. Et encore chant comme bordure délimitant une surface (le chant d’une table) ou liseré d’un cadre. Ces mots sont anciens et ont pris un sens technique que nos modernes pratiques rendent d’accès difficile. Il n'est pas du tout invraisemblable que ce mot et le mot champ partagent une origine commune.

Le sens de loup comme pierre ou borne, indiqué par Graves (1856), dérive de leu ou *leve (à rapprocher de toponymes comme Pierrelevée ou Pierreleu…). Souvent, pour ne pas dire très souvent, les toponymes qui incluent le mot loup, sont associés à des pierres dressées ou à des dolmens et menhirs. Certes, il ne faut pas ignorer toute la mythologie du loup, ni les craintes que cet animal a suscitées (et suscite encore), mais la projection de réalités animales sur des supports géographiques par le truchement de mots à semblable morphologie, demande d’autres précautions critiques. Bien souvent les toponymes associés aux loups ne peuvent pas correspondre à leur habitat ! Il faut y regarder à deux fois si on veut éviter les raisonnements circulaires (le loup est familier du lieu, parce que le loup existe et que lieu porte son nom). En dépit de la proximité de nombreux espaces boisés anciennement[8], la présence du loup est improbable. Il paraît peu pertinent de nommer un village du nom de son ennemi. Il faut donc réinterpréter ce mot. Le loup du village est un leu un ensemble de bornes qui repère le lieu habité par des humains.

Chanteloup a borné son territoire de pierres, établissant une sorte d'enclos dans lequel les hommes ont organisé leurs activités, telle pourrait être la signification de ce toponyme. Redoublant la fonction de marche entre Parisiens et Meldois, le nom Chanteloup décrit sa fonction dans le paysage. L'origine et l'usage du nom venaient de si loin que plus personne ne savait plus l'interpréter. Et des esprits imaginatifs ont narré un conte invraisemblable, mais tellement merveilleux…

Le marquage du terroir. Lieudits et repères

La commune de Chanteloup est riveraine de Montévrain (nord-nord-est) dont Raymond Delavigne a montré le caractère «frontalier». Elle touche Lagny-sur-Marne (nord et nord-ouest) : le bois de Chigny est une «limite naturelle» encore aujourd’hui (je peux témoigner d’un conflit récent, avec affrontement, entre les maires des deux communes, où ledit bois tient un certain rôle). Elle touche aussi Conches-sur-Gondoire et Guermantes (à moins de 100 m), Bussy-Saint-Georges et Jossigny. Le terroir de Bussy était vraisemblablement plus étendu avant le XIe siècle, regroupant alors à l'orée de la forêt, les communes actuelles de Bussy-Saint-Georges, Bussy-Saint-Martin, Guermantes, Ferrières-en-Brie. La forêt de Ferrières sépare le bassin hydrographique de la Marne et celui de l’Yerres. Le point culminant de Jossigny (butte de Belle Assise, point géodésique) sépare trois bassins : la Marne, l’Yerres et le Grand Morin. Une chapelle Saint-Léonard jouxte cette butte. Léonard est l’un des substituts de Pierre – saint Pierre ès liens délivre les prisonniers, soulage les femmes en couches et les parturientes –, ce qui n’est pas sans intérêt pour marquer le lieu. Toutes ces communes appartiennent au bassin de la Gondoire et de son affluent le ru de la Broce (ou Brosse). Elle est nommée ru de Sainte-Geneviève à Jossigny où l'eau sourd, ru de Fontenelle à Chanteloup et Gondoire au-delà, jusqu'au moulin de Douvres à Torcy. Douvres est sans doute issu d’un mot pré indo-européen *dubr, assez commun parmi les hydronymes européens.

Le terroir de Chanteloup est jalonné de lieudits. Ces noms étaient utiles pour repérer tout endroit alors que les cartes géographiques et les cadastres étaient rares, voire inexistants. Le grand Cartulaire de l'abbaye Saint-Pierre de Lagny[9], établi en 1513 par Nicolas Vincelot, notaire royal et tabellion à Lagny, a été "perdu" jusqu'en 1644[m], c'est dire combien on pouvait s'en passer alors. La transmission orale suffisait. Le terrier français de 1583 livre peu de noms.

Avant la généralisation du cadastre, les terroirs recevaient des noms propres pour les distinguer les uns des autres. Il n'existe pas de système général de désignation des lieux. Le plus souvent la dénomination adjoint à un nom trivial, d'usage courant (champ, fontaine, pré, maison, etc…) soit une caractéristique soit le nom d'un homme, soit un autre signe distinctif. Mais certains mots vieillissent mal et ne sont plus compris, tant qu'ils nous semblent bizarreries. En certains cas, les mots incompris sont remplacés par un autre mot qui paraît plus "compréhensible". Les toponymes vivent leur vie en quelque sorte : ils peuvent mourir ou transmettre selon les époques. Notre siècle est remarquable à ce point de vue. Du fait des changements de modes de vie, de l'urbanisation et des nécessités administratives, les noms ruraux s'effacent ou ne sont maintenus que par choix arbitraire ; d'autres noms s'installent dans les quartiers nouveaux ou les rues qui les parcourent.

Principaux lieudits

Les toponymes (noms attribués aux lieudits par les habitants ou les arpenteurs ou les géomètres) ont été rangés ici par ordre alphabétique. Pour chacun, j'ai tenté de retrouver le sens des mots, puisque ces mots n'ont sûrement pas été choisis au hasard. Certains sont mentionnés dans le cartulaire de l'abbaye de Lagny. Ils sont donc datés au mieux du XVe siècle, mais il existe une forte probabilité pour qu'ils aient été hérités de la période d'apparition du village, voire de périodes antérieures puisque les traces d'occupation du terroir remontent au néolithique et que les hommes de cette période parlaient (mais nul ne sait vraiment quelle langue).

Les lieudits conservent divers aspects de la vie rurale : les usages, la situation ou la nature des cultures, ou combinent ces caractères. Le cartulaire établi pour l'abbaye de Lagny énonce les différentes parties du terroir, qu'on nomme parfois cantons. Le plan d'intendance dressé en 1784 situe les lieudits sur une carte qui ne distingue pas Chanteloup de Montévrain. Il a été établi pour toutes les paroisses de la Généralité de Paris. Le cadastre date de 1824[10]. Il comporte deux feuilles ; à la différence du plan d'Intendance, il précise la position de chaque parcelle, dans un but fiscal évidemment. Il a été rénové et refondu en 1906 et regroupe 4 feuilles. Une autre édition a été dessinée après le remembrement des terres agricoles en 1954.

Bois de Chigny (Cartulaire, Plan d'intendance, Cadastres) : au nord-nord-ouest du village, riverain de Lagny et de Conches, Chigny désigne un fief de l'abbaye de Lagny entre le faubourg Saint-Laurent et Montévrain. Le château de la Grange-du-Bois[11] (sortie de Lagny entre la route de Provins et la route de Coulommiers) fut longtemps résidence de l'abbé de Lagny. Le Bois de Chigny appartenait à un ensemble boisé de plus vaste étendue qui fut relié à la forêt de Ferrières avant les défrichements qui ont précédé la fixation du village, vers le XIe siècle. Il sépare Lagny du plateau situé à l'est et constitue d'une certaine façon une barrière. Jusqu'au XVIIIe siècle, seule la route de Provins le traversait en tant que voie de communication. Le procès-verbal de délimitation de la commune commence dans ce bois. Ce nom peut être rapproché de Chilly (Essonne) et Signy[12]. M. Roblin[n] propose de rapprocher ce nom de Chessy en les faisant dériver tous deux d'un *Cassaniacus, lieu du chêne cassanea (gaulois). Un document de 1668 appelle ce bois “de Chesny”[o].

Champ Héron (Plan d'intendance) : proche du Champ Malard, situé entre Vellemard et Fontaine Cassepot en limite de Montévrain, ce lieudit appartient à l'ensemble de champs qui s'inclinent vers le vallon du ru Bicheret. Je n'ai pas trouvé trace d'un propriétaire nommé Héron. S'agit-il de l'oiseau ? Certains nichent dans les lieux humides encore aujourd'hui. Incontestablement un lieu de sources.

Chêne Saint-Fiacre (Cadastre 1904) ou Chêne à Fiacre (Plan d'Intendance) : à l'est du village, il marque la limite entre Montévrain et Chanteloup. Saint Fiacre est un saint irlandais établi en Brie au VIe siècle, près de Meaux. Le chêne est planté en marqueur dans le paysage. La robustesse et la longévité de cet arbre le désignent comme repère. Dans les usages médiévaux, il a conservé une part de ses origines : saint Louis, roi de France, tout catholique qu'il fût, a fait savoir qu'il rendait la justice sous un chêne. Ce caractère sacré que les Celtes (et les Grecs) lui attribuaient, est reconduit par la sanctification où l'Église lui a associé saint Fiacre. Enfin, ce toponyme rappelle l'ancien boisement du lieu : un canton de forêt sur terrain sec, dans un espace où prédominait la végétation humide. Saint Fiacre est honoré dans le diocèse de Meaux où il s'était établi.

Légende de saint Fiacre[p]

Venu d'Irlande – il est dit venir d'Hibernie – il fut accueilli par l'évêque de Meaux Faron (qui sera lui aussi sanctifié). Ayant vocation d'ermite, il obtint de l'évêque de Meaux le droit de s'installer au lieudit le Breuil (un lieu boisé où la végétation est embrouillée et difficile à pénétrer) où il pourrait occuper le terrain délimité par un fossé creusé de sa main en un jour. Fiacre serait alors parti, tenant un bâton qui, miracle certain, creusait derrière lui un fossé assez large, les arbres tombant de part et d'autre. Une femme, la Becnaude, voyant cela, l'insulta et courut le dénoncer à Faron comme sorcier. Mais celui-ci, reconnut le prodige divin et releva Fiacre. Lequel aurait laissé l'empreinte de son auguste fessier sur la pierre où il s'était assis en attendant que l'évêque de Meaux vint s'assurer de la qualité de sa foi.

Il fonda alors un monastère où il était strictement interdit aux femmes de pénétrer. Même Anne d'Autriche, bien qu'elle fût reine de France, ne put y entrer alors qu'elle y avait accompli le pèlerinage. Cette interdiction est attestée chez les disciples de saint Colomban qui a propagé les règles irlandaises du monachisme en Gaule au VIe siècle.

Il est fêté le 30 août. Il est le patron des jardiniers : le bâton est devenu bêche dans les images qui le représentent. Saint guérisseur, il élimine les fics ou fiocres – comme le nom l'indique dénominations patoisantes des hémorroïdes. Cette vertu répond au fait légendaire de la pierre ramollie.

Ferme du Pavillon (Cadastre 1904) : placée au centre du village, elle se situait jadis légèrement à l'écart de l'agglomération non loin du carrefour des voies qui chemins qui conduisent l'un vers Jossigny et Bussy-Saint-Georges, l'autre vers Montévrain. Le mot de pavillon est parfois associé à des espaces boisés et à l'exploitation des arbres. Dans certaines provinces, c'est une mesure de volume du bois coupé. Ailleurs, il s'agit d'une exploitation forestière. Il désigne aussi un simple abri de bûcheron, plus proche de la hutte que du pavillon de banlieue, sens que ce terme a fini par prendre à la fin du XIXe siècle. Ici, le sens d'habitation est probable puisque la ferme n'apparaît qu'après le XVe siècle.

Fontaine Cassepot (Plan d'intendance) : ce lieudit s'insère dans l'ensemble de terrains qui séparent Chanteloup de Montévrain, entre la ferme des Corbins et les Quinze Mares. La fontaine désigne une source, phénomène abondant dans cette partie qui conduit au ru de Bicheret, au sortir du Bois de Chigny. Le nom Cassepot est plus difficile à interpréter. Bien sûr, on peut fabuler à loisir sur un endroit où se cassent les pots et même imaginer un conte expliquant sérieusement que nos ancêtres venaient y casser leurs poteries usagées ou ébréchées en venant puiser l'eau à la fontaine. Rien n'atteste un tel usage. Pour ma part j'y lis plutôt le nom d'un poteau (pot) associé à un chêne (casse) indiquant une limite de défrichement. Le nom gaulois du chêne est cassanea, mais l'évolution phonétique donne plutôt chasse en langue d'oïl (au nord du Massif Central) alors que les langues d'oc ont conservé la prononciation casse. Le Cassepot aurait la même fonction que le chêne Saint-Fiacre. Une autre hypothèse tire le mot casse de patois du centre de la France où il désigne un fond de petite dépression, plutôt boueuse et pauvre. Ce terme pourrait éventuellement s'appliquer ici. La toponymie reste une science inexacte.

Fontaine Malard ou Pré Malard ou Mallard (Plan d'Intendance, Cadastres) : dans le même ensemble de zone humide, au sud-est du bois de Chigny, que la Fontaine Cassepot ou le Champ Héron, ce lieudit a été disputé entre Montévrain et Chanteloup (voir plus loin chapitre 6). Apparemment, il a été cultivé au début du XVIIIe siècle, car la dispute porte sur le versement de la dîme novale, somme due dès qu'un nouvel espace est mis en exploitation. Le nom de Mallard apparaît dans une curieuse affaire judiciaire mettant en cause des officiers (chargés de l'administration) de l'abbaye de Lagny[q].

Fontenelle (Cartulaire, Plan d'Intendance, Cadastre) : ce toponyme apparaît au XIIIe siècle et désigne le château et la ferme d'exploitation ainsi que les terrains qui l'entourent. Le nom se réfère clairement à la présence de l'eau. Le ru des Gassets alimente les douves et fossés qui entourent le château et marque la limite d'avec Jossigny. La terre et le château de Fontenelle y ont d'ailleurs été longtemps rattachés. L'installation du château semble contemporaine de la création de Chanteloup. Le fief de Fontenelle relevait sous l'Ancien Régime de l'abbaye de Lagny. Le suffixe "_elle" résulte sans doute d'une féminisation du suffixe "_euil" généralement associé aux habitats des terrains gagnés sur la forêt.

Gassets [ru des] (Cadastres) : ce cours d'eau prend sa source à Serris, au nord est du village ancien, traverse le territoire de Jossigny au nord, traçant la séparation d'avec Montévrain (La Charbonnière dont le nom évoque l'ancienne couverture forestière, fabrication du charbon de bois), et arrose Fontenelle avant de devenir la rivière Gondoire. En recevant le ru de Sainte-Geneviève, qui irrigue Jossigny par le sud et l'ouest, il change de statut et de nom. Avant les travaux (non datés) qui l'ont détourné au sud du château, la confluence se plaçait au droit du château et marquait le point triple où se joignent les limites de Jossigny, Chanteloup et Bussy-Saint-Georges. Le terme Gasset est rare en toponymie. Il ne se rencontre guère qu'en Anjou où il désigne une zone boueuse ou de faible écoulement. Même si le ru coule selon une pente peu marquée, le terme semble inadéquat.

Gondoire [rivière] (Plan d'intendance, Cadastres) : officiellement la rivière n'a pas de source puisqu'elle naît de la jonction de deux rus en amont. Cette petite rivière coule d'abord vers le nord-ouest, puis s'infléchit à partir du moulin Bourcier est-ouest, bordant Conches, traversant Gouvernes puis le sud de Saint-Thibault-des-Vignes, avant de se jeter dans la Marne à Torcy, au moulin de Douvres. Le nom appartient à une série de noms de cours d'eau en France et en Europe occidentale, ce qui atteste l'ancienneté de l'occupation humaine.

Noyer Jean Casse (Plan d'Intendance) : entre Bois de Chigny et Terres Fortes, proche de la Gondoire, à la limite de Chanteloup, Conches et Lagny, ce toponyme associe un arbre, fréquent dans nos contrées, et, apparemment, un nom d'homme … dont personne n'a gardé d'autre souvenir. Ni à Montévrain, ni à Jossigny, ni à Conches, ni à Chanteloup ne figure une famille Casse. Sans doute s'est-il agi, à l'origine, d'un chêne. Le mot casse n'étant plus ni justifié, ni compris, le noyer peut l'avoir remplacé et également marquer une limite en raison de sa stature.

Pré Gasset () : terres situées au sud du ru des Gassets.

Près la petite Jonchère (Cadastre) : toponyme explicite qui renvoie à la ferme située dans la paroisse de Bussy-Saint-Georges, sur l'autre rive de la Gondoire. Le terme jonchère désigne un lieu couvert de joncs, ce qui semble évident sur la rive d'un cours d'eau. Autre évidence : la petite Jonchère ne doit pas être confondue avec la grande ! Le site fut sans doute occupé à l'époque gallo-romaine, car un trésor monétaire a été retrouvé à proximité.

Quinze mares (cadastre) : entre Fontaine Cassepot et Saul au Loup, le lieu est humide mais on ne compte pas quinze mares. Faut-il y voir une réfection d'un mot *quince (à ma connaissance jamais attesté sous cette forme, mais que l'on reconnaît dans des toponymes comme Quincy, Quincey, voire Quincangrogne, à Montévrain sur la Marne). L'hypothèse est vraisemblable en raison de la topographie car le lieudit domine le coteau qui longe le coude suivi par le ru Bicheret, près des Corbins (ferme située à Montévrain). Les villages et hameaux nommés Quincy, etc… sont souvent situés sur un coteau dominant le coude d'un cours d'eau.

Robailles (Cartulaire, Plan d'Intendance, Cadastre) : ce – relativement – grand espace de terres labourables s'étend au nord du village. Les Robailles de Montévrain prolongent celles de Chanteloup au-dessus des Corbins. Ce toponyme est rarement usité. Le curé Le More l'explique par une étymologie fantaisiste “[…] nommé ainsi par corruption au lieu de dire «les eaux bailles»”. Ce dernier terme très peu connu au nord de la Loire, signifie eaux courantes ou sources. Une autre étymologie est possible : il existe une plante nommée robélie ou robeille est cultivée comme plante fourragère sur les terrains humides. C'est une sorte de gesse ou de pois. Autre possibilité, la robille[r] permet de réguler l'évacuation les eaux comme un robinet, appellatif plausible en raison de la nature du terrain. Le curé Le More ne se serait pas trompé de beaucoup. Toutefois, une graphie ancienne mentionne Rochebaille. Selon E. Sethian, ce nom inclut le mot roche en raison de très anciennes carrières de pierres meulières (découvertes dans les zones gallo-romaines et médiévales) ; le mot baille désigne un enclos en vieux français, dérivé du mot latin bacula = les palis, la palissade. Ce qui pourrait donc s'interpréter comme l'enclos des pierres.

Rue de Halbourg : ou Hallebourg ; la grande rue du village est parfois appelée ainsi par le curé Le More[s] et par les documents municipaux et notariaux jusque vers 1830. Ordinairement, les rues sont appelées par le lieu vers lequel elles tendent ou par les villages (ou hameaux) qu'elles relient. Halbourg n'est mentionné nulle part ailleurs. Peut-on supposer une prononciation patoisante d'une rue qui va à Lagny "al' bourg" ?

Saul au loup (Plan d'intendance) en limite de Montévrain et de Chanteloup ; le nom du saule, arbre favorisé par la forte humidité du sol, justifie l'appellation. Reste le loup dont la présence près d'un saule ne laisserait pas d'intriguer un zoologue. En effet, cet animal ne gîte jamais dans un lieu humide. Reste l'hypothèse d'un leu, pierre de bornage associée à un saule qui signale la zone de terre molle à proximité. Les pierres, associées ou non à un arbre, marquent assez souvent une limite entre deux natures de terrain.

Terres fortes (Terrier, Plan d'intendance, Cadastres) : cette appellation est synonyme de terrains en pente, ce qui correspond exactement aux champs qui sont situés entre le village et le ru de la Gondoire. De bonne qualité, ces terres ont conservé leur appellation jusqu'à nos jours. Nom d'usage qui daterait du XVe siècle.

Vellemard ou Vieille mare (Plan d'Intendance, Cadastre 1904) : la seconde appellation est sans doute une réfection de Vellemard, mieux comprise encore qu'aucune mare ne soit située à proximité (le pendage du terrain défavorisant la formation de mares) ; le lieudit est situé entre le Bois de Chigny et les Terres Fortes. Ce toponyme est pourtant intéressant par son orthographe, si tant est que celle-ci soit significative. Le mot "mard" se retrouve autant à Montévrain qu'à Coutevroult : Fort Mardi et rue des Mardereaux, deux toponymes liés à l'écoulement des eaux sur un terrain en pente, c'est-à-dire la même situation topographique qu'à Chanteloup. Le premier mot "velle" est également utilisé en Brie, il équivaut à "ville" au sens de village, ce qui paraît difficilement applicable ici en l'absence de vestiges.

Vingt deux arpents (Cadastres) : le nom désigne explicitement la superficie du canton de champs sur les pentes du coteau tourné vers l'est, et qui domine le ru de Bicheret. Cette désignation technique s'applique à un terroir extrêmement morcelé et qui présente tous les caractères des lieux plantés de vignes. Les parcelles sont étroites et allongées dans le sens de la pente. De minuscules sentiers suivent des courbes de niveau. Quoi qu'en ait dit l'instituteur Louis Féret dans la monographie du village, la vigne a été cultivée. Encore au début du XIXe siècle, certains cultivateurs sont appelés vignerons. Mais le vignoble était alors très nettement sur le déclin.

Les lieudits de Chanteloup tracent en filigrane un territoire gagné sur une végétation humide, à demi forêt, à demi terrain de pâture, les variations de pente et de composition du sol se devinent derrière des toponymes médiévaux pour la plupart. L'eau y est souvent repérée et sourd du sol en maints endroits, essentiellement au nord et à l'est, près de Montévrain.

[1] L'abbé Lebeuf (doyenné de Montlhéry ouvrage cité, édition 1757 tome 10 p 238-243) y consacre une notice détaillée. Le lieu a "hérité" de sacralités. Saint Corbinien y serait né, la maison de campagne de Philippe le Bel fut placée sous le titre de saint Eutrope, une foire de la saint Fiacre existait au hameau voisin. Notons ici que trois toponymes proches de Chanteloup-en-Brie sont presque équivalents : ferme des Corbins (route de Montévrain) église Saint-Eutrope et Chêne-Saint-Fiacre.

[2] L'auteur, natif de Crécy-en-Brie (Crécy-la-Chapelle de nos jours), est l'arrière petit-fils d'un Pierre-Louis Husson marié et établi à Chanteloup dans les années 1780, et qui était qualifié de garde-chasse de Monsieur le Prince de Rocroy, propriétaire et seigneur de Crécy.

[3] L'abbé Lebeuf, mieux instruit en grammaire latine, écrit Campus Lupi.

[4] Autres fautes : Beautilly pour Rentilly, Chauche pour Conches, indique Belleassise mais pas Jossigny, etc…

[5] Selon plusieurs auteurs il faut se référer au breton gwen = blanc semblable au gaulois, et attesté dans de nombreux toponymes. Èvre est un mot de langue d'oïl, répandu surtout au nord de la Seine alors qu'au sud le mot latin dérive en Aix ou Aygues.

[6] La fontaine est appelée Saint-Fursy et l'église, ancienne abbatiale Saint-Père ou Saint-Pierre est également connue sous le nom de Notre-Dame-des-Ardents.

[7] Un saint est nommé Vrain. Il accomplit des miracles liés à l'eau. Son nom est attribué à une commune de l'Essonne.

[8] Bois de Chigny, La Charbonnière (charbon de bois), et plus loin la forêt de Ferrières dont le nom évoque plus les bêtes sauvages (ferum ou feræ en bas-latin) que la production de fer, dont on chercherait en vain la trace.

[9] Recueil des chartes, bulles, lettres, concernant les immunités, prérogatives, privilèges, droits et la propriété des biens de cette abbaye. Bibliothèque nationale, manuscrit latin 9902.

[10] Il est dit napoléonien, car dressé conformément aux dispositions d'un décret signé sous l'Empire.

[11] aujourd'hui La Grange au Bois

[12] Chilly-Mazarin en Essonne, et Signy-Signets en Seine-et-Marne. Ces noms se trouvent aussi dans d'autres départements.

Notes du chapitre 3

[a] Stein H. et Hubert J. Dictionnaire topographique du département de Seine-et-Marne – Paris, Imprimerie Nationale 1954.

[b] Jean-Marc Moriceau L'homme contre le loup Une guerre de 2000 ans – Fayard 2011.

[c] Jean-Pierre Nicol : Saint Loup in Bulletin de la Société de Mythologie Française n° 248 octobre 2012.

[d] Georges Husson Contes briards 1877. Cantu Lupi n°44 janvier 1985 ; Cantu Lupi n° 145 janvier 2000.

[e] Pierre Glaizal La chèvre et le loup Bulletin de la Société de Mythologie Française :Églises et chapelles où la bique a pris le loup n°221 déc 2005; Églises et chapelles où la bique a pris le loup suite de l'enquête n°224 sept 2006 ; Courtaoult (Aube) la 20e chèvre n°229 déc 2007 ; Chapelles où fut pris le loup 43 cas européens n° 240 sept 2010. [abondante bibliographie].

[f] Jean-Pierre Nicol Notes briardes Bulletin de la Société de Mythologie Française n°238 mars 2010.

[g] Jacques E. Merceron, La vieille Carcas de Carcassonne, 2008 ; page 384.

[h] Registre Le More page 23. Voir aussi l'annexe du chapitre 2 du présent ouvrage.

[i] Raymond Delavigne : les noms de lieux humides en Ile-de-France. Cahiers de l'I.A.U.R.I.F. 1980.

[j] Abbé Lebeuf ouvrage cité, tome V.

[k] Courrier du 11 mars 1984, consulté au musée Gatien Bonnet de Lagny-sur-Marne.

[l] Xavier Delamarre Dictionnaire de la langue gauloise Errance 2001. Il définit le mot comme cercle ou jante et le relie explicitement aux mots chant d'une table et canton au sens de territoire. Jean-Paul Savignac Merde à César Les Gaulois, leurs mots retrouvés La Différence 1994 page 36.

[m] Jacques-Amédée Le Paire : Petite histoire populaire de Lagny-sur-Marne Lagny, 1906.

[n] Michel Roblin Le terroir de Paris aux époques gallo-romaine et franque – Picard 1951 ; p 309.

[o] Eddy Sethian Chanteloup-en-Brie "Les Vingt Deux Arpents - ZAC du Chêne Saint Fiacre" Rapport de diagnostic INRAP-CIF/EpaMarne-EpaFrance/DRAC-SRA-IDF 2006.

[p] Sur saint Fiacre, voir la publication des actes du colloque qui lui a été consacré : Actes du congrès du XIIIe centenaire de Saint Fiacre – André Pouyé Meaux 1970. La narration donnée ici reprend les communications de J. Guérout et de Dom Jacques Dubois.

[q] Archives départementales de Seine-et-Marne : Mémoire par Philippe du Rondeau cy devant receveur de l'abbaye de Lagny Az 2040. En 1729 Une histoire compliquée d'association avec tentative de dépossession. Philippe du Rondeau exerça les fonctions de receveur (encaisser les impôts et redevances) de l'abbaye de Lagny. Il conclut une association avec Nicolas Barnabé alors bailly de Lagny (administrateur et juge pour le compte de l'abbaye) et Marguerite Vignon sa femme, pour tirer profit de certaines affaires. Mais Nicolas Barnabé tenta de gruger son associé alors que celui-ci était tombé malade. Le mémoire cite Tribard avocat et Mallard procureur [représentant ou sorte d'avoué]. Tout ce petit monde gravitait autour de l'abbaye. L'abbé ne résidant pas sur place, ils étaient relativement libres de leurs actions et exactions…

[r] Léon Godefroy Dictionnaire de l'ancien français.

[s] Registre Le More page 25.