Un monument historique en cours de restauration de la petite salle des catéchismes.
Le chanoine Etienne Jouy (artiste, aumônier et professeur au pensionnat Saint-Laurent).
Un monument historique en cours de restauration de la petite salle des catéchismes.
Le chanoine Etienne Jouy (artiste, aumônier et professeur au pensionnat Saint-Laurent).
Texte de la conférence du 17 septembre 2020
Mon propos de ce soir : la petite salle des catéchismes de Gouvernes et l’auteur des peintures murales qui la décorent, le chanoine Etienne Jouy.
La salle fut successivement chapelle, salle des catéchismes, débarra et classe pour l’enseignement des gens du voyage ; c’est la dénomination petite salle des catéchismes, retenu lors du classement que nous utiliserons ce soir.
Cette dénomination a été utilisée pour la première fois en 1904 dans la notice écrite par Emile le Renard un an après le décès du chanoine Etienne Jouy.
En 1906 dans l’inventaire des biens de l’église suite à la loi du 19 décembre 1905 il est noté : « Dans une petite Chapelle attenante dite Chapelle des Catéchismes… ».
Dans un petit bâtiment venant buter contre le bas-côté nord de l’église paroissiale Saint-Germain, se cache la petite salle des catéchismes.
Le presbytère adjacent qui abrite aujourd’hui la bibliothèque municipale a été construit en 1896 soit 25 ans environ après ce bâtiment.
Le précédent presbytère devenu vétuste n’a été démoli qu’en 1928-1929.
Une petite porte sur le côté nord de la façade de l’église permet d’accéder à une entrée. Sur la gauche un escalier mène à un palier, par quelques marches on se trouve dans la petite salle des catéchismes.
Lors de ma première visite de cette salle je ne remarquais tout d’abord pas les peintures murales. Sur les murs qui n’étaient pas caché par d’énormes armoires et les nombreux objets qui encombraient la pièce, de nombreux papiers étaient punaisés ne laissant apparaitre que quelques fragments de peinture. C’est derrière une armoire je découvris le chef d’œuvre caché. Une demande d’inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques a abouti le 23 juin 2009.
En entrant, nous nous trouvons face au mur est où est peint un « Trône de Grâce » encadré de deux fenêtres. Ce thème archaïsant est ancien, on le retrouve dans les enluminures dès le XIème siècle. Rare au XIXème siècle, il en existe d’innombrables variations au fil du temps en sculpture comme en peinture.
La version donnée ici est sombre et austère sans détail superflu.
C’est la superposition des images de la Crucifixion et de la Majesté du Père entre lesquelles s’ajoute discrètement, au niveau de la barbe de Dieu une Colombe à peine ébauchée, représentation de l’Esprit-Saint.
Dieu le Père est représenté coiffé d’une tiare papale avec la triple couronne, cette tiare postérieure à 1342 est toujours utilisée aujourd’hui. Le couvre-chef des papes était à partir du VIème siècle un bonnet conique auquel une, deux puis trois couronnes se sont ajoutées au Moyen-Age.
Sur le mur nord se déploie une grande peinture murale sur le thème de la Promesse d’un Sauveur. C’est l’illustration du texte en latin inscrit dans la banderole tenue par l’ange : « Voici une vierge concevra et enfantera un fils. Par sa venue sur terre, sa mort et sa résurrection, Jésus sauve tous ceux qui croient. » (Es 7.14) (Mt 1.13). Base de la foi chrétienne
Au centre la Vierge à l’enfant de style néogothique, est encadrée par une procession vétérotestamentaire à gauche et une procession de personnages du nouveau testament et de quelques saints à droite. Cette composition est plutôt de style néo-Renaissance.
Nous voyons déjà là liberté de style du Chanoine Etienne Jouy.
En lisant cet ensemble de la gauche vers la droite on commence par l’ancien testament depuis Adam et Eve dans le jardin d’Eden symbolisé par un palmier stylisé. Puis apparaissent dans un ordre chronologique, Noé arche dans la main gauche, les patriarches (Abraham, Isaac et Jacob, Moïse les tables de la Loi sur le bras droit, Esaïe une plume à la main, le roi David avec sa lyre et Jean le baptiste qui désigne de l’index le Sauveur.
La Vierge à l’enfant dans une mandorle entourée d’anges est au centre de la composition. Un ange balance un encensoir au-dessus de leurs têtes, deux autres soutiennent la mandorle. Cette représentation est de style Gothique.
Le nouveau testament avec saint Pierre clefs du Paradis à ses genoux, saint Paul, saint Jean, saint Etienne et deux autres martyrs, saint Germain et saint Augustin, saint Louis, saint François d’Assise, sainte Agnès, sainte Geneviève… Cet agencement est plutôt de style renaissance.
Sur le mur sud où subsistent quelques drapés. Le renfoncement correspond à l’une des fenêtres septentrionales de l’église aujourd’hui bouchée. Le dessus était occupé par une vaste toile épousant parfaitement l’arc formé et figurant la Cène.
Cette toile encrassée est conservée roulée en lieu sûr, nous avons pu la photographier lorsque pour le diagnostic avant restauration elle a été déroulée. Les pliures qui endommage la toile ne touchent pas les visages des apôtres ce qui facilitera la restauration.
Le mur ouest, où entre les deux fenêtres s’ouvre la porte, conserve encore ses drapés. Les vitraux ont disparus, ils vont être refaits.
Par facilité nous désignons l’artiste qui a réalisé la décoration de la petite salle des catéchismes sous le vocable de chanoine Etienne Jouy ; il s’est fait appeler pendant de nombreuses années Stéphane pour revenir à Etienne à la fin de sa vie.
C’est en 1896, à 52 ans, qu’il est nommé chanoine titulaire de la cathédrale de Meaux.
Etienne-Léon Jouy nait le 3 août 1844 à Petit Peugny hameau de Mouy-sur-Seine. Sa famille est implantée là depuis plusieurs générations ; son arrière-grand-père Edme Jouy est le premier du nom à résider dans le hameau, mais il ne vient pas de bien loin, il est originaire de Villenauxe-la-Petite à cinq kilomètres.
La paroisse de Mouy-sur-Seine a sa petite église propre, mais est rattachée à la paroisse de Bray-sur-Seine de l’autre côté de la Seine depuis le Concordat.
Sur les bancs de l’école M. Gobinot son instituteur avait déjà remarqué entre autres aptitudes étonnantes celles qu’il possédait pour le dessin.
Un jour alors qu’il avait neuf ans Etienne reçu au catéchisme comme récompense une image de saint Bruno. Il en réalisa une reproduction à la plume remarquée par son entourage. Fort de ce premier succès il se mit à copier toutes les gravures qui lui tombaient sous la main.
Le vicaire de Bray-sur-Seine, M. Cassabois apporta au séminaire un tableau d’Etienne, une Lapidation de saint Etienne, pour le confier au jugement de critiques compétentes ; on en fut émerveillé tant la copie était fidèle et le trait d’une sûreté impeccable. Il entre au petit séminaire à 15 ans où il trouve encore du temps pour exécuter des travaux artistiques considérables. Ces grands portraits de saints étonnaient ses condisciples.
Le supérieur du grand séminaire, Monsieur Girard, le met en contact avec M. Cousin dès les premiers jours de la rentrée, celui-ci avait été professeur de dessin au collège de Troyes durant plusieurs années. Ce que ce dernier voit de son travail lui montrent combien Etienne Jouy est doué. Ils devinrent amis, M. Cousin lui explique la méthode suivie aux Beaux-Arts, méthode qui consiste à travailler d’après nature ; ce qu’il fait alors avec acharnement. C’est encore plus tardivement, alors qu’il est déjà prêtre, qu’il débute la peinture.
A 23 ans en 1867 il est nommé curé de Crégy-lès-Meaux et pro-secrétaire de l’évêché ; c’est son seul poste de curé de paroisse, il y reste durant deux ans.
Aumônier du Pensionnat des frères de Lagny durant dix ans (1869-1879) il y fut aussi professeur de dessin et y fait ses premières approches le la peinture en réalisant les peintures murales de la chapelle des Frères de Lagny ; c’est à la même époque qu’il peint la petite salle des catéchismes de Gouvernes. Certains de ses contemporains préféraient ses compositions simplement esquissées, ou légèrement modelée au crayon ou au fusain à ses mises en couleur qu’ils considéraient comme un peu lourdes. De ces peintures murales du chanoine Etienne Jouy il n’en reste aujourd’hui que deux au-dessus des portes au fond de la chapelle ; les autres abimées par le temps ont disparu lors de la restauration de la chapelle en 1963. On peut dater ses peintures entre 1877 et 1879 ; la chapelle ayant été construite en 1877 et le chanoine Stéphane Jouy ayant quitté le collège Saint-Laurent en 1879.
L‘un illustre le verset « laissez venir à moi les petits enfants ». (Mc10.14) Ces peintures sont probablement postérieures à celles de la petite salle des catéchismes de Gouvernes, la technique en est plus sûre. Ce qui nous permet de situer les peintures de Gouvernes entre 1971 et 1877. L’autre illustre la fin du même verset : « le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent »
Aumônier des Dominicaines de Thorigny de 1879 à 1882 il leur resta attaché, après leur exode à Juvisy ; il couvrit de fresques les murs de leur chapelle.
Il était passionné par le style gothique et se voua tout particulièrement à son étude, au point de devenir une référence dans ce domaine. Non seulement ce style l’inspira dans son style pictural mais il devint un archéologue des plus compétents de cette période.
En 1879 alors qu’il était aumônier des Frères de Lagny, il décida de passer le baccalauréat ès-arts qu’on venait d’instituer. Le programme était très chargé et difficile, il stupéfia le jury par ses connaissances de la perspective, de l’archéologie, de la pédagogie et du dessin d’après statue. Lors de l’épreuve d’architecture l’examinateur lui demanda de dessiner de mémoire au tableau noir un chapiteau du XIVème siècle, la réalisation saisit d’étonnement l’examinateur par sa précision.
Il réussit brillamment cette épreuve ce qui lui conféra le droit d’enseigner dans les écoles de l’Université.
Ces dessins annotés « chapelles de Gouvernes » sont les seuls conservés aux archives l’évêché de Meaux. Réalisés en 1875, il permettent de situer les peintures de Gouvernes entre 1875 et 1877.
Quelques temps après il reçut du ministère des Beaux-Arts sa nomination comme conservateur du musée de Dole dans le Jura et professeur de dessin au collège de cette ville, nomination qu’il n’accepta pas.
En 1883, après un congé qui correspond peut être à un voyage en Italie, il est professeur de dessin au petit séminaire d’Avon, actuel couvent des Carmes.
Cette situation le plaçait à l’orée de la forêt de Fontainebleau. Il en fit également de jolies aquarelles qu’il dispersait aussitôt en les donnant à ses confrères. Projetant de réaliser un traité sur les champignons de la forêt il commença par les illustrations dessinant toute les espèces qu’il aquarella. Ces dessins précis émerveillèrent d’aucuns de ses confrères ; ils ne sont pas parvenus jusqu’à nous.
De même, il traita en dessin coloriés d’une grande délicatesse une suite d’étude de la flore des environ de Fontainebleau. M. l’abbé Cousin, put voir une première série de ces travaux et les trouva d’un intérêt exceptionnel comme le rapporte dans le journal l’Abeille de Fontainebleau.
Il était en contact avec de nombreux confrères comme lui épris du Moyen-Age.
Il participa très activement aux travaux de la Gilde belge de Saint-Thomas et de Saint-Luc dont il fut membre durant de nombreuses années. M. Jules Helbig (1821-1906), peintre, historien de l'art est l'un des principaux défenseurs du courant néogothique en Belgique ; rédacteur de la revue l’Art chrétien, il tenait le chanoine Jouy pour l’un des meilleurs dessinateurs de la Gilde.
Le chanoine Etienne Jouy publia dans La revue d’Art chrétien, en particulier un article sur une statuette-reliquaire d’apôtre, article illustré par une reproduction en phototypie d’un de ses dessins. De nombreux autres de ses dessins illustrent des articles dont il n’est pas l’auteur, identifiables par sa signature SJ.
Le chanoine Etienne Jouy comprenant l’importance de la peinture qui d’un simple édifice fait une œuvre pleine d’attrait se mis à étudier avec soins les lois de la décoration monumentale. En possession de toutes ses règles il donna successivement les superbes fresques de Monferrand dans le Doubs, de Juvisy et de Nancy considérées de son vivant comme ses œuvres les plus importantes, « celles qui marqueront dans l’œuvre de l’abbé Jouy et dans l’histoire de l’art chrétien ».
Au sujet des fresques de la chapelle des Dominicaines de Béthanie à Monferrand la Revue de l’Art Chrétien rapporte :
« Incontestablement l’ensemble charme les yeux, captive agréablement l’imagination, occupe l’esprit et fait l’édification des hôtes habituels de ce lieu les peintures de la chapelle de Monferrand comportent une centaine de figures improvisées sur les murs, brossées avec une sûreté de main et une rapidité d’exécution que beaucoup d’artistes envieraient à juste titre.» Le chanoine Etienne Jouy a été comparé par un critique du début du 20ème siècle comme le Puvis de Chavanne religieux.
Contrairement à ce dernier il est passé de mode et ses œuvres ont disparu.
Des peintures de Monferrand il ne reste rien ; la supérieure me répondait au téléphone il y a quelques années : « Monsieur vous vous trompez, les murs du monastère n’ont jamais été peints, ils sont blancs ! »
Les œuvres du Chanoine Etienne Jouy comme toutes œuvres originales ont donné lieu à la critique, elles sont traitées avec un tel caractère d’originalité qu’elles ont, on peut le dire, les défauts de leurs qualités. Notre artiste s’affranchissait de réaliser une maquette ou même de petits croquis préparatoires comme la plupart de ses confrères, ces réalisations sont dessinées d’imagination sans étude préalable d’après nature. Ce sont des improvisations, de véritables tours de force. Les plus grands maitres n’ont jamais eu de ces audaces.
Toutes les imperfections que lui reprochaient plusieurs de ses confrères étaient de sa part une protestation contre l’hyperréalisme de la Renaissance pour lequel il avait un profond mépris.
L’étude des formes poussées aussi loin que possible par le modelé étaient selon lui plutôt nuisible qu’utile.
Son dernier tableau connu est une Assomption peint en 1896 pour les Dames Augustines de Meaux, dont il fut l’aumônier à partir de 1891.
Mes recherches des œuvres du chanoine ne m’ont permis de retrouver, outre les peintures de la petite salle des catéchismes de Gouvernes et celles de la chapelle de Saint-Laurent qu’un tableau dans l’église de Carnetin.
Cette peinture sur toile représentant saint Antoine, qui à l’origine occupait le centre du retable de l’autel, est aujourd’hui accrochée au mur sud de la nef.
L’artiste qu’était le chanoine Etienne Jouy était avant tout un prêtre, aumônier de plusieurs communautés durant sa vie ; son œuvre picturale était pour lui un support pour l’enseignement religieux. Les peintures de Gouvernes ont été réalisées pour servir de support à l’enseignement du catéchisme
De nos jours le chanoine Etienne Jouy est surtout connu pour son travail au sein de la Conférence d'histoire et d'archéologie du diocèse, il en fut la cheville ouvrière, particulièrement pour la rédaction du bulletin. Grâce à lui, les illustrations avaient leur place dans le bulletin.
Pour terminer revenons sur la petite salle des catéchismes. Un de derniers témoignages de l’œuvre picturale du chanoine Etienne Jouy qui a besoin d’être restauré. La sauvegarde a déjà commencé avec la pause d’un parquet neuf, l’installation d’un chauffage et une mise aux normes de l’électricité. Il reste beaucoup à faire : réfection des toitures et parements extérieurs du bâtiment, réfection des parements intérieurs et ses décors peints, restauration de la toile peinte… Les travaux devraient commencés début 2021.
Pour compléter le financement par la commune de sa restauration nous pouvons compter sur les subventions départementales et régionales.
Nous avons lancé une souscription, partenariat entre la commune de Gouvernes, la Fondation du Patrimoine et l’association du Patrimoine de Gouvernes. Vous trouverez en sortant des bulletins de souscription. De nombreux dons de quelques euros, bénéficiant d’une réduction d’impôt, permettront d’atteindre l’objectif fixé. Merci à Bernard Minoret et au Photo club de Pomponne pour les photos qui ont illustrées mon propos, merci à Céline Cotty, musée Gastien Bonnet, à Marie-Laure Gordien, archives diocésaines, et Matthieu Durand, bibliothèque diocésaine Guillaume Briçonnet, qui m’ont facilité l’accès aux archives.